De ses villes troubles du nord où l’arme à la ceinture est de mise à ses paysages urbains du sud qui semblent éclairés au néon, la silhouette de Los Santos se découpe majestueusement sur l’horizon de l’océan infini qui borde ses frontières. Comme tous les jeux Grand Theft Auto avant elle, la cinquième mouture de la célèbre série de Rockstar se présente comme un sandbox en monde ouvert peuplé de gens, d’animaux, de villes et de rases campagnes. En outre, l’univers qui nous est proposé couvre un territoire plus vaste que Grand Theft Auto: San Andreas, Grand Theft Auto IV, et Read Dead Redemption réunis.
Le scénario est, encore une fois, inspiré par les activités criminelles et le manque de scrupules, des thèmes indémodables. Pourtant, depuis ses débuts, Los Santos est devenue bien plus qu’une simple aire de jeux dans laquelle on peut expérimenter toutes sortes de comportements inconséquents. La métropole tentaculaire joue aujourd’hui le rôle de support d’une culture de la performance artistique, et des milliers de personnes y créent des œuvres de formes diverses qui suscitent l’intérêt des joueurs, mais aussi des non-joueurs.
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« Je m’en rappelle comme si c’était hier, » explique Alec Chaney. « Lorsque j’ai fait la seconde mission de la campagne solo de GTA V, celle où vous êtes dans un sous-marin, dans la mer, j’ai pris le temps de regarder autour de moi alors que j’étais en plongée. Tout était tellement beau ! Je me suis dit qu’il y avait là un potentiel inexploité. »
Aux côtés de son partenaire Sonny Evans, Chaney tient la chaine YouTube 8-Bit Bastard, qui depuis deux ans se consacre à créer des sketchs, des guides et des reconstitutions virtuelles de scènes de films célèbres, d’émissions de télévision et de jeux vidéo. Elle héberge maintenant plusieurs centaines de vidéos, dont la plupart dévoilent les rues de Los Santos sous un jour nouveau. Elle possède plus de 44 000 abonnés à ce jour.
Inspirée par une admiration sans bornes pour le naturaliste et commentateur David Attenborough, la vidéo de 8-Bit Bastard la plus célèbre à ce jour, Into the Deep, explore l’environnement et la vie sauvage de l’univers de GTA V au large des côtes de la ville. Elle capitalise plus d’un million de vues, amplement méritées vu la qualité de la réalisation.
« Into the Deep », par 8-Bit Bastard
« La Planète Bleue est probablement mon documentaire de David Attenborough préféré. Il n’a jamais cessé de m’inspirer, » explique Chaney. « Dans GTA V, mon premier réflexe a été d’ignorer ma mission et d’explorer les alentours en sous-marin. Je ne savais pas du tout que Rockstar avait eu l’idée d’introduire des animaux sauvages dans l’océan, et j’ai été très impressionné par le réalisme des dauphins, des orques et des baleines à bosse. »
« En gros, j’ai enregistré tout ce que je voyais puis inventé une histoire à partir des captures vidéo. Je n’avais rien anticipé, je me suis contenté d’enregistrer en temps réel ce qui se passait à l’écran. Quelque part, c’est sans doute de cette façon que l’on filme un documentaire : des animaux apparaissent, il n’y a pas le temps de réfléchir, il faut filmer. C’était assez fascinant. J’avais vraiment le sentiment d’avoir surpris des animaux dans leur milieu naturel. »
Le fait que Into the Deep soit sorti avant même que Rockstar introduise la fonction édition dans le jeu (qui permet d’enregistrer, modifier et partager des scènes de GTA V) est d’autant plus impressionnant. À l’époque, Chaney ne disposait que des contrôles des vues à la première et troisième personne, ce qui ne se devine pas du tout dans la vidéo finale.
Au total, le « tournage » et le montage des séquences sous-marines n’aura pris que trois jours, même si Chaney admet qu’il n’aura pas beaucoup dormi à cette occasion. À l’inverse, il lui aura fallu plusieurs mois pour réaliser Onto the Land, à l’aide de l’éditeur cette fois-ci.
« Quand le Rockstar Editor a été introduit, tout est devenu absolument dingue, » explique Chaney. « Tout à coup il fallait faire attention aux angles de prise de vue, aux mouvements de la caméra, à la profondeur de champ, comme si vous étiez un réalisateur. C’était épuisant. La machinima GTA représentait tout à coup un boulot assez délicat ; je suis vraiment pris la tête. Comment faire ça ? Et ça ? Définir l’angle parfait me prenait parfois des heures, comme si je tournais un clip. »
« Malgré tout, je dois avouer que l’outil d’édition est vraiment excellent. Le résultat final est bien au-dessus de ce que j’avais réalisé avec les vues en 1ère et 3ème personne. La manipulation libre de la caméra a vraiment tout changé. »
« Onto the Land, » de 8-Bit Bastard
Même si Youtube et les réseaux sociaux existaient déjà à la sortie de GTA IV en 2008, ils ont depuis pris une importance considérable dans nos vies numériques, et surtout, pour la promotion de contenus culturels et artistiques. En outre, Youtube a autorisé les joueurs ayant mené des expériences dans l’univers de GTA V à acquérir une certaine célébrité. Des réalisateurs prolifiques se sont finalement intéressés aux communautés en ligne gravitant autour de ce genre de jeux, de même que des cascadeurs, comédiens, etc. Quant aux spectateurs, ils attendent, voire réclament avec impatience la prochaine vidéo de ces auteurs d’un nouveau genre.
On doit citer The Stunt Lads, une série de Hat Films créée entièrement à l’aide de l’éditeur Rockstar. Il s’agit d’une extension des activités du trio formé par Alex Smith, Chris Trott et Ross Hornby et de leur chronique GTA hebdomadaire sur le réseau YOGSCAST. Leur idée leur est venue d’un intérêt commun pour le jeu, pour la comédie bouffonne et légère, et leur incapacité à réaliser des cascades suffisamment convaincantes dans le monde réel.
« Nous sommes une sorte de mélange entre Jackass et Top Gear, » explique Smith. Trott renchérit : « Ouais, nous savons que nous ne pourrions pas réaliser ça tout seuls. Ça a été très long et très difficile de trouver tous les petits cheats du jeu, qui vous permettent de voler au-dessus des immeubles en vélo par exemple. Nous voulions surtout raconter une histoire marante, et cette idée de trois mecs qui essaient de faire des cascades mais se ratent tout le temps parce qu’ils sont nuls à chier nous a paru plutôt bonne. »
Après avoir parcouru le vaste archipel numérique afin de trouver les meilleurs emplacements pour leur série, Hat Films a utilisé l’outil GTA V Map Editor afin d’y placer des rampes de sauts et des plates-formes. Ce processus, couplé avec le « tournage » et le montage, peut prendre entre deux et quatre semaines de travail à temps plein ; enfin, les avatars à l’écran portent des combinaisons intégrales, des masques et des casques afin de contourner les éventuels problèmes liés à la synchronisation du doublage.
« The Stunt Lads », pilote
Smith, Trott et Hornby évoquent régulièrement la promotion de leur « marque » et de leur « contenu, » et d’autres concepts qui caractérisent la langue vernaculaire de ceux qui gagnent leur pain à l’aide d’un média populaire. Ils ont d’ailleurs lancé la marque The Stunt Lads elle-même, ainsi que Crazy Pills, des suppléments alimentaires à base de caféine. Leur approche du marchandising n’est d’ailleurs pas sans rapport avec celle de Rockstar.
« Cela permet aux fans de participer à nos blagues, en quelque sorte, » explique Smith. Il y a un autocollant Crazy Pills sur nos sac-à-dos virtuels Stunt Lads, par exemple. Cela peut paraître bizarre que des gens s’associent à une marque virtuelle dans un environnement virtuel, mais cela reflète assez bien l’évolution des communautés virtuelles. Les gens se moquent de savoir si les choses qu’ils apprécient existent de façon matérielle : tant qu’ils peuvent interagir avec elles de manière quotidienne, ils savent que c’est du concret. En cela, une marque virtuelle a tout à voir avec une marque réelle qui aurait un siège social physique, par exemple. »
Ce discours est très représentatif de ce que la communauté Grand Theft Auto est devenue. GTA V est un jeu vidéo qui s’est en quelque sorte transcendé lui-même. Il constitue un support de jeu, de création artistique, d’interactions sociales. Les gens y font les choses qu’ils aiment. Que le jeu parle de tuer, de dévaliser les banques et de voler des bagnoles importe peu. Son concept même, ainsi que la communauté semi-célèbre qui lui est désormais attachée, n’est d’ailleurs pas exclusif à GTA V. Mais sans doute que son niveau de réalisme l’a rendu plus attachant que Minecraft tout autre heu possédant une énorme communauté de joueurs.
Hat Films a pour le moment interrompu sa série The Stunt Lads, afin de pouvoir se réorganiser et réévaluer la demande des fans. Rockstar n’a quant à lui jamais caché son intérêt pour la série, et a même invité le trio dans ses studios de Londres.
Chaney a poursuivi le travail entamé dans Onto the Land avec une nouvelle expédition sous-marine baptisée Sharks. Comme son nom l’indique, elle met en scène les monstres cartilagineux des profondeurs. Il ne compte pas s’arrêter là cependant.
« Je ne ferai pas des documentaires basés sur GTA éternellement, bien entendu. Mais dès que GTA VI sera sorti, j’irai voir ce qu’il y a au fond des océans. C’est sûr. »
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Cet article est originellement paru sur VICE Australia.