Culture

De l’importance de soutenir les skateshops en Belgique

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Toute la culture et l’art de vivre de la scène locale du skate est à découvrir dans notre série VICE « LE SKATE EN BELGIQUE ».

Ces dernières années, on se tourne de plus en plus vers le shopping en ligne, histoire de rester confortablement dans notre canapé et dépenser le moins possible. Les boutiques à travers le pays doivent donc lutter pour leur survie et faire preuve de créativité pour garder leurs client·es.

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Cependant, les magasins de skate ne sont pas des magasins comme les autres : au delà de la gestion du magasin, ils organisent des compétitions de skate, des camps, des avant-premières de films, des soirées et bien plus encore, tout ça pour la communauté skate locale. Les skaters assidu·es le savent et préfèrent dépenser leur argent dans des magasins physiques. Mais pour la nouvelle génération, qui a grandi avec le shopping en ligne, ça ne va pas forcément de soi.

Si le magasin du coin ne s’en sort plus, ce sera une grande perte pour notre scène locale. C’est précisément pour ça qu’il est important de rappeler l’importance d’acheter vos équipements de skate dans un vrai skateshop.

J’ai rencontré cinq gérants de skateshops pour discuter de la montée du shopping en ligne, de comment ils s’adaptent et de pourquoi ils ont besoin de votre soutien.

Jones (42 ans) de TWITS à Louvain

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« Mon père a lancé TWITS en 1983. À l’époque, c’était encore un magasin de seconde main qui vendait de tout et les premiers skateboards sont arrivés plus tard. J’ai grandi là-dedans, j’ai commencé à y travailler il y a 21 ans et j’ai vu la boutique se transformer en un vrai magasin de skate il y a environ 15 ans. On a aussi eu une boutique en ligne, ça demandait trop de temps. Après deux ans d’essai, on s’est rendu compte que les gens préféraient venir dans la boutique, donc on s’est retiré de la vente en ligne. Gérer un magasin de skate en ligne, c’est comme être une sardine au milieu d’un océan rempli d’orques assoiffées de sang.

« Gérer un magasin de skate en ligne te donne vraiment l’impression d’être une sardine au milieu d’un océan rempli d’orques assoiffées de sang. »

Maintenant qu’on n’a plus que la boutique, on peut vraiment se concentrer à 100% là-dessus. À côté de ça je continue à skater toutes les semaines. Avant je skatais partout en Belgique car on n’avait pas encore de skatepark ici. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai fait de nombreuses rencontres qui nous soutiennent encore aujourd’hui. On a créé une ASBL avec la scène locale et chaque année, on organise un grand concours où tout le monde se déguise suivant un thème et des cours de skate pour les jeunes. Pour le Go Skateboarding Day aussi on organise toujours un événement.

« Les grandes marques telles que Nike et Adidas s’intéressent de moins en moins aux petits magasins de skate ; tout ce qu’elles veulent c’est leur logo sur des uniformes olympiques. »

Gérer un magasin en 2019, c’est très différent de ce que c’était à mes débuts. On a vraiment remarqué qu’il était devenu plus difficile de travailler avec certaines marques. À l’époque, elles avaient besoin de nous pour se faire connaître. Maintenant, le skate est vraiment devenu un business et souvent on ne peut plus obtenir certains produits. Les grandes marques telles que Nike et Adidas s’intéressent de moins en moins aux petits magasins de skate ; tout ce qu’elles veulent c’est leur logo sur des uniformes olympiques.

J’espère qu’on pourra exister longtemps, mais ça dépend principalement de la nouvelle génération. J’espère que les jeunes savent pourquoi il ne faut pas uniquement acheter en ligne. »

Sander (27 ans) de PUSH à Hasselt

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Sander et Zwangere Guy

« PUSH aura quatre ans en juin, alors quand on a commencé, les grands magasins de skate en ligne étaient déjà bien connus. Du coup je peux difficilement parler de la gestion d’un magasin avant l’arrivée du shopping en ligne. Je ressens surtout l’impact des autres boutiques situées à proximité. Elles obtiennent l’exclusivité sur certaines marques parce qu’elles sont clientes depuis des années. C’est dommage, car ça empêche une concurrence saine. Tout cela ralentit notre croissance… J’aimerais juste qu’on ait tous les mêmes chances.

Je pense que le skate est en plein buzz, certainement à Hasselt. Cet été, j’ai vendu beaucoup de hardware et de planches complètes à des petit·es qui commencent le skate. Ce sont souvent des étudiant·es qui se lancent après avoir vu leurs potes d’école skater.

« Je ne connais aucun autre magasin où tu peux venir chiller, manger ton sandwich ou jouer à la PlayStation. »

On essaye également d’organiser des trucs pour la scène locale, plus que des skatejams ou des compètes. Par exemple, on a récemment réalisé une collaboration avec Zwangere Guy. Puis on a aussi notre ligne de vêtements PUSH, pour laquelle on a beaucoup de demandes. On organise aussi des soirées pour les avant-premières de films de skate. On l‘a fait dernièrement au Muziekodroom ; on était le seul magasin en Belgique à pouvoir diffuser Pass-Port en entier. C’était cool d’avoir cette exclusivité à Hasselt plutôt qu’à Londres, New York, Paris ou Tokyo.

Donc oui bien sûr, j’espère qu’on pourra exister encore longtemps. Si les boutiques physiques venaient à disparaître, je suis certain que les skaters les regretteront. C’est un point d’entrée pour les skaters débutant·es et un endroit où on peut toujours se poser et discuter. Je ne connais aucun autre magasin où tu peux venir chiller, manger ton sandwich ou jouer à la PlayStation. »

Yves (51 ans) de RIDE ALL DAY à Bruxelles

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« RAD était l’un des premiers magasins de skate en Belgique. L’époque avant le shopping en ligne était bien sûr très différente. J’en ressens l’effet, mais chez nous ce n’est pas extrême comparé à d’autres magasins de skate qui en souffrent beaucoup plus. Nous, on a une clientèle fidèle qu’on a construite au fil des années. On a même des client·es qui ont acheté leur tout premier skateboard ici il y a vingt ans et qui reviennent toujours. Si ces client·es n’achètent pas leur matériel en ligne, c’est pour nous soutenir, et on en est très reconnaissants.

« On parle souvent d’acheter local pour le bien de notre économie et de l’environnement, mais le shopping en ligne, c’est tout l’inverse. »

Afin de rendre quelque chose aux client·es, on sponsorise et on aide les personnes qui organisent des choses autour du skate à Bruxelles. Tout simplement parce qu’on veut que la scène skate locale se développe ici. J’aime beaucoup travailler avec les gens de BYRRRH parce qu’ils sont très DIY et qu’ils font beaucoup pour la scène skate locale. La Ville de Bruxelles ne fait absolument rien, donc on doit le faire nous-mêmes. On soutient également l’organisation Raion, qui propose des camps et des compétitions de skate aux enfants. On leur file des planches et autres équipements.

Au fil des années, j’ai aussi tissé des liens avec mes distributeurs. Ils savent qu’on est un petit magasin et ils me soutiennent vraiment. De toute façon, je ne veux pas travailler avec de grandes marques comme Nike. Pour moi, elles n’ont pas leur place dans le skateboard. J’essaie de garder mes prix aussi bas que possible, parfois même plus bas qu’en ligne.

Le pire dans tout ça, c’est que la plupart des skateshops en ligne ne sont pas basés en Belgique. On parle souvent d’acheter local pour le bien de notre économie et de l’environnement, mais le shopping en ligne, c’est tout l’inverse.

Le fait de soutenir les boutiques locales présente aussi des avantages. Par exemple, si ton bearing se casse, tu peux te ramener au magasin le plus proche pour en acheter un nouveau. Un bon magasin de skate que tu visites souvent pourrait même t’en donner un d’occasion gratuitement pour que tu puisses continuer à skater. En ligne, ce n’est pas possible. »

Ramsy (27 ans) de SLAM à Gand

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« Je travaille dans des skateshops depuis au moins six ans et j’ai remarqué que les jeunes se tournent plus facilement vers les achats en ligne, notamment parce que c’est moins cher. Tu trouves des prix ridiculement bas sur les grands sites de skate. On ressent vraiment la différence, du coup il faut investir plus de temps et offrir plus à la communauté qu’auparavant. En fait il faudrait vraiment sensibiliser les jeunes quant à l’importance des skateshops physiques.

Avec SLAM, on organise des événements, comme des compètes de skate, et on collabore avec d’autres organisations telles que Slamfest ou les camps de jeunes de Kapow qui apprennent aux enfants à faire du skate. Iels bénéficient également d’une réduction dans notre boutique. On fait tout ça pour rester proche de la scène locale. C’est l’essence même d’un magasin de skate.

« Neuf fois sur dix, une personne qui travaille dans un skateshop fait du skate, du coup elle voudra te donner de vrais conseils et partager sa passion avec toi. T’as pas ça en ligne. »

Neuf fois sur dix, une personne qui travaille dans un skateshop fait du skate, du coup elle voudra te donner de vrais conseils et partager sa passion avec toi. T’as pas ça en ligne. Si les magasins physiques meurent et qu’on se concentre uniquement sur le net, il manquera l’échange, le service et l’expertise de la personne qui y travaille.

Les grandes marques de skate ont grandi grâce aux magasins physiques et non les boutiques en ligne. Je pense qu’elles en ont conscience et qu’elles préfèrent travailler avec les magasins locaux. Une boutique de skate a une âme, contrairement aux skateshops en ligne où il suffit de cliquer et acheter. »

Sven (45 ans) de LOCKWOOD à Anvers

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« J’ai ouvert Lockwood en 1996 et j’ai vraiment assisté à la montée des boutiques en ligne. Les skateshops en ligne ont connu un réel essor en Allemagne ces dernières années, et ça a influencé la Belgique. En 2003-2004, le skate était très populair. On vendait à longueur de journée. Maintenant, le skate est peut-être plus connu que jamais, mais ça ne ressent pas dans les ventes puisque les skateshops en ligne s’accaparent du marché.

« Le skate est peut-être plus populair que jamais, mais ça ne ressent pas dans les ventes puisque les skateshops en ligne s’accaparent du marché. »

On essaye vraiment de maintenir notre relation avec les locaux afin que Lockwood reste ouvert le plus longtemps possible. On soutient aussi une équipe qui fait de son mieux pour représenter le magasin. On fait aussi régulièrement des skatejams au Stadsschouwburg d’Anvers et des compétitions au skatepark où on offre des skates et de l’argent aux gagnant·es.

On reçoit pas mal de soutien de l’industrie du skate. Le truc c’est que les grandes marques se concentrent surtout sur les grandes villes et on la chance d’être situé à Anvers. En fait, les marques investissent dans les boutiques locales parce que ça leur donne plus de crédibilité. Elles savent qu’on renforce leur image.

« On n’est pas prêts de mettre la clé sous la porte. »

Les skateshops continueront-ils d’exister pour toujours ? C’est difficile à dire, mais je pense qu’on n’est pas prêts de mettre la clé sous la porte. On a lancé notre boutique en ligne il y a un petit bout de temps et je dois dire que c’est un vrai investissement. On essaie d’offrir un maximum en ligne, à l’exception de quelques pièces. La combinaison du magasin physique et en ligne fonctionne très bien pour nous car, pour beaucoup de gens, le site est une sorte de vitrine de ce qu’on a dans notre boutique. Mais si le magasin physique venait à disparaître, tout deviendra beaucoup plus superficiel et ça aura un impact sur l’ambiance au sein de la communauté. On ne pourra plus simplement passer au shop pour checker les nouveautés ou chiller avec ses potes. »

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