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Dave Mustaine serait-il en train de changer ?


Illustration – Stephanie Monohan

Dave Mustaine est une machine. Depuis ce matin, il enchaîne les interviews sans interruption dans un hôtel de Los Angeles pour parler de Dystopia, le 15e album de son groupe, Megadeth. Une phase de promotion qui sera immédiatement suivie, en février, par les premières dates d’une longue tournée américaine. Et ce seront ses deux seuls sujets de conversation en interview. C’est en tout cas ce que m’a annoncé son attaché de presse il y a quelques jours : « Dave ne parlera que du nouvel album et de la tournée. »

Problème : même si Dystopia m’intéresse énormément, je n’étais pas vraiment partie pour servir la soupe promotionnelle. J’ai donc passé un moment au téléphone avec son management, pour les assurer que je ne voulais en aucun cas « me payer » Mustaine mais juste essayer de comprendre qui était l’homme derrière le personnage, derrière l’image du conservateur borné, du tyran égocentrique-caractériel-invivable (rayer la mention inutile). Nous sommes finalement tombés d’accord.

Et le fait est que le Dave Mustaine que j’ai rencontré était à des lieux du mythe : s’il a parfois esquivé les sujets politiques, il s’est montré posé, courtois et agréable. Quel rôle son management ou ses convictions religieuses (il est depuis peu born-again) ont eu dans le façonnage de ce nouveau Mustaine ? On en le saura sans doute jamais, mais je dois avouer qu’il m’a vraiment surprise quand je lui ai demandé combien d’interviews il s’était fadé depuis le début de la journée et qu’il m’a répondu avec une douceur non feinte : « Plutôt pas mal, mais avec toi ce sera ma première avec toi et je suis enchanté de te rencontrer. » Et ce ton paisible ne l’a jamais quitté de toute l’interview, même quand il a évoqué Metallica ou ses nombreux détracteurs.

Noisey : Dystopia est le disque le plus frontal, rageur et agressif que Megadeth ait sorti depuis longtemps. Est-ce que l’arrivée de Kiko Loureiro [du groupe Angra à la guitare] et Chris Adler [de Lamb of God à la batterie] a quelque chose à voir là-dedans ?
Dave Mustaine :
J’imagine que ça a dû jouer, effectivement. On voulait enregistrer un disque dont on puisse être fiers, en tant que musiciens et en tant que groupe. Kiko et Chris sont très fans de Megadeth tous les deux, on voulait donc vraiment tirer le meilleur de nous-mêmes pour cet album. Et je pense qu’on y est arrivés grâce à cette amitié qui nous a très vite unis. On s’est tout de suite sentis très proches et, ça peut sembler bizarre de dire ça, mais je crois qu’il s’agit du le line-up le plus soudé qu’ait jamais connu Megadeth. On s’entend vraiment bien et ça se sent quand on joue ensemble. Avant, avec les autres membres de Megadeth, on ne traînait jamais vraiment ensemble. On jouait et puis chacun rentrait de son côté. Quand on arrivait à l’hôtel c’était genre : « Bon, on se voit demain », alors que maintenant c’est plutôt : « Tu veux aller manger un truc ? On se mate un film ? On va voir tel match ? » C’est cool d’avoir pu retrouver cette ambiance au sein du groupe. Ça me renvoie aux tous débuts de Megadeth et aux raisons pour lesquelles j’ai formé ce groupe.

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Les paroles des nouveaux morceaux sont vraiment très, très sombres. Je pense notamment à des titres comme « Bullet to the Brain » and « Fatal Illusion ». C’est dû à quelque chose en particulier ?
Eh bien, le monde a pas mal changé ces 10 dernières années, on a vu les États-Unis tenter de pacifier un tas d’endroits dans le monde, soit parce qu’on avait fait appel à eux, soit parce qu’ils ont eu envie de s’imposer, endossant sans distinction le rôle des bons et des méchants. Le monde occidental aujourd’hui est totalement différent de ce qu’il était il y a dix ans —la télé-réalité, les téléphones portables, les selfies… Tiens, je suis allé aux toilettes dans cet hôtel, le W à Hollywood, et ils ont un miroir qui dit « Je me le taperais bien ». Je veux dire, qui a pu penser un seul instant que ce serait une bonne idée ? Dans quel monde vit-on ? Je fais avec mais, pfff, les temps changent, c’est certain.

Megadeth a toujours été un groupe sensible à la politique et aux sujets de société. Vous vous êtes formés sous Reagan, on arrive aujourd’hui à la fin du second mandat d’Obama et les choses ne semblent pas vraiment s’arranger. Ce n’est pas un peu déprimant de savoir qu’il y a toujours autant de raisons d’être en colère ?
Je pense que j’ai un peu plus foi en l’Humanité aujourd’hui qu’aux débuts du groupe. Et même si le genre de musique que je joue prend davantage de sens encore quand les choses vont mal, je pense qu’il y a de l’espoir et que, pour citer Martin Luther King, l’amour triomphera toujours de la haine. Même si on a, en tant que groupe, cette image de types sombres et agressifs, on reste attachés à des valeurs telles que l’amitié, la loyauté, le respect. Si tu traites les gens comme toit tu souhaiterais être traité, tu peux changer les choses de manière significative. Il y a du bon et du mauvais dans chacun d’entre nous, essayons juste de développer le bon et de réduire le mauvais à sa portion congrue. Partout dans le monde, les gens pointent les États-Unis et le monde occidental du doigt, mais en même temps des tas de gens veulent venir s’y installer. C’est qu’il y a une base positive à tout ça, alors concentrons-nous là-dessus.

Le Canada ou les pays scandinaves véhiculent une image utopique, alors que les USA sont actuellement vus comme un véritable chaos, une dystopie. J’imagine que le fait d’avoir intitulé cet album Dystopia donne clairement ta vision des choses.
On s’est beaucoup inspiré de films comme L’Armée des 12 Singes ou de la première version de La Planète des Singes pour ce disque. Tous ces films qui parlent de civilisations parties en sucette, comme Total Recall et Minority Report , où on voit la société et la technologie évoluer dans un sens qui n’est pas sans rappeller 1984. J’imagine que tu as lu 1984 et La Ferme Des Animaux ?

Oui, bien sûr. Cette idée de dystopie, c’est quelque chose qui revient beaucoup dans la pop culture en ce moment, parce que les gens ont l’impression qu’on est plus très loin du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley. Quel message cherches-tu à faire passer sur Dystopia ?
Le même que d’habitude. « Le monde vu par Dave Mustaine ». Les gens me demandent souvent si certains de mes disques sont basés sur un concept ou non, mais ils sont en réalité tous construits autour de cette idée. J’ai même envisagé à un moment d’en faire un livre, pour tout dire. Après mon autobiographie, je me suis dit que je pouvais peut-être écrire quelque chose de plus tordu, de plus drôle. Du genre imaginer comment serait le monde si j’étais président. Je suis comme tout le monde : je pense que si j’étais président, les choses se passeraient différemment. Peut-être que ça ne durerait qu’un temps avant que le chaos ne reprenne dessus. Peut-être que ça tiendrait plus longtemps. Qui sait ?

Tu es, globalement, plutôt conservateur dans tes idées, comme pas mal de monde dans le metal finalement, vu que c’est un genre qui met l’accent à al fois sur la tradition et la liberté individuelle—deux éléments qui sont aujourd’hui considérés comme étant plutôt conservateurs, justement. si

Parce que c’est toi la vitrine du groupe.
Exactement. Ça n’a rien à voir avec ce que je pense ou ce en quoi je crois. C’est parce que je suis celui dont on doit parler.

Tu es un personnage plutôt controversé dans la scène metal. C’est quelque chose qui t’ennuie ?
Non. Des gens racontent des saloperies sur moi. Des gens me font des compliments. Il faut faire avec le bon comme avec le mauvais. Tu ne peux pas plaire à tout le monde et même si tu pouvais, quel intérêt ? Il faut accepter ça et faire de ton mieux avec les cartes que tu as en main. J’ai eu plein de bons moments durant ma carrière, d’autres moins bons. C’est comme ça.

Tu vises toujours le Grammy ? Pour être honnête, j’ai été très surprise que Dystopia ne soit pas retenu cette année.
Je te remercie. Le truc, c’est qu’au départ, remporter un Grammy, c’était un truc vraiment important pour nous. Et puis, on a réalisé que ça n’allait pas être aussi simple que ça, parce que les gens qui votent pour ces trucs-là, ils doivent se taper 45 disques d’orchestres latinos, de la musique Hawaïenne et les dernières conneries de Weird Al Yankovic. Donc, quand ils arrivent au metal, ils sont saturés et se disent « Ok, laissons tomber ces disques et choisissons juste un groupe dont on connaît vaguement le nom ». C’est comme ça que Jethro Tull a remporté le Grammy du meilleur artiste metal en 1989, face à Metallica. Du coup, ça m’a fait relativiser. Si j’ai un Grammy un jour, tant mieux. Si je n’en ai pas, tant pis. J’ai déjà été largement reconnu par mes pairs et je suis plus qu’heureux avec ce que j’ai. Cela dit, je suis heureux, pas satisfait. Ce qui veut dire que j’ai toujours la motivation nécessaire pour aller de l’avant. J’aimerais aussi que Megadeth entre au Rock’n’Roll Hall of Fame, mais si ça n’arrive pas, tant pis, je n’en ferai pas une jaunisse non plus. Cela dit, techniquement, j’y suis déjà via Metallica, peu importe ce que certains prétendent, j’étais là aux débuts du groupe et on ne peut rien redire à ça.

Ce n’est pas un peu frustrant, avec le parcours que tu as et tous les disques que tu as sorti, qu’on te parle, au final, toujours de ton passage dans Metallica ?
Je n’en veux à personne, tu sais. On a fait un truc génial, on était quatre ados, on a enregistré un disque qui changé le monde et si je pouvais revenir en arrière, je ne changerais rien du tout. J’ai influencé et inspiré des tas de gens, je leur ai donné la force et la motivation de monter leur propre groupe. Ou tout simplement de continuer. Il y a eu des tonnes de fois où j’ai failli tout abandonner, mais j’ai continué malgré tout. Et certains se sont peut-être dit : « si lui peut le faire, alors je peux le faire aussi. » J’aime ce que je fais et je continuerai à le faire tant que je pourrai le faire. Que les gens m’aiment ou pas, ça n’y changera rien. Je ne m’occupe plus de ça.

Tu as souvent dit que tu trouvais ça important de prendre des jeunes groupes en tournée avec Megadeth. Tu l’as fait de nombreuses fois par le passé et là tu viens de rempiler en invitant Havok sur votre nouvelle tournée. Tu vois ça comme une sorte de responsabilité ?
Responsabilité est un mot un peu fort mais oui, c’est un peu l’idée. J’ai la chance de pouvoir faire un truc génial, de jouer partout dans le monde, alors pourquoi ne pas en faire profiter d’autres ? S’entraider dans le metal, c’est une tradition, on est pas dans la pop où tout le monde se tire dans les pattes et se poignarde dans le dos.

Lequel de tes disques est-ce que tu conseillerais à quelqu’un qui souhaiterait découvrir Megadeth ? Celui qui représente le mieux le groupe et sa musique, selon toi.
Ça peut sembler cliché comme réponse, mais Dystopia est vraiment le disque qui représente le mieux Megadeth depuis longtemps. C’est un album qu’on aurait pu sortir après Countdown To Extinction, ça aurait été une suite logique. Je dirais Killing Is My Business, Peace Sells, Rust In Peace, Countdown To Extinction et Dystopia, ce sont mes 5 préférés.

Tu as récemment déménagé à Nashville, pour faciliter la vie de ta fille, qui fait carrière dans la musique country. Qu’est-ce que tu as appris en côtoyant ce milieu ?
Eh bien, le truc qui m’a le plus surpris, c’est le nombre de musiciens country qui sont également fans de metal. La plupart de ceux que j’ai rencontré connaissaient Megadeth et adoraient le groupe. C’est aussi une ville qui a quelque chose de flippant : tu peux aller au resto et réaliser que le serveur qui s’occupe de toi est 100 fois meilleur guitariste que toi. Il y a des tas de gens talentueux partout dans cette ville. Ça te permet de relativiser. D’être un peu plus humble.


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