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De l’art de faire du Flat track avec sa moto

Cet article a initialement été publié sur VICE Qébec.

Pendant près d’un siècle, les gens se sont rassemblés aux foires des villages ainsi qu’en périphérie des grandes villes canadiennes afin de prendre part à des courses de motos sur des circuits en terre battue. Quand on regarde de près ce genre de course et qu’on voit les motos vrombir autour du circuit ovale d’à peine 200 mètres, on voit tout de suite que les coureurs sont des cowboys aux nerfs solides. Ils accélèrent à fond dans la ligne droite et prennent les virages en dérapage contrôlé coude à coude. La chaussure revêtue d’acier qu’ils portent au pied gauche racle le gravier alors qu’ils transfèrent leur poids pour aider à soutenir la moto, penchés à tel point que le guidon effleure la piste. En dépit de l’impression de chaos que donne la scène au premier abord, la maîtrise qu’ont ces motocyclistes est impressionnante.

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Depuis 2014, dans le but de rendre le sport plus accessible, Flat Track Canada a mis sur pied son école Go Flat Track au circuit Paris Speedway de Paris, en Ontario, afin d’enseigner les rudiments de la course à tous ceux qui ont le cœur assez solide pour prendre ces virages à fond la caisse. Nous sommes allés observer quelques pilotes à l’entraînement afin d’en apprendre davantage sur cette discipline spectaculaire.

Selon Aaron Hesmer, président de Flat Track Canada et instructeur en chef de Go Flat Track, la course sur un circuit ovale en terre battue tire ses origines dans les premières courses de motos sur pistes de bois, en vogue dans les années 1920, mais elle a connu une plus grande popularité dans les années 1950, avec la création du Grand National Championship des États-Unis. Et c’est en 1971, que Steve McQueen immortalisera le sport avec le réalisateur Bruce Brown dans le film On Any Sunday, qui attira l’attention du grand public sur la course Flat Track sur terre battue. C’est avec des coureurs comme le champion Mert Lawwill et sa moto de course Harley-Davidson XR-750 – conçue expressément pour ce type de course et gagnante du plus grand nombre de courses de l’histoire de l’AMA (American Motorcycle Association). Presque 50 ans plus tard, les images de ces courses historiques immortalisées dans ce documentaire sont toujours aussi excitantes, en dépit de la narration ringarde des années 70.

Au Canada, le Flat Track a connu son apogée dans les années 1970 et 1980, avant de pratiquement sombrer dans l’oubli à la fin des années 2000, éclipsé par les courses de motocross et de superbike. « En 2007, il ne restait au Canada qu’une cinquantaine de coureurs et trois circuits en activité au moment où nous avons fondé Flat Track Canada », explique Hesmer. « Mais aujourd’hui, on dénombre 27 circuits répartis dans six provinces avec environ 600 coureurs. »

Contrairement au Supercross, avec ses sauts spectaculaires et ses prouesses acrobatiques, ou aux avancées technologiques mesurables en MotoGP, la course sur un circuit ovale en terre battue est accessible, autant pour les coureurs que pour les spectateurs. « Vous n’avez pas besoin de dépenser 50 000 dollars pour participer à une course », explique le coureur vétéran Chris Evans. Et côté spectateurs, poursuit Hesmer, ils sont ravis de voir des néophytes concourir et comprendre les nuances de ce sport en un après-midi. « Et il y a toujours la vitesse avec des coureurs qui n’hésitent pas à prendre des courbes à 180 km/h », ajoute-t-il en s’esclaffant.

La journée de boulot a été intense, et faire des tours de piste avec une poignée de débutants est une chose, mais avaler de la poussière derrière de vrais coureurs en est une autre.

C’est le sentiment familial et l’esprit de communauté qui unit ce groupe de coureurs. S’ils sont tous animés par l’esprit de compétition et par le désir de gagner, ils sont quand même toujours prêts à donner un coup de main à un coureur en difficulté en insistant sur l’importance du lien communautaire entre les coureurs. C’est peut-être avec l’absence de faramineux contrats de sponsoring que le sport a pu conserver sa pureté. Si les quatre coureurs présents à l’entraînement auquel j’ai pris part ont grandi en faisant de la moto et débuté sur les circuits de terre battue à l’adolescence, le profil type du coureur évolue avec la popularité croissante du Flat Track. Comme me l’a confié le septuple champion canadien Don Taylor, « le plus grand facteur de croissance de la course sur terre battue, c’est le fait que les gens peuvent l’essayer. L’école Go Flat Track permet à tous de s’initier, par ce fait rendant le sport beaucoup plus accessible. »

Le sport est tellement accessible que lorsqu’ils ont su que j’avais participé à une journée de formation au printemps dernier, tous les coureurs m’ont encouragé à revêtir mon équipement et à me joindre à eux sur la piste.

Mon premier souci était de ne pas me mettre sur leur chemin. Ces gars-là travaillent la semaine et ont un emploi du temps serré. La dernière chose dont ils ont besoin, c’est d’un touriste qui avance à pas de tortue, créant un embouteillage qui ruine leur séance d’entraînement du week-end. Le circuit muré est très serré et donne presque un sentiment de claustrophobie. Je suis habitué à naviguer autour des tramways et à me faufiler dans la circulation à Toronto, mais quand on lance à fond une puissante moto de course dans le circuit circulaire, les courbes arrivent vite et je suis encore loin des meilleurs quand vient le temps de contrôler les dérapages dans les virages. Les coureurs, en dépit de leur esprit de compétition, se sont montrés très encourageants et même accueillants, alors que je ne pensais qu’à rouler super vite. Hesmer, qui roulait devant moi, m’a fait signe de le suivre et nous avons accéléré la cadence. Durant une pause, après quelques douzaines de tours, Taylor m’a expliqué que dans ce sport où tout repose sur l’équilibre précaire entre la maîtrise et la catastrophe, la finesse est essentielle. « Ou tu gagnes, ou tu te plantes. Il n’y a qu’un millimètre entre l’équilibre et un décrochage ».

Vétéran de la discipline, Chris Evans est bien placé pour savoir que la frontière est mince entre la victoire et la catastrophe. Il m’a confié qu’il a vécu sa meilleure expérience dans ce sport en 2002 à Lima, en Ohio, au guidon d’une XR 750, quand il est devenu le coureur le plus âgé à remporter une première victoire à l’AMA Pro. Toutefois, sa pire journée a commencé par une mauvaise chute à New York le laissant paralysé pendant des semaines. Alors que les médecins hésitaient à établir un pronostic sur son rétablissement, il leur a fait un coup à la Uma Thurman dans Kill Bill Vol. 1. Grâce à sa volonté, il est parvenu à faire bouger son gros orteil. « J’ai commencé par le gros orteil de mon pied droit, juste en me disant “Tu vas bouger, mon salaud”. Au bout d’une heure, c’était bon ! J’ai crié au médecin : “Venez voir ! Regardez ça !” Deux jours plus tard, ça a commencé à revenir. »

J’avais encore fraîchement en tête les histoires d’accident quand nous sommes retournés sur le circuit. J’étais encore hésitant au milieu des coureurs dans les virages, même si Hesmer m’avait rassuré en me disant que tout le monde avait assez d’expérience pour anticiper ma gaucherie et éviter les collisions majeures. Tous les coureurs se voient comme des ambassadeurs de leur sport. Ils ont fait de la moto toute leur vie et veulent partager leur passion. Ils encouragent les petits nouveaux à s’habituer aux chocs et aux coude à coude qui sont monnaie courante dans la course sur ovale de terre battue. Pour m’en faire une démonstration, Hesmer m’a dépassé sur ma droite alors que je dérapais dans un virage. Je ne me suis rendu compte de sa présence que lorsqu’il m’a pincé la fesse droite en me dépassant.

Quelques secondes plus tard, j’ai senti un autre pincement, et c’était alors un autre pilote, Brandon Seguin, qui signalait sa présence par ce geste qui semble être leur façon de se manifester. Après quelques tours, j’ai commencé à être plus à l’aise pour prendre les virages en épingle avec d’autres motos tout près de moi. Apparemment, l’apprentissage par pinçage de fesse a marché et je suis parvenu, je ne sais trop comment, à ne pas me planter. J’en conclus que je suis sur la bonne voie.