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La mort du hobo américain

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TERMINUS POUR LA NATIONAL HOBO CONVENTION

Photos: Jackson Fager

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Les voies ferrées avaient survécu dans les austères ténèbres numériques de 2001 : l’Odyssée de l’espace, relique d’un temps où monstres d’acier et wagon Pullman déchirait l’encre noire des contrées sauvages. Dans la matrice infinie des rues, voitures, antennes téléphoniques, industries, maisons, boulots et familles, les voies ferrées sont une trappe de sortie, une brèche, une exception où règnent encore le silence et l’anarchie.

La plupart des gens savent que vers le milieu des années 1800, Henry David Thoreau s’est installé dans un chalet sur les rives d’un petit étang à l’écart de sa ville natale de Concord, dans le Massachussetts ; il y a vécu deux ans, durant lesquels il a écrit Walden. Ce que beaucoup ignorent, c’est que son chalet était à moins de 100 mètres d’une voie ferrée menant à Concord et à 30 minutes de marche de la maison de sa mère. Je ne peux qu’imaginer que lors des nuits solitaires dans son petit chalet, le sifflement des trains résonnant dans la forêt au plus noir de la nuit renforçait sa détermination face à la tâche qui l’attendait, lui rappelant que malgré son isolement, il faisait quand même partie de l’humanité.

J’ai grandi dans le centre de la Caroline du Nord, où les trains de marchandises sont un élément vital du paysage. Juste après mes 18 ans, par une fraîche après-midi d’automne, j’ai sauté pour la première fois dans un train de fret, quittant le centre de Raleigh avec mon ami Doug McPherson. Mon ami Cricket, vétéran de la resquille, nous avait donné une petite carte dessinée à la main pour nous aider à nous repérer une fois arrivés à la gare de triage de Linwood, dans l’ouest de la Caroline du Nord. Il donnait le même conseil à tous les novices, invariablement : « Couche-toi et reste planqué. »

À peine sortis de Raleigh, on s’est empressés d’ignorer le conseil de Cricket : on s’est assis sur la plate-forme de notre wagon, à la vue des voitures qui s’arrêtaient aux passages à niveau. Saluer les automobilistes avait quelque chose d’incroyable – lorsqu’ils nous voyaient, leur visage s’illuminait et ils nous montraient du doigt en disant : « Regardez ! Des hobos ! »

Le paysage le long des voies ferrées est différent de celui qu’on voit par la fenêtre d’une voiture – pas de stations-service, de panneaux publicitaires, de bars, de trottoirs ou de passages piétons. C’est un monde de parcelles à l’abandon et d’ombres jetées par des projecteurs d’arrière-cours, de chiens errants et de clochards avinés, de blocs de béton et de poteaux téléphoniques engloutis par la vigne.

Avec notre carte écornée, en route vers des lieux inconnus, Doug et moi nous sentions comme les premiers pionniers américains partant à l’aventure. C’est là qu’est né mon amour tordu et largement inassouvi du voyage en train de marchandises.

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