​Déconne football club : au milieu des supporters de la seule équipe pro de Nouvelle-Zélande

Auckland, samedi 4 mars : le Wellington Phoenix reçoit le Perth Glory en A-League, le championnat majoritairement australien de football. L’affiche est intrigante. Les Néo-Zélandais n’en auraient-ils tellement rien à carrer du foot qu’ils font jouer un peu n’importe où les matches de la seule équipe professionnelle du pays ? Auckland a beau rassembler un tiers de la population kiwi, quel sens y a-t-il à faire jouer l’équipe de la capitale à plus de 400 km de sa base pour un match à domicile ? En plus de ça, que fait une équipe néo-z dans le championnat australien ? Les réponses se trouvent aux abords du QBE Stadium, au nord de la ville.

Le stade est situé bien à l’écart du centre dans une zone commerciale assez déserte. A peine y trouve-t-on des grappes de collégiens pubères : c’est à peu près ce que tous les centres commerciaux du monde connaissent le samedi. Les supporters du Phoenix (ou le Nix comme on le surnomme ici) m’ont donné rendez-vous au Merchant bar et en ce début d’après-midi, soleil de fin d’été au beau fixe, ils sont quelques-uns attablés, une bière à la main, maillot jaune et noir sur le dos.

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Sur les forums du club avant la rencontre, on s’inquiétait du peu de publicité fait au match à Auckland. Le week-end est chargé niveau sport, avec un match de l’équipe nationale de cricket qui se déroule dans la même ville, à l’Eden Park, en même temps que la rencontre du Phoenix, et un match du championnat de Super Rugby à Wellington, où les Hurricanes défient Perth. Le football arrive dans tous les cas bien après ces deux sports dans les préoccupations sportives du peuple kiwi : il faut aller chercher dans les dernières pages des quotidiens locaux pour trouver mention du ballon rond. Chez les non-initiés, on se souvient parfois du parcours sans défaite des All Whites au Mondial 2010 (trois matches nuls dont un 1-1 contre l’Italie), mais ça ne va pas plus loin. Alors qu’il est le centre d’intérêt obsessionnel d’à peu près tout le reste de la planète, le foot ici reste une passion marginale, un hobby pour expats et originaux. Une position qui ressemble pourtant à la Nouvelle-Zélande, géographiquement et culturellement : pas vraiment au centre de l’attention, un peu en décalage.

Les supporters du Phoenix se dirigent vers le QBE Stadium, enceinte perdue au nord d’Auckland.

« Ouais, on est assez uniques dans ce sens-là. » Lunettes jaunes et noires sur le nez, Dale Warburton, trentenaire fonctionnaire dans la capitale, semble être supporter du Phoenix avant tout pour le plaisir de se retrouver avec des copains autour d’un terrain où 22 mecs se disputent le ballon, à boire des coups et à gueuler des chants improvisés. Un type de supportérisme qu’on ne retrouve pas dans le rugby ou le cricket. « Je jouais au foot avant la création du Phoenix [en 2007, ndlr] mais je ne suivais pas vraiment les équipes néo-zélandaises. C’est quand je suis allé aux matches de pré-saison et que j’ai vu les gens chanter que j’ai trouvé ça plutôt cool. Le côté divertissement m’a donné envie d’en faire partie. »

Ses collègues de la Yellow Fever (le nom des supporters du club de Wellington) ont à peu près le même parcours : passionnés ou non par le football européen, ils viennent surtout pour la chaleur du groupe, le côté familial traditionnellement associé au mode de supportérisme de leurs cousins britanniques. Ce rassemblement pré-match est d’ailleurs similaire à ceux qui s’opèrent tous les week-ends dans les pubs autour des stades londoniens, mancuniens ou liverpuldiens, ne manque que le nombre. C’est pour l’instant l’heure de l’échauffement, on discute de la rencontre à venir, de celle de la semaine dernière, des joueurs qui veulent partir (le meilleur buteur du Phoenix Roy Krishna notamment, un Fidjien supersonique que tout le monde – et surtout lui – estiment un peu trop bon pour le club)… La spécificité des supporters du Nix, c’est leur célébration de la 80e minute : s’ils mènent à ce moment-là, les fans enlèvent leurs maillots jaunes et noirs et les font tourner au-dessus de leurs têtes. Une tradition qui a déjà dix ans : lors de la première saison du club en A-League, durant un match contre Sydney, la chaleur leur avait fait quitter leurs tuniques. La célébration est restée, qu’il vente ou qu’il pleuve, comme c’est souvent le cas à Wellington.

Patrick et Dale dans les travées du QBE Stadium.

Il y a tout de même un supporter un peu différent des autres dans l’assemblée cet après-midi. Julian, un Allemand de 25 ans, vient d’arriver en Nouvelle-Zélande pour assister au premier match à domicile de son équipe favorite, après les avoir vu jouer la semaine précédente à Brisbane. Pas de cousin néo-zélandais qui l’aurait initié aux qualités du Phoenix ni de passion dévorante pour le pays : non, l’histoire est encore plus aléatoire. « Ça devait être en 2008 ou 2009, on était en hiver et on jouait à FIFA avec un pote. On était tous les deux un peu bourrés. Il avait décidé de prendre le Real Madrid. De mon côté, je voulais prendre une équipe avec une étoile et demie. Le premier championnat qu’on te propose c’est la A-League, du coup, j’ai choisi Wellington. » Peut-être son adversaire était-il bien plus aviné que lui, peut-être qu’un réel miracle vidéoludique s’est produit, toujours est-il que Julian a remporté la rencontre 5-0. Le lendemain, au réveil, c’est toujours l’incompréhension. On rejoue la partie Wellington Phoenix-Real Madrid. Victoire néo-zélandaise encore une fois : 1-0.

« Après ça, j’ai choisi de m’intéresser à l’équipe. Sur FIFA, j’ai fait une carrière comme joueur du Phoenix. Et puis j’ai commencé à suivre les matches en direct, puis à entrer en contact sur Facebook avec les supporters du club.» Par ce biais, il rencontre Nicky, une supportrice de longue date, qui fait partie des tauliers du fan club du Nix. C’est elle qu’il suit pour son premier voyage en terres néo-zélandaises après avoir regardé avec passion tous les matches ou presque de Wellington pendant neuf ans. Ce regroupement familial est d’ailleurs ce qui a conquis Julian et l’a convaincu de supporter une équipe basée à 17000 km de chez lui, plutôt que le VfB Stuttgart, le club de sa ville. « Ici, le résultat, c’est pas le plus important, on protège l’équipe. On n’insulte pas les joueurs quand le club est dans une mauvaise passe par exemple. Je suis dans la police anti-émeutes à Stuttgart, et les jours de matches, on est plus de 1000 pour éviter toute violence entre supporters. Lors du match à Brisbane que j’ai été voir la semaine dernière, j’ai discuté avec les CRS, ils étaient 14 pour encadrer la partie. »

Julian est tellement amoureux du Phoenix qu’il s’est récemment fait tatouer le blason du club sur l’épaule.

Le noyau dur de la Yellow Fever, dont fait partie Dale, a lui fait le trajet ensemble depuis la capitale pour le week-end. Airbnb à 7 ou 8, aller-retour Air New Zealand pour 50 euros, le coût est mesuré pour voir son équipe préférée jouer un peu plus au nord. Pourquoi ici d’ailleurs ? « Il y a plusieurs raisons pour lesquelles on ne joue pas tous nos matches à Wellington, explique Dale. Soit parce que le stade n’est pas disponible. Ce week-end par exemple, il y a du rugby. Le club rentre un peu plus dans ses frais également en jouant à Auckland : les matches dans notre stade de Wellington ne sont souvent pas rentables. Un autre argument, c’est le fait de populariser l’équipe dans tout le pays. Ces dernières saisons on a joué à Auckland donc, mais aussi dans les autres grandes villes du pays : Christchurch, Hamilton, Napier, Palmerston North, Dunedin… » De quoi en faire l’équipe de cœur de tous les fans de foot néo-zélandais, une seconde équipe nationale ? Pas exactement. « Ça reste l’équipe locale de Wellington, ils jouent avec les couleurs de la ville. Je dirais que c’est une équipe de Wellington pour la Nouvelle-Zélande, plutôt qu’une équipe de la Nouvelle-Zélande basée à Wellington. »

Cet intrus dans la ligue australienne n’a pas fait grand bruit pour le moment durant ses dix années d’existence. Pas de signature bling-bling comme un Del Piero au Sydney FC – c’était en 2012 – pas de parcours historique en play-offs, pas de joueur révélé aux yeux du monde du football… Le club s’est juste taillé une bonne réputation au niveau de l’ambiance auprès des équipes australiennes. Trois supporters de Perth ayant fait le déplacement me le confirment : « La saison dernière, on est allés en boîte avec les supporters de Wellington après la rencontre. C’était le meilleur déplacement que j’ai jamais fait. On est toujours bien accueillis. » Cet après-midi, ils descendent leurs pintes de Tiger dans le même bar que leurs homologues kiwis. Ici, on ne retrouve pas l’animosité qu’il pourrait y en avoir entre fans d’équipes de Premier League, bien au contraire. « Les mecs prennent la peine de venir jusqu’ici en avion, me dit-on à la table de la Yellow Fever. Ce serait ridicule qu’on se foute sur la gueule. On préfère les accueillir comme il se doit. » La A-League a pourtant bien essayé de mettre en place une rivalité entre Perth et Wellington avec une « Long Distance Derby Cup » : les deux clubs étant séparés par 5255 kilomètres – la plus grande distance entre deux équipes d’un même championnat. Celui qui remporterait le plus de points sur les trois rencontres de la saison se verrait décerné un trophée. Lancé en 2015, le concept n’a vraiment pas pris, et les supporters des deux équipes trouvent même plutôt incongrue cette proposition marketing de la ligue australienne.

19h, cul sec, c’est l’heure de se diriger vers l’arène. Une seule tribune a été ouverte dans le stade de 25000 places, mais elle est bien remplie : 6285 spectateurs au compteur, c’est plus qu’honnête vu les circonstances. Le groupe de supporters irréductibles se place au centre de la « Fever Zone », la section dévolue aux plus fervents fans du Phoenix.

Burgers au bœuf néo-zélandais, pies et bières : on se prépare pour le début de la rencontre.

Patrick, un grand roux à l’air caricaturalement irlandais, lance les chants les uns après les autres. Ils ne s’arrêteront pas pendant les 90 minutes de la partie. Au programme, des reprises de Just can’t get enough comme au Roazhon Park, des chants plus traditionnels à base de « Oh Wellington/Is Wonderful /Oh Wellington is wonderful » sur l’air d’« Oh When the Saints », ou des chants débiles en réaction à ce qui se passe sur le terrain. L’arrière gauche du Phoenix, nouvelle addition au onze de départ après la blessure d’un titulaire, est ainsi crédité d’un « We love you Drago Malefoy », le latéral partageant avec le rival d’Harry Potter une chevelure d’une blondeur tirant vers le blanc. Enfin, plusieurs joueurs ont un chant personnalisé dans le plus pur britannique, que ce soit Roy Krishna et un « Krishna’s on fire » qu’on imagine hérité de l’Euro 2016 ou l’attaquant Barbarouses qui peut se targuer d’avoir une reprise de la Macarena qui lui est dédiée (« One Barba/Two Barba/Three Barbarouses… »)

Sur le terrain, le niveau est plutôt bon et c’est même surprenant pour un championnat qu’on a un jour ici qualifié de « plus drôle du monde » en raison des cagades ahurissantes de certains gardiens et autres tirs dans des mouettes. Le jeu est très direct et c’est sa force et sa faiblesse : quand les joueurs arrivent à remonter proprement le ballon en combinant comme Wellington en ce début de partie, cela va très vite. Mais assez souvent, une passe longue ne trouve pas de destinataire et part directement à l’adversaire, ou en touche. Perth était favori avant la partie en sa qualité de club du haut de tableau, et pourtant c’est Wellington qui mène rapidement, après dix minutes de jeu, grâce à une débauche d’énergie assez spectaculaire. Les Jaune et Noir vont même doubler la mise un quart d’heure plus tard grâce à un tir à l’entrée de la surface de leur buteur maison Krishna. De quoi enchanter leurs supporters qui se mettent à vanner les adversaires en entamant un fanfaron « Can we play you every week ? » (« Est-ce qu’on peut vous jouer toutes les semaines ? »). A la demi-heure de jeu, Andrew Keogh vient rétablir un semblant de logique durant un temps fort des Australiens, après une passe en profondeur un peu facile. La soirée ne semble pas être placée sous le signe du catenaccio.

La Fever Zone après le premier but.

A la mi-temps, les supporters du Phoenix sont donc agréablement surpris de dominer leurs adversaires du jour. Surtout que deux minutes après le retour des vestiaires, Barbarouses inscrit le troisième but du Phoenix. 3-1 à la 47e minute, ça ne plaît pas vraiment au Glory qui se remet à l’attaque. On n’est qu’à l’heure de jeu, et les joueurs de Wellington semblent déjà épuisés. Eux qui dominaient les débats un peu plus tôt subissent désormais les assauts australiens. 67e minute : le wonderboy de Perth Adam Taggart ramène son équipe à 3-2 après un tir de près. On ne donne plus cher de la peau du Phoenix désormais, les Néo-Zélandais semblant à deux doigts d’une combustion spontanée collective. Arrive pourtant la 79e minute, celle qui précède la 80e. Dans les rangs des supporters, on se tape sur l’épaule pour se montrer le chrono, synonyme de semi-striptease vu l’avantage au score de Wellington. « Attendons le coup-franc », avertit Patrick au reste du groupe, dont certains ont déjà le maillot à moitié enlevé. Bon pressentiment : le coup-franc pourtant très excentré de l’ex-joueur de Getafe Diego Castro atterrit dans la lucarne d’un Glen Moss qui avait mal jugé la trajectoire. 3-3, tout le monde garde son maillot. Le score en restera là. (Les highlights de la rencontre sont visibles ici).

Fin de la partie, résultat un peu amer pour les supporters de Wellington.

Dale, Patrick et les autres sont certes un peu déçus par la tournure des événements mais, en même temps, n’espéraient pas un tel résultat. Dans le bus du retour vers le centre-ville, on parle rapidement du match, du prochain rendez-vous, la semaine suivante, pour le jubilé d’une ancienne gloire du club, mais surtout, on fait des plans pour la soirée. Comme on me l’avait dit plus tôt, ici, le résultat importe moins que le fait d’être ensemble, et ce groupe de potes créé par l’entremise d’un club fondé il y a à peine dix ans préfère s’expliquer les fonctionnalités de Tinder plutôt que de reparler du coup-franc évitable de la 80e minute. Est-ce mieux que de prendre comme une question de vie ou de mort chaque match de son équipe ?

C’est le problème de ces ligues fermées qui se décident en play-offs : l’intérêt de la compétition est dilué dans cette course de fond que sont tous ces matches de championnat, seuls comptent les derniers mètres. Mais c’est aussi le bon côté de ce système : le sport reste un jeu, un divertissement, malgré ce que peuvent en dire les supporters les plus radicalisés. Ici, on se rassemble avant tout pour le spectacle, comme ce samedi. 6 buts, des litres de bière et quantité de chants à la con : est-ce que le plus important, ce seraient pas ces trois points-là finalement ?