Société

Des femmes racontent leur expérience de slut-shaming et de la misogynie au travail

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Avertissement : cet article contient des descriptions de violences sexuelles.

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Janvier est arrivé, avec sa brise d’espoir… et son tourbillon de déceptions. Au début de chaque année, on s’en souhaite une bonne, mais avant même qu’on ne puisse mettre de côté l’habitude éphémère des « meilleurs vœux », on se rend bien vite compte que l’ardoise propre de la nouvelle année n’était qu’une illusion. Et 2021 n’échappera pas à la règle. Rien qu’au cours de la première semaine, le climat est tellement pété qu’il a fait jusqu’à 25 degrés en-dessous de zéro en Espagne, qu’une horde de fanatiques de Trump a pris d’assaut le Capitole et que la Commission des psychologues belges a décidé de sanctionner une psy – avec 4 diplômes – après lui avoir reproché d’avoir posté des photos trop sexy sur les réseaux sociaux.

Les réactions qu’engendrent la chaotique passation de pouvoirs aux États-Unis ou l’état de la planète ne sont pas surprenantes, mais qu’une femme belge voie les portes de sa profession se fermer parce qu’on la dit trop sexy semble être un peu plus difficile à encaisser. Tout a commencé en mars 2020 quand Kaat Bollen – sexologue, thérapeute, auteure et, du coup, ex-psychologue – a été convoquée par la Commission des psychologues et a reçu une sanction pour avoir entaché la dignité de la profession avec ses photos jugées trop sexy. Un collègue masculin avait déposé une plainte contre elle, à l’aide d’un dossier chargé de photos, comme « preuve » de son inaptitude à exercer le métier. Le fait qu’elle se soit servie de son statut de psy pour vendre des sextoys n’a pas aidé. Après avoir fait appel, Kaat Bollen a été suspendue. Depuis, elle n’est plus psychologue, car pour elle, « si l’expression de ma féminité sur les réseaux sociaux viole la dignité du titre de psychologue », mieux vaut définitivement rendre son titre.

L’histoire a fait beaucoup de bruit – encore heureux. Comment est-il possible qu’une femme ayant le bon diplôme soit considérée comme inapte à exercer sa profession sous motif qu’elle est trop sexy ? Pourquoi une femme psychologue ne pourrait-elle pas être à la fois sexy et compétente ? Et quel est l’intérêt d’une procédure d’appel si c’est pour être punie plus sévèrement ? Le féminisme a fait un bon de 50 ans en arrière. D’accord, en tant que psychologue (concurrent·e), vous n’êtes pas obligé·e être fan de son chef-d’œuvre littéraire, Het Schaamhaarboek, mais le fait de la juger trop sexy pour être une psychologue compétente, c’est juste de la pure misogynie, du slut-shaming.

Bien hélas, beaucoup de femmes moins connues subissent des histoires similaires. En voici cinq.

Julia* (29 ans), designer et artiste indépendante

« Pour la première fois, j’étais en résidence dans une institution artistique que j’admire beaucoup. J’étais sur le point d’obtenir mon diplôme et j’avais de grandes ambitions pour ma future vie professionnelle, en partie grâce à cette résidence. Il y avait un autre artiste, un homme, un peu plus âgé. On s’est très bien entendu·es et, un soir, il m’a embrassée. Au début, ça ne m’a pas dérangée, mais avant que je ne puisse vraiment m’en rendre compte, il a fini par me violer par voie orale. Il était très grand et ça s’est passé si vite que je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait avant que ce soit fini, et que j’ai dû avaler son sperme.

« Encore un an après les événements, j’ai entendu des rumeurs complètement fausses sur ce qui s’était passé entre nous et avec d’autres hommes que je connaissais à peine. »

Après ça, il a essayé de garder le contact. Quand je lui ai dit que je n’étais pas intéressée, il m’a insultée et m’a dit que j’étais stupide, que je ne pouvais pas nier notre attirance mutuelle. Il a agi comme si le rapport avait été consentant – probablement à cause de ce premier baiser ? – et puis le slut-shaming a commencé. Encore un an après les événements, j’ai entendu des rumeurs complètement fausses sur ce qui s’était passé entre nous, et aussi avec d’autres hommes que je connaissais à peine. C’est ce mec qui avait répandu ces histoires.

J’ai ignoré les rumeurs. Il était très estimé au sein de l’institution et je ne voulais pas céder à ses horribles tentatives d’intimidation. Heureusement pour moi, il n’a jamais réussi à discréditer mon travail, mais ça a quand même atteint l’image que j’avais de moi-même. J’ai évité certaines situations et conversations parce que je savais que je ne pouvais plus vraiment être moi-même. Peu de gens le savent et j’ai hésité à partager cette histoire, mais je me sens assez forte pour la raconter. Je vais bien, et j’espère que mon histoire va donner de la force aux femmes qui vivent des situations similaires. »

Jasmine (30 ans), travaille dans la cybersécurité

« Je suis Philippine et je travaille dans le domaine de la cybersécurité au Moyen-Orient. Un jour, j’ai entendu des collègues masculins parler de moi dans la salle à manger. Ils disaient, sur un ton condescendant, que j’avais sûrement choisi cette entreprise dans le but de me trouver un bon mari. Les Philippines ont la réputation de rechercher des conjoints étrangers. En fait, beaucoup de Philippines partent à l’étranger pour chercher du travail, puis tombent amoureuses des gens du pays. Bien sûr, les misogynes et les xénophobes prennent ces femmes pour des « gold diggeuses » opportunistes. Ces collègues ne pouvaient probablement pas se dire que je voulais simplement faire carrière. Je n’ai rien dit à ce sujet et j’ai continué de me comporter de manière professionnelle. Je me suis réfugiée dans mon travail et quand le coronavirus a pris le monde d’assaut, ces types ont été virés alors que j’ai été promue.

Ces ragots m’ont donné une certaine image au sein de l’entreprise. À un moment donné, les patrons nous ont envoyé·es, moi et quelques collègues, aux Philippines pour rencontrer des client·es. Comme c’était mon pays natal, j’étais heureuse de guider mes collègues dans les différents bars et restaurants, mais je pense que certains ont mal interprété mon hospitalité. Un soir, un des collègues m’a demandé de l’accompagner dans sa chambre d’hôtel. Il était très confus quand j’ai refusé. Peut-être qu’il pensait que j’étais une sorte de bonus ? Je n’en suis pas sûre, mais c’est l’impression que j’ai eue. Je me suis sentie très mal. C’est comme ça que mes collègues me voyaient ?

« La seule raison pour laquelle les hommes essayent de vous faire tomber, c’est parce qu’ils se sentent menacés par votre talent et votre succès. »

Je ne veux pas accorder plus d’attention ou d’énergie à ces hommes. Ils ne le méritent pas. J’aimerais juste dire une chose à toutes les femmes qui travaillent dans des entreprises dominées par les hommes : la seule raison pour laquelle ces hommes essayent de vous faire tomber, c’est parce qu’ils se sentent menacés par votre talent et votre succès. Si on veut mettre un terme à ça, les hommes et les femmes qui occupent des postes de pouvoir doivent défendre les personnes plus vulnérables et qui ont peur. On ne devrait pas dire aux survivantes d’être plus fortes et de les pousser à se défendre seules. Si on veut que ça cesse, on doit demander des comptes aux personnes puissantes et influentes. »

Lisa (28 ans), assistante de production

« J’ai un style assez particulier, inspiré par Dita Von Teese et Brigitte Bardot. Du eyeliner noir, du rouge à lèvres rouge et des cheveux blond platine avec une frange courte ; c’est ma signature. D’habitude, on salue cette féminité et cette excentricité, mais il y a quelques années, j’ai été confrontée à la situation inverse. C’était un de mes premiers tournages en tant qu’assistante de plateau et runner. Le tournage avait lieu en plein hiver et les scènes de nuit en extérieur étaient prévues, à -2°C ; donc on passait des heures à bloquer les rues en gilets fluos. Je ne me suis pas plaint, je portais juste des vêtements appropriés et je faisais mon travail.

« Le directeur de plateau m’a dit que je devrais laisser mon maquillage à la maison. »

Après quelques semaines, le directeur de plateau m’a prise à part pour me donner son avis sur le tournage. Il a commencé par quelques commentaires justifiés, mais ensuite, sans crier gare, j’ai été réprimandée sur mon apparence. Selon lui, j’étais habillée trop « mode » et « fantaisie » pour travailler sur un plateau. Jusque là, je n’avais porté que des jeans ou des leggings, des sweats à capuche oversized ou de longs pulls à col roulé, et des baskets pour pouvoir trimballer à l’aise des éléments du décor et des bacs de bière dans un froid glacial. Quand je lui ai fait remarquer, il m’a dit qu’à partir de ce moment-là, je devrais laisser mon maquillage à la maison. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Tant que je faisais bien mon travail, je ne voyais pas en quoi mon maquillage était un problème.

L’incident m’a rendue très inquiète, comme si ma couleur de cheveux et mon rouge à lèvres pouvaient déterminer le reste de ma carrière. J’ai commencé à douter et me demander si je serais prise au sérieux sur les plateaux avec mon apparence. Attention, je ne veux pas être en mode « les mecs sont tous nuls ». Quand j’en ai parlé des années plus tard avec le directeur en question – avec qui je travaille toujours sur d’autres projets – il est aussi tombé des nues. Je n’en avais jamais parlé, parce que je ne voulais pas être connue comme « la meuf qui s’est plaint ». Le milieu créatif peut parfois être une fosse aux lions. Je peux imaginer que beaucoup d’autres femmes ont vécu ça, qu’on fait un lien entre leur apparence et leurs compétences, et c’est inacceptable. »

Magalie (24 ans), travaille dans la vente au détail

« Je travaillais dans un magasin de chaussures où il pouvait parfois faire plus de 35 degrés en été parce qu’il n’y avait pas de clim. J’avais demandé à mes patrons de l’époque si je pouvais porter un haut aux épaules nues – le simple fait que je me sente obligée de demander l’autorisation est déjà ridicule en soi. Ils m’ont dit que c’était joli et me l’ont permis. Quand leur mère est arrivée dans le magasin, elle m’a fait passer pour une pute. Heureusement, mes patrons l’ont plus ou moins recadrée après que je l’ai remise à sa place.

Les « épaules nues », soit dit en passant, étaient interdites partout où j’ai travaillé ailleurs ; c’était le code vestimentaire. J’ai toujours dû porter les uniformes des magasins dans lesquels je travaillais. Bien sûr, c’était pas possible dans cette boutique de chaussures, alors je portais mes propres vêtements. Si je portais une jupe, la mère me regardait mal, même si j’avais un short de biker en dessous – pour le confort. Elle disait toujours que les hommes ne peuvent jamais se retenir. Je comprends qu’on veuille donner une certaine image à son magasin, mais les hommes qui te trouvent trop sexy, c’est autre chose. J’ai également eu droit à des commentaires sur ma coiffure. Iels qualifiaient mes tresses de nouilles.

« Au lieu de toujours s’en prendre aux femmes ou aux personnes non-binaires, il est temps que les hommes cis prennent leurs responsabilités. »

La façon dont une personne se présente aux yeux des autres en termes de vêtements, de tatouages ou de piercings ne devrait avoir aucune influence sur la façon dont on valorise son travail. Plus une personne se sent bien dans sa peau, plus cela se ressent dans l’atmosphère de travail et l’investissement. Donc, si ça n’a rien à voir avec la sécurité, il vaut mieux laisser tomber ces idées arrêtées, surtout en ce qui concerne les femmes et les personnes non-binaires, car c’est nous qui sommes toujours sous le feu des projecteurs. Au lieu de toujours rejeter la faute sur les femmes, il est temps que les hommes cis prennent leurs responsabilités. »

Ana (28 ans), photographe

« Je travaillais en tant que freelance sur un tournage pour une production de Marvel à Savannah, en Géorgie (États-Unis). Le responsable de l’éclairage a décidé un matin de faire comprendre à toute l’équipe qu’il jugeait inapproprié que je porte une robe dans laquelle mes jambes étaient, selon lui, trop exposées. C’était soi-disant un élément susceptible de perturber la concentration de certains. Il a fait remarquer que je ferais mieux de me concentrer sur mon travail plutôt que de m’habiller pour attirer l’attention.

« J’ai senti une main glisser le long de ma cuisse, passer sous ma culotte et me pincer les fesses. Ça peut sonner cliché, mais c’est comme si le temps s’était arrêté. »

Il faut savoir que c’était l’été à Savannah à l’époque ; il faisait 40 degrés et 80% d’humidité. La seule tenue dans laquelle je ne risquais pas de m’évanouir, c’était une robe ample. Cela dit, peu importe le contexte, ça reste un commentaire totalement injustifié et déplacé. Quelques heures plus tard, j’étais à côté de lui sur le plateau pour prendre des photos, et j’ai soudain senti une main glisser le long de ma cuisse. Il est passé sous ma culotte et m’a pincé les fesses. Ça peut sonner cliché, mais c’est comme si le temps s’était arrêté. Je me sentais sale et impuissante. Je n’ai rien pu faire. Plus tard, je suis rentrée chez moi et j’ai raconté à mon partenaire ce qui s’était passé. Quelques jours plus tard, je suis allé voir le directeur de production qui a promis de m’aider mais il ne s’est rien passé. J’ai fini par abandonner.

En tant que photographe, je dois aussi faire face au sexisme et au slut-shaming très souvent et de différentes manières. De nombreuses femmes dans l’industrie doivent faire face à toutes sortes de forme de sexisme : des micro-agressions au harcèlement sexuel plus dur. Je pourrais vraiment raconter des milliers d’histoires à ce sujet, mais j’ai déjà quelques exemples : les programmes de mentorat par des hommes photographes connus pour attirer de jeunes femmes photographes, les éditeurs qui rejettent délibérément les femmes photographes parce qu’elles n’ont pas l’air assez professionnelles (comprenez : trop sexy), etc. J’espère que cet article pourra aider les femmes à dénoncer et à mettre fin à ce genre de comportement. »

*Noms d’emprunt. Les vrais noms sont connus de la rédaction.

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