Cet article a été initialement publié sur VICE Autriche et traduit par VICE France.
En août 2017, une jeune recrue de l’armée autrichienne de 19 ans est morte de déshydratation lors d’un entraînement officiel. L’Autriche est l’un des rares pays européens à maintenir en vigueur le service militaire obligatoire – les hommes doivent servir pour une durée de six mois à leur majorité. Depuis que le décès du mois d’août a fait les gros titres locaux, les conscrits sont de plus en plus nombreux à lever le voile sur les mauvais traitements infligés dans l’armée dans les médias autrichiens.
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Un procureur local enquête actuellement sur l’incident afin de déterminer s’il s’agit ou non d’un « homicide par négligence » – la question étant de savoir si le supérieur de la recrue en question l’a mis en danger volontairement. Par ailleurs, le ministre de la Défense autrichien a annoncé l’ouverture d’une enquête distincte portant sur les règlements actuels au sein du service militaire obligatoire.
Afin de mieux comprendre comment surviennent les mauvais traitements au sein de l’armée, la rédaction de VICE Autriche a demandé aux lecteurs de partager leur expérience personnelle. Les réponses ont été massives. Certains récits étaient positifs – des anciennes recrues évoquaient des instructeurs géniaux et un changement pour le meilleur. Mais les nombreuses réponses négatives faisaient état de mauvais traitements similaires – des punitions humiliantes, un manque de considération pour la santé et une absence de sécurité pour les recrues.
Nous avons retenu sept des vingt récits initialement sélectionnés par VICE Autriche – tous publiés sous couvert d’anonymat. Bien entendu, il est très difficile de vérifier les faits de ces expériences personnelles – en particulier si elles datent de plusieurs années. Néanmoins, nous avons pensé qu’elles méritaient d’être entendues. Contacté par VICE, le ministère de la Défense autrichien a promis d’examiner toutes les plaintes officielles.
« Il était blanc comme un linge, couvert de vomi et trempé de sueur. »
« Une semaine avant la fin de notre entraînement de base, nous avons dû parcourir dix kilomètres. L’une des recrues avait été alitée pendant trois jours à cause de graves douleurs à l’estomac, mais a été contrainte de se joindre à nous malgré tout. Le jeune homme n’avait presque rien avalé depuis plusieurs jours. Le jour de la marche, il s’est évanoui après le premier kilomètre. Mais au lieu de l’aider, notre instructeur lui a crié dessus. “Tu es une honte pour notre pays”, a-t-il hurlé encore et encore. “Tu ne deviendras jamais rien”.
Le gars a essayé de poursuivre, mais il a perdu connaissance à plusieurs reprises. Au bout de six kilomètres, il était blanc comme un linge, couvert de vomi et trempé de sueur. Finalement, il a été ramené à la caserne. Quand nous avons terminé la marche et regagné la base, il n’avait toujours pas vu de médecin. Pire encore, les instructeurs l’ont contraint à participer à d’autres exercices. Il a essayé, mais s’est évanoui à nouveau et a été pris de spasmes peu de temps après avoir repris connaissance.
Ce n’est qu’après qu’une autre recrue a tenté de calmer ses spasmes qu’un médecin a été appelé. Puis, le médecin a constaté qu’il avait des calculs rénaux. Il a finalement été congédié à cause de sa maladie. »
« Mes instructeurs m’ont dit qu’ils avaient hâte que je me suicide. »
« Au début de mon service, j’avais de graves problèmes de genou. Après être allé chez le médecin, ce dernier m’a envoyé un mot disant que je ne devrais pas participer à des exercices qui durent plus de dix minutes à la fois.
J’en ai fait part à mon commandant, qui m’a conseillé de jeter le mot, précisant que toute l’unité serait punie à chaque fois que je ne compléterai pas un exercice. J’ai décidé de ne pas écouter ce conseil, mais il s’est avéré qu’il avait raison – à chaque fois que je ne pouvais pas terminer un exercice, les instructeurs punissaient l’ensemble du groupe. Il n’a pas fallu longtemps avant que mes 200 camarades ne me détestent.
Les instructeurs ont finalement trouvé un autre moyen de s’assurer que je participe à chaque exercice – exactement neuf minutes et 30 secondes d’exercice, suivies d’une pause de 30 secondes avant de continuer. Vous vous doutez bien que ces 30 secondes ne suffisaient guère à me soulager, et à chaque fois que je décidais de supporter la douleur et de ne pas prendre de pause, ils me punissaient pour avoir « négligé mon devoir militaire de protéger ma propre santé ». Une fois, ils m’ont contraint à rester sur un tabouret dehors par moins dix degrés pendant des heures, sans bouger. Les autres ont été forcés de rester à l’extérieur dans le froid encore plus longtemps que moi. Mais cela ne s’est pas arrêté là – un de mes instructeurs me faisait régulièrement rester en fin de queue pour le déjeuner, de sorte que, quand arrivait enfin mon tour, il n’y avait plus de nourriture.
Pendant ce temps, mon genou a tellement enflé que je devais porter des pantalons quatre fois trop grands et prendre cinq à dix analgésiques par jour. La nuit, les autres recrues me battaient, le jour, elles me crachaient dessus. Une fois, deux instructeurs sont venus me voir et m’ont dit qu’ils avaient hâte que je me suicide, qu’ils célébreraient ma mort en pissant sur ma tombe. Ouais, c’est ce qui s’est passé, et je peux vous dire que j’en fais encore des cauchemars. »
« Je me suis délibérément cassé le bras pour être renvoyé. »
« Lorsque j’ai été appelé, un gars de mon unité est mort. Il s’est évanoui après avoir été forcé à faire des pompes pendant des heures, sous une douche froide, en plein milieu de l’hiver. C’était dans les années 1980, mais il est évident que ça n’a beaucoup changé depuis. Je pense que les médias méritent de s’y intéresser un peu plus, car je n’ai jamais vu de véritable reportage à ce sujet.
Nos instructeurs étaient généralement horribles. Une fois, nous avons trouvé des souvenirs nazis cachés dans les bureaux des officiers subalternes. Le seul moment amusant de mon service a été lorsque l’un de mes instructeurs était tellement ivre qu’il a commencé à tirer en l’air en pensant que nous étions attaqués par les Russes.
Au bout d’un moment j’en avais tellement marre que je me suis délibérément cassé le bras en descendant les escaliers. Après ça, ils n’avaient pas d’autre choix que de me renvoyer. »
« On nous a dit que nous n’avions pas besoin de vêtements appropriés. »
« J’ai découvert que je faisais de l’asthme juste avant d’entamer mon service. Parce qu’il existait un risque de collapsus pulmonaire, mon médecin m’avait donné des instructions strictes : ne pas courir plus d’un kilomètre à la fois, ne pas marcher plus de trois kilomètres à la fois. Mes instructeurs étaient très conscients de mon état, mais me forçaient souvent à marcher sur plus de six kilomètres ou à parcourir de haut en bas une même montagne. Nous n’étions pas autorisés à nous reposer, ni même à nous arrêter pour faire nos lacets. À l’heure du déjeuner, j’étais tellement fatigué que je n’arrivais pas à manger.
En hiver, nous étions dehors toute la journée, à des températures inférieures à zéro, sans vêtements appropriés. Je suis tombé malade. On nous a dit que nous n’avions pas besoin de veste parce que nous étions « de vrais hommes », et non des « tapettes ». À cause du froid, mes testicules se sont enflammés – je ne savais même pas que c’était possible. De toute évidence, les instructeurs ont trouvé ça très drôle. »
« On m’a interdit de venir en aide à un camarade inconscient. »
« Un matin, pendant mon service, on nous a tirés hors du lit vers 6 heures du matin pour faire l’appel. Alors que nous étions debout en ligne, un de mes camarades s’est évanoui à côté de moi. Naturellement, mon instinct a été de l’aider, mais notre instructeur m’a ordonné de le laisser. Je n’ai jamais compris pourquoi je n’avais pas eu le droit de faire quoi que ce soit, ça n’avait aucun sens. Il a fallu attendre dix minutes avant qu’il ne bénéficie de soins médicaux.
Je ne veux dissuader personne de rejoindre l’armée, mais je doute que ces méthodes soient nécessaires. Le seul aspect positif de mon service est que j’ai rencontré beaucoup de gens formidables. Des années plus tard, je suis toujours ami avec certains de mes anciens camarades. »
« J’étais à deux doigts de me faire amputer les pieds. »
« Pour moi, tout a dégénéré lors de la marche finale, après notre entraînement de base. La nuit, nous dormions dans des tentes si petites que nos pieds restaient au froid, et la journée, nous devions marcher pendant des heures à travers la nature sauvage en portant notre équipement intégral et nos sacs à dos trop lourds. Nous ne faisions jamais d’arrêt et devions supporter la douleur.
Une fois l’entraînement terminé, j’ai passé mon week-end à la maison, incapable de marcher à cause des terribles ampoules que j’avais aux pieds. Le lundi suivant, je suis allé à l’hôpital pour les faire soigner. J’ai compris l’ampleur de la situation quand plusieurs médecins se sont rassemblés autour de moi comme si j’étais une sorte de curiosité médicale. On m’a dit que mes ampoules étaient gravement infectées et pouvaient donner lieu à une septicémie. Mon médecin m’a expliqué que si j’avais attendu plus longtemps, ils auraient dû amputer mes pieds. »
« Deux recrues se sont évanouies à cause d’un emballage de barre chocolatée. »
« Lorsque j’ai entendu parler de la recrue décédée en août dernier, j’ai aussitôt repensé à mes propres expériences. Un jour, au milieu de l’été, un instructeur a trouvé un emballage de barre chocolatée dans les toilettes. Puisque personne ne voulait admettre l’avoir mangée, nous avons été obligés de courir pendant des heures sous une chaleur étouffante et affublés de notre équipement de combat complet. Deux mecs se sont effondrés sur le bord de la route.
Je dois dire que je ne suis pas surpris que quelqu’un soit décédé cet été. Lorsque vous poussez les gens à de tels extrêmes, à de tels défis physiques et psychologiques, la mort n’est vraiment qu’une question de temps – vraiment. »