« De vieux messieurs ont encore décidé ce qui est bon pour les femmes »

Conséquence directe de l’effet #metoo, Liberty Media, l’entreprise américaine propriétaire de la Formule 1 depuis janvier 2017, a supprimé les Grid Girls – ces filles qui, talons aux pieds, déambulaient sur le bitume chauffé avant les courses. « Cette tradition ne correspond pas à notre image de marque et va clairement à l’encontre des normes sociétales modernes », a affirmé Sean Bratches, directeur des opérations commerciales de l’entreprise. Empêcher pour protéger. Mais, l’image de la femme ou…celle de l’entreprise ? Pour Tania, 23 ans, qui a foulé l’asphalte de Silverstone ces trois dernières années, la question se pose : « ce qui est sexiste, c’est qu’ils aient supprimé notre job sans sous demander notre avis ! Combien de femmes ont été consultées ? Aucune. Encore une fois, ce sont donc de vieux messieurs qui ont décidé ce qui est bien, ou non, pour les femmes ».

Clairement, ce n’est pas parce qu’elles sont jolies qu’elles acceptent de se laisser prendre pour des idiotes. D’ailleurs, elles n’ont pas forcément choisi ce métier parce que leurs capacités cérébrales les auraient privées d’autres opportunités. Au contraire : « Moi, je suis passionnée de Formule 1, et d’automobile en général. Être au cœur de l’action, entre les mécaniciens, les pilotes, les voitures, c’était un vrai truc à vivre, pour la fan que je suis ! », raconte Sabrina, 28 ans, Cannoise qui gagne très correctement sa vie comme mannequin, quand elle ne joue pas les grid girls. Pour Catharina, 23 ans, étudiante en sciences économiques à Cologne, en Allemagne, le job lui a surtout offert l’occasion de voir du pays : « être payée pour voyager, c’était cool ! », lance-t-elle. Question argent, la plupart reste discrète car une clause contractuelle stipule qu’elles n’ont pas le droit d’en parler. Mais Tania, 24 ans, elle, lance sans complexe : « L’année dernière, j’ai gagné à peu près 300 euros lors du week-end du Grand Prix de Grande-Bretagne. Et ça m’allait plutôt bien », raconte la jeune anglaise, qui a grandi dans un foyer modeste de Newcastle.

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« Est-ce que je suis une “femme-objet” ? Personne ne reproche à un vigile d’être un “homme objet” ! » – Catharina, étudiante en économie et ex-grid girl.

Quoi qu’il en soit, les grid girls feraient donc partie de ces « femmes-objets » destinées à faire en sorte que les hommes s’agglutinent devant leurs téléviseurs. Les principales intéressées ne s’en défendent pas forcément – du moment qu’elles y trouvent leur compte. « Moi, je suis étudiante, et ces cachets m’ont bien aidé, explique Catharina. Après, est-ce que je suis une femme-objet parce que je fais ça ? Personne ne reproche à un vigile qui joue les gros costauds à l’entrée d’un magasin, qu’il est un « homme-objet », ni qu’il montre une image dégradante de l’homme ! ». Pas faux – d’autant que dans ce job-là aussi, la personne n’est utilisée que pour son corps. L’approche de Tania est plus terre à terre. « Je ne me soucie pas de savoir si je suis une “femme-objet” ou non. Pour moi, qui suis mannequin, c’est juste un moyen de gagner de l’argent. Donc, de ce point de vue là, c’était un job plutôt facile, puisqu’il n’y avait pas à passer de casting. Et puis, c’est plutôt bien payé. Donc, c’est con qu’ils l’aient supprimé. » Les deux jeunes femmes se voient déjà rebondir sur des épreuves « moins prestigieuses » en Formule 2 et 3 et/ou en Moto GP. « La Formule 1, c’était sur deux jours, il y avait plus d’heures, donc c’était mieux payé. Tout ce que j’espère, maintenant, c’est que les autres compétitions automobiles ne vont pas s’en inspirer, ce serait dommage », soupire Catharina.

Désormais ce sont donc des enfants, les Grid Kids, apprentis-pilotes, qui seront sur le bitume avant le départ des courses. Ce qui met Tania en colère : « jamais je n’enverrai mon enfant sur une grille de départ : avant une course, il y a les gaz d’échappement, les odeurs de produits chimiques… Ça peut être dangereux pour un enfant ! » peste-t-elle, balayant la concurrence d’un revers de main manucurée.