Chaque enfant a dans son album photo un cliché de qualité douteuse d’elle ou lui sur les genoux du père Noël. Regard apeuré, sourire édenté ou forcé, c’est un passage obligé de l’enfance. Ils seraient plus de 250 à pratiquer ce métier au Québec selon l’Association des pères Noël de la province de Québec. Durant cinq semaines, ils se font la palette en multipliant les contrats dans leur royaume de centre commercial, dans les garderies et dans les fêtes privées.
La plupart sont des retraités, d’autres des comédiens qui profitent du temps mort sans audition en décembre. Les barbes naturelles sont hyper recherchées par les clients qui veulent des pères Noël plus vrais que nature! Quelques agences se partagent le marché lucratif.
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Le père Noël du Fairview Pointe-Claire, tout droit sorti du film Bad Santa, a récemment été congédié après avoir été désagréable avec des enfants venus lui rendre visite. Mais il y a aussi de bons pères Noël au Québec. Qui sont-ils? VICE en a rencontré cinq.
Pierre Héroux est père Noël depuis six ans. Ce grand-père dirige la nouvelle agence Les pères Noël, qui emploie deux doyens à vraie barbe : Normand Lalonde est père Noël depuis 48 ans. Fou du personnage, le policier retraité a même prénommé son fils Rodolphe! Jean-René Lafrenière est père Noël depuis 47 ans. Il a laissé pousser sa barbe à la marine et espère bientôt ne plus avoir à la teindre pour qu’elle soit d’un blanc immaculé.
Autre père Noël rencontré, Michel Beaulieu revêt le costume rouge depuis cinq ans. Son mot d’ordre est que les photos prises avec le cellulaire soient permises pour que tous aient un souvenir de son royaume.
Finalement, Luc Vincent est père Noël depuis 19 ans. Acteur de formation, il a aussi sa propre agence : Verre de lait et un biscuit. Il a une mémoire spectaculaire et arrive à se souvenir des noms de tous les enfants dans les activités de groupes.
VICE : Outre la patience et la générosité, qu’est-ce que ça prend pour être un bon père Noël?
Luc Vincent : Il faut que les pères Noël aient les yeux doux en amande. Des pères Noël avec les yeux méchants, qui ont l’air bête, on est en train d’éliminer ça! Les clients veulent des gens qui ont le physique de l’emploi, moins de 5 pieds 8 ou trop mince, ça ne fonctionne pas. Je recherche aussi des gens calmes, les personnes énervées font de meilleurs lutins. Les enfants ne font pas la différence quand tu travailles ou pas. Si tu as ton costume sur le dos, tu dois répondre à la demande.
Normand Lalonde : Il faut être avenant avec les enfants, les faire rire, prendre le temps de les écouter, même si c’est long. On n’est pas juste un gars avec qui on se fait prendre en photo. On apprend des histoires, les noms des rennes et des lutins. C’est un rôle privilégié.
Qu’est-ce qui vous exaspère?
Pierre Héroux : Quand tu dis aux autres que tu es père Noël, on te regarde drôlement. Encore plus avoir sa compagnie, on ne trouve pas ça sérieux. Ça ne dure pas longtemps, les gens retrouvent vite leur cœur d’enfant.
Michel Beaulieu : Si tu n’aimes pas les enfants, reste chez vous! C’est souvent plus facile de gérer les enfants que les adultes parfois énervants. Parce qu’ils ont attendu deux heures, les parents veulent absolument une photo avec leur petit, même s’il hurle et qu’il n’est pas bien. Si ça continue, il va encore avoir peur du père Noël à l’université! Il ne faut jamais forcer les enfants.
Le costume est-il désagréable?
P.H. : Non, je n’ai pas un costume à 100 $. Il vaut 1000 $, la barbe et la perruque, 400 $, c’est confortable.
L.V. : Non, mais après le 25 décembre, je suis K.-O. durant une semaine. Parfois, on peut rencontrer jusqu’à 1000 enfants dans une journée. Mes genoux sont scraps, j’ai mal au dos. J’ai une barbe très lourde pour éviter que les enfants la tirent, c’est dur pour la mâchoire.
M.B. : La barbe et la perruque, ça me pique ça n’a pas de bon sens, tu as envie d’arracher ça. Je mets de la poudre de bébé et un chapeau de coton.
N.L. : Dès que le temps des Fêtes est terminé, je vais dans le Sud et je rase complètement ma barbe.
Qu’est-ce qui a changé le plus dans votre métier?
M.B. : Les enfants de huit ans ne demandent plus des LEGO, ils veulent des téléphones cellulaires et des tablettes électroniques. Tous les jours, on me demande des iPad. C’est rare qu’un enfant demande la santé, la paix ou la joie comme avant. »
L.V. : On vit dans une époque difficile. Les parents ont perdu la magie de Noël. Ils sont blasés, c’est triste à voir. Les enfants sont encore émerveillés, le temps n’existe plus avec eux. On jase, on a du plaisir, mais pour ça il faut profiter du moment présent.
Jean-René Lafrenière : On n’a plus les mêmes dépouillements d’arbres de Noël qu’avant, c’est rendu commercial. On donne des cochonneries, des bonbons, du chocolat, pourtant on pourrait se forcer. »
Avec les années, est-ce que vous avez modifié votre éthique de travail?
M.B. : Je ne pense jamais au politically correct. Il faut rester naturel, sinon tu deviens fou. Il y a des enfants qui se garrochent sur toi, d’autres qui ont peur pour mourir. Chaque année, je vais au poste de police pour vérifier mes antécédents. Ça ne me frustre pas du tout, la sécurité des tout-petits est plus importante.
N.L. : J’essaie le moins possible d’aborder les sujets à caractère religieux. Le père Noël c’est un personnage qui apporte la joie et la bonne humeur, ce n’est pas le moment de créer des malaises.
L.V. : On respecte beaucoup plus les enfants, on leur demande s’ils veulent prendre une photo ou s’asseoir sur nos genoux. Ils ont leur mot à dire. Aussi, un père Noël ne peut jamais utiliser les toilettes publiques. Il ne faudrait pas laisser penser quoi que ce soit, les apparences on doit être irréprochables.
P.H. : Dans cette ère de dénonciation, nos deux mains doivent toujours être visibles, c’est le mot d’ordre. Avant on n’y pensait pas.
Une anecdote marquante?
J.-R.L. : La féérie de Noël touche aussi les personnes âgées. Beaucoup viennent nous voir. On leur apporte de l’espoir.
N.L. : Je fais le père Noël depuis presque 50 ans, mais faire le défilé du père Noël était la consécration, une grande reconnaissance. Je vais m’en souvenir toute ma vie.
P.H. : Parfois, je prends la route tout habillé en père Noël pour me rendre à certains contrats. C’est fou toutes les réactions que ça suscite. Les gens m’envoient la main, me demandent leurs cadeaux.
L.V. : Un enfant a déjà vomi sur un père Noël, il a fallu trouver en catastrophe un autre costume. Depuis ce temps, des vêtements de rechange sont toujours dans les loges.
M.B. : Chaque fois que je rencontre des enfants malades, ça vient me chercher. Malgré ce qu’ils traversent, ils ont des étoiles dans les yeux.
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