VICE News regroupe ses articles sur la crise migratoire mondiale sur son blog « Migrants ».
Pour des milliers de migrants et de réfugiés bloqués à la frontière gréco-macédonienne, le rêve européen vire au cauchemar. Frontières fermées, froid glacial et camp surpeuplé — la situation à Idomeni se rapproche de plus en plus d’une véritable crise humanitaire.
Videos by VICE
Quand nous l’avons rencontrée, Aliyah Hussein était en train de bercer son bébé. « Elle pleure presque toute la journée, et la nuit, elle peine à respirer », nous a-t-elle dit. Âgée de 13 mois, sa fille souffre d’une infection respiratoire et d’une infection de l’œil. « Les médecins lui ont donné des médicaments, mais elle ne va pas mieux, son état empire. »
Environ un tiers des 13 000 migrants bloqués dans le camp sont des enfants, et 20 pour cent des patients examinés par Médecins Sans Frontières (MSF) ont moins de 5 ans.
« Il est impossible de savoir exactement combien de personnes il y a ici, mais ce que nous pouvons dire avec certitude c’est que chaque jour, le nombre de personnes augmente et les conditions se dégradent », nous a expliqué Cristian Reynders, le coordinateur adjoint de MSF à Idomeni. « Ce n’est pas censé être un camp dans lequel on s’attarde, c’est un camp de transit, et il y a des gens qui sont là depuis déjà plusieurs semaines. »
La nuit, les réfugiés se réchauffent tant bien que mal autour de feux. Comme il n’y a pas assez de bois, les réfugiés brûlent tout ce qu’ils trouvent, et un épais nuage de fumée toxique s’élève au-dessus du camp. « Les gens brûlent du carton, des habits, du plastique — tout ce qui leur tombe sous la main. Cela entraîne beaucoup de problèmes respiratoires, en particulier chez les enfants en bas âge », nous explique Nick Sarchet, un infirmier et ambulancier bénévole.
« Ceux qui ont des problèmes médicaux préexistants vont de moins en moins bien, et les enfants, les personnes âgées et les personnes souffrant d’asthme sont particulièrement [exposées] à des risques de complications ou [susceptibles] de développer une pneumonie. »
« Je pensais que j’allais mourir en Syrie et aujourd’hui je pense que je vais mourir ici. »
En deux semaines, deux enfants du camp ont du être transportés d’urgence à l’hôpital — l’un, pour des difficultés respiratoires, l’autre, parce qu’il a subi un choc électrique en jouant sur les wagons du chemin de fer.
Avec sept fois plus de personnes que le camp n’est capable d’accueillir, les queues pour les colis de nourriture sont interminables, et il faut maintenant attendre jusqu’à trois heures pour obtenir un sandwich ou une tasse de soupe.
« J’ai du mal à rester debout si longtemps, je m’évanouis », explique Manal Yesin, 37 ans, qui porte dans ses bras son enfant d’un an. Aujourd’hui enceinte de quatre mois, elle a fui le camp de Yarmouk, un quartier de Damas qui a été le théâtre d’affrontements particulièrement violents. Son mari a été tué en janvier et elle voyage aujourd’hui seule.
Avec deux enfants en bas âge et peu d’argent, Yesin n’a d’autre choix que d’attendre pendant des heures pour les colis de nourriture. « J’ai très mal [à cause de la grossesse] mais les médecins disent que, du moment qu’il n’y a pas de sang, ils ne peuvent rien faire pour moi ici », nous dit-elle.
Environ 2 pour cent des patients examinés par les médecins de MSF sont des femmes enceintes. Certaines femmes ont dû être emmenées d’urgence à l’hôpital pour accoucher. « Chaque semaine, des femmes donnent naissance ici, c’est une situation extrêmement inquiétante », note Reynders. « Nous les envoyons à l’hôpital mais elles reviennent au camp avec des nouveau-nés. C’est épouvantable et inacceptable d’avoir de telles conditions en Europe — c’est tout simplement honteux. »
La pluie a rendu la situation encore plus difficile. Les averses nocturnes ont inondé le camp, et trempé les couvertures et les habits des migrants. La majorité des abris sont précaires et ne sont pas imperméables. Certaines tentes deux places peuvent abriter des familles entières.
« Au départ, il y avait des fuites d’eau dans la tente alors on a essayé de les bloquer avec des couvertures. Après environ une heure de pluie, pluie, pluie, la tente était dans une flaque d’eau », nous explique Hassan Abdullah, 37 ans, le lendemain du déluge. Après avoir essayé en vain de déplacer la tente en plein milieu de la nuit, sa famille a été forcée de partager la tente des voisins.
« Il n’y avait pas la place pour s’allonger alors les adultes ont du rester assis toute la nuit avec les enfants endormis sur les genoux — ils tremblaient dans nos bras à cause du froid. »
Pour Rand Lamiyah, 34 ans, qui souffre d’infirmité motrice cérébrale, la situation est particulièrement difficile. À cause de plusieurs nuits passées sur un sol dur et froid, il ne peut plus du tout marcher et souffre énormément. Ce sont ses amis qui le portent lorsqu’il doit se déplacer dans le champ boueux. « Je ne peux pas utiliser les toilettes ni les douches », nous a-t-il dit. « Je pensais que j’allais mourir en Syrie et aujourd’hui je pense que je vais mourir ici. »
Dès qu’il y a un rayon de soleil, les migrants mettent leurs affaires à sécher, accrochant les habits sur les grillages barbelés et leurs chaussures sur les piquets des tentes. Avec une météo défavorable et l’incertitude persistante sur la situation aux frontières, les conditions risquent de devenir encore plus difficiles pour les migrants.
Mardi, l’Europe-forteresse a fermé sa porte un peu plus, lorsque la Serbie et la Slovénie ont annoncé l’augmentation des contrôles et des restrictions aux frontières. Désormais, seuls les migrants avec des titres de voyage valides ou des besoins humanitaires pressants seront autorisés à passer la frontière.
« Les conditions à Idomeni sont terribles, il y a peu d’aide humanitaire, peu d’assainissement, et des inondations dans les camps », explique Peter Bouckaert, directeur de la division urgences à Human Rights Watch.
« C’est inacceptable de voir ce genre de souffrance humaine en Europe. Ce n’est pas une catastrophe naturelle mais [une catastrophe] créée par les hommes. »
Suivez Harriet Salem sur Twitter: @HarrietSalem
Cet article est d’abord paru sur la version anglophone de VICE News
Suivez VICE News sur Twitter : @vicenewsFR
Likez la page de VICE News sur Facebook : VICE News FR