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Des chercheurs ont créé le premier câble hybride pour un Internet quantique

Selon l’expert à qui vous vous adressez, les prédictions sur l’arrivée des supercalculateurs quantiques diffèrent sensiblement : dans 5 ans, dans 10 ans, dans 150 ans… personne n’est vraiment d’accord. Des compagnies telles que Google et IBM se sont d’ores et déjà engagées dans la course ; c’est à qui construira le premier une puce quantique capable de dépasser les performances des ordinateurs classiques les plus puissants. Mais une fois que ces machines seront fonctionnelles, il faudra encore les mettre en réseau avec des outils adaptés.

Le fameux “Internet quantique” existe déjà, d’une certaine façon. Ou du moins, il est à l’état embryonnaire. Depuis plusieurs années, une poignée de gouvernements et d’institutions de recherche possèdent de petits réseaux internes permettant de transmettre des informations entre des ordinateurs quantiques expérimentaux. Cette année, la Chine a transmis des informations quantiques grâce à un satellite en orbite basse. L’Internet quantique devrait offrir quelques avantages non négligeables par rapport à son prédécesseur : il garantira des échanges de données parfaitement sécurisés, et permettra de traiter ces dernières beaucoup plus efficacement.

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Dans les réseaux quantiques actuels, l’information est acheminée entre des nœuds quantiques du même type qui transmettent, stockent et traitement les qubits à travers le réseau.

Aujourd’hui, des chercheurs de l’Institut de sciences photoniques (ICFO), basé en Espagne, ont annoncé qu’ils avaient réussi à transférer des information entre deux types de noeuds quantiques différents en laboratoire, surmontant par la même un énorme obstacle dans le développement d’un Internet quantique.

Contrairement aux ordinateurs classiques qui stockent l’information sous forme de bits binaires (0 ou 1), les ordinateurs quantiques utilisent des qubits – ce qui permet de stocker à la fois des 0, des 1, ou une superposition des deux. Cette information est généralement codée dans une particule lumineuse – appelée un photon. Dans le cas de l’expérience de l’IFCO, le qubit a été codé dans le photon grâce à une technique spécifique appelée encodage temporel (time-bin encoding).

Cette technique requiert de faire passer un photon à travers un interféromètre – une machine utilisée pour superposer des ondes lumineuses – à partir de laquelle il est guidé sur un chemin court ou un chemin long constitué de fibre optique. Quand il émerge de l’autre côté, le photon est codé avec la superposition des temps long et court nécessaires pour parcourir les chemins long et court : un temps qubit. Selon les chercheurs de l’ICFO, ce type d’encodage rend le qubit particulièrement résistant à la décohérence et à la destruction de l’information contenue dans le qubit.

Même si les photons sont le support par excellence pour transporter de l’information au sein de réseaux quantiques, on peut réaliser des noeuds quantiques en utilisant différents types de matériaux, qui ont chacun leurs forces et leurs faiblesses. Par exemple, selon les chercheurs de l’ICFO, un noeud constitué d’un nuage d’atomes de rubidium refroidi par laser est un milieu idéal pour générer des qubits et les coder dans des photons. Cependant, un nœud constitué d’un cristal infusé avec de toutes petites quantités d’ions praséodyme est préférable pour stocker des qubits pendant de “longues” périodes de temps (dans le domaine quantique, cela se mesure en microsecondes).

Un schéma représentant un photo envoyé entre un nuage d’atomes de rubidium et un cristal dopé au praséodyme. Image : ICFOcristal

Un réseau quantique permettrait d’utiliser différents types de nœuds en fonction de l’application du réseau, mais déterminer comment envoyer un photon depuis un certain type de nœud à un autre s’est avéré extrêmement difficile pour les chercheurs.

C’est comme si les noeuds parlaient chacun dans un langage différent“, a déclaré Nicolas Maring, chercheur à l’ICFO, dans un communiqué. “Pour qu’ils communiquent, il est nécessaire de convertir les propriétés du photon afin qu’il puisse transférer efficacement les informations entre ces différents nœuds.

Au cours de leur expérience, les chercheurs de l’ICFO ont utilisé des atomes de rubidium refroidis au laser pour générer un qubit codé dans un photon possédant une très courte longueur d’onde (780 nanomètres). Leur dispositif a ensuite converti ce photon dans la longueur d’onde utilisée pour acheminer les communications non quantiques à travers la fibre optique (1552 nanomètres) puis le photon a été envoyé par fibre optique à un laboratoire adjacent. Dans cet autre laboratoire, un dispositif développé par les scientifiques a été utilisé pour convertir le photon à une longueur d’onde de 606 nanomètres afin qu’il puisse être reçu par un cristal infusé avec de petites quantités d’ions praséodyme.

Le qubit a pu être conservé dans le cristal pendant 2,5 microsecondes. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est un temps suffisamment long pour pouvoir récupérer le qubit sans aucune perte d’information, ou presque. Comme me l’a expliqué Hugues de Riedmatten, chercheur à l’ICFO, ce type de cristal pourrait être utilisé pour stocker des qubits pendant une minute, dans quelques années.

Le succès de l’équipe ICFO constitue un grand pas en avant pour le réseautage quantique. Non les chercheurs ont démontré la compatibilité entre deux types de nœuds quantiques très différents, mais il ont également prouvé que l’information quantique pouvait être acheminée entre ces deux nœuds en utilisant des câbles à fibre optique classiques utilisés dans les télécoms.

Selon l’équipe, l’étape suivante consistera à créer des réseaux quantiques plus grands composés de plus de deux nœuds différents, puis à distribuer des photons intriqués entre ces différents nœuds.

Trouver des nœuds quantiques possédant toutes les capacités requises (stockage, traitement, etc.) est extrêmement difficile“, a déclaré Riedmatten. “La possibilité de combiner différents systèmes, qui pourraient avoir des capacités différentes, pourrait résoudre le problème. Ce serait un grand pas vers un Internet quantique.