Société

Dans un camp de sorcières au Ghana

L’air brûle nos poumons. La poussière recouvre la route que nous arpentons. Le nord du Ghana est un endroit irrespirable, surtout pendant la saison sèche. Nous prenons la direction de Gambaga, un petit village situé dans le district de Mamprusi-est. Notre objectif est de trouver l’un des six camps de la région dévolus à l’enfermement des femmes ayant été accusées de sorcellerie par leur famille ou leur proche.

La tâche s’avère délicate. Personne ne peut accéder aux camps sans l’accord du Gambaga Rana, le chef local. Nous décidons de nous rendre dans son palais, et attendons pendant un long moment qu’il daigne nous recevoir.

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Après plusieurs heures, un homme s’avance – il dit être le représentant du chef. Il nous autorise à visiter le camp en sa compagnie, et nous rassure en nous disant que les sorcières n’ont aucun pouvoir par ici. Selon lui, le Gambaga Rana aurait détruit leurs compétences maléfiques, leur empêchant de nuire.

Alors que le Ghana est le pays le plus religieux au monde selon une étude de la Fondation Gallup – 96 % de la population se déclare croyante – les autochtones n’hésitent pas à mélanger différentes confessions afin de donner naissance à des cultes très personnels. Le nord du pays rassemble de nombreux chrétiens, musulmans et animistes. Cette juxtaposition d’églises, de mosquées et de sacrifices païens dans un même village est une chose unique à observer.

Mais ces religions ont une chose en commun : leur croyance en l’existence de la sorcellerie. Au Ghana, les gens sont persuadés que chaque coup du sort prend racine dans la magie noire – la mort, l’alcoolisme, les maladies mentales, une mauvaise récolte, etc. Les femmes sont des cibles toutes trouvées, spécialement les plus vieilles et les veuves, qui ne sont pas protégées par des hommes.

Le camp de sorcières ne s’avère pas pas si isolé que cela de Gambaga. En fait, il est situé au milieu du village, à côté des habitations du reste de la population. Il n’est pas entouré de grillages, et n’est pas gardé. Les huttes ne diffèrent en rien des autres huttes ghanéennes.

Des gamins, pieds nus, s’approchent rapidement de nous. Hormis eux, le village semble désespérément vide. Il nous faut plusieurs minutes avant de croiser la première sorcière, occupée à vaquer à ses occupations quotidiennes après nous avoir salués poliment. D’autres sorcières apparaissent et acceptent d’être prises en photo malgré leur timidité manifeste. La plupart sont âgées, et certaines vivent dans le village depuis plus de trente ans. Elles ont laissé leur mari derrière elles, mais ont conservé la garde de leurs enfants.

La porte-parole des sorcières est la femme la plus âgée du groupe. Après m’avoir dévisagée de la tête aux pieds, elle accepte de me parler. Elle me révèle que les femmes présentes dans le camp ont la possibilité de partir à tout moment, mais qu’elles choisissent de ne pas le faire. Elles craignent plus que tout l’attitude de leur village d’origine. « Nos familles viennent nous voir. Il nous arrive même d’aller leur rendre visite, mais nous ne restons pas. Il n’y a que dans notre camp que nous nous sentons en sécurité. »

Je décide d’en savoir plus sur le rituel permettant à un chef de village de déterminer si une femme est une sorcière ou non. Selon certains habitants de Gambaga, cette découverte implique un poulet qu’on lance dans les airs, et rien de plus. La porte-parole ne veut pas confirmer de tels dires.

Je lui demande alors d’où proviennent les revenus de la communauté : « Le chef nous nourrit. Les gens du village n’ont pas peur de nous et nous laissent travailler pour eux. On les aide à la ferme, on apporte du bois et on transporte de l’eau. »

Se considère-t-elle comme une sorcière ? Elle hésite, échange un regard avec notre guide et répond : « Si nous sommes ici, eh bien, c’est parce que nous devons être des sorcières. »

Impossible de lui soutirer d’autres informations. Ce n’est pas vraiment surprenant : notre guide ne nous lâche pas d’une semelle. Et il semble très pressé. Il n’hésite pas à me demander de faire vite quand j’interviewe l’une des femmes du camp. Il me montre du doigt le toit des huttes, et explique qu’ils doivent tous être changés – mais que le village n’a pas les moyens pour le faire. Il finit par nous conduire dans une salle commune, qui est en fait un bâtiment de grande taille avec une télévision. « Vous voyez, elles ont même la TV ! », s’exclame-t-il avec satisfaction.

Un villageois de Gambaga nous livre son sentiment sur la présence des sorcières par ici : « Parfois, un type se marie avec trop de femmes et il ne peut pas s’occuper de tout le monde. Entre elles, les épouses se détestent car elles jugent les autres conjointes responsables de leur malheur. Des accusations de sorcellerie peuvent naître d’une telle animosité. »

De nombreuses tentatives de fermeture des camps de sorcières au Ghana ont eu lieu par le passé. La dernière date de décembre 2014, quand le gouvernement a mis fin au camp de Bonyasi dans lequel vivaient plus de 50 femmes.

Malgré tout, interdire de tels endroits ne fera pas disparaître l’ostracisme que subissent certaines Ghanéennes. Ces femmes ne sont pas des prisonnières mais des otages des superstitions locales, de la pauvreté et du manque d’éducation. Pourtant, leur présence dans les camps est sans aucun doute un mal nécessaire. Comme me le précise un autre villageois : « Les gens ont peur des sorcières dans ce pays. Si une femme est accusée, il faut qu’elle s’en aille. Sinon, elle risque gros. »