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La scène Hardcore de Cleveland va aussi avoir droit à son documentaire et c’est pas trop tôt

Bien que Cleveland ait été un des hot spots du punk rock, la ville a longtemps été limitée aux notes de bas de page dans les nombreux livres, blogs ou documentaires sur le sujet. Pour beaucoup de gens, Cleveland est une ville ni-faite ni à faire, pour d’autres, elle représente la date la plus sauvage d’une tournée. Ayant grandi à Cleveland, je ne me suis jamais vraiment rendu compte de son réel caractère qu’au moment où j’ai commencé à aller voir des concerts ailleurs. Dansles autres villes, personne ne balançait de fusées, de poubelles ou de bouteilles sur toi, alors qu’à Clevo, on t’encourageait vivement à le faire. C’est un endroit qui s’est toujours débrouillé pour se faire une place, à l’écart de toutes les tendances.

Le style qui colle le plus à Cleveland est le son hardcore métallique de Ringworm et Integrity, baptisé « Holy Terror », qui a fait des émules dans le monde entier ces 20 dernières années. Ce que les gens ne semblent pas réaliser, c’est que Cleveland n’était pas strictement cantonnée à ce genre. Alors qu’Integrity devenait une référence incontournable de la scène, ses deux guitaristes, Aaron Melnick et Chris Smith, jouaient également dans Inmates ; tout comme Bob Zeiger, alors batteur de Ringworm, jouait aussi dans Cider. C’est ce condensé de styles et de fortes personnalités, mélange d’humour noir et de haine, qui a défini Cleveland.

Cleveland est bourrée d’histoires tarées ; la seule différence avec les autres villes c’est qu’ici, toutes les histoires sont vraies. Voilà pourquoi quand j’ai entendu dire qu’un type tournait un documentaire sur la scène de l’Ohio intitulé Destroy Cleveland, j’ai immédiatement soutenu le projet. Puis les mois ont filés, et le film a fini par sortir de ma tête, jusqu’à ce que son réalisateur, Matthew Greenfield, balance le premier trailer -qui m’a littéralement mis sur le cul.

Destroy Cleveland est le premier document à relater l’histoire récente de la ville, pas celle de Pere Ubu et des Pagans, mais celle des Inmates, de H100s et 9 Shocks Terror en parallèle aux parcours de Integrity ou Ringworm. J’ai posé quelques questions à Matthew afin de savoir pourquoi Cleveland méritait autant d’avoir son docu que les autres.

Noisey : Bizarrement, je ne t’ai pas rencontré à un concert à Cleveland mais grâce à ton site, RustBeltHammer. Quand as-tu décidé que tu voulais documenter le punk de l’Ohio ?
Matthew Greenfield :
Je vivais déjà à Austin, Texas quand j’ai lancé Rust Belt Hammer. J’aurais dû le faire du temps où j’étais à Kent et Youngstown, mais je ne pensais pas à monter mon propre site à l’époque. Le blog devait s’appeler « Jack on Fire » d’ailleurs, d’après le morceau de Gun Club, mais j’ai changé pour Rust Belt Hammer. La première interview que j’ai faite c’était avec Tony Erba [chanteur de Face Value, 9 Shocks Terror, H100s et 10 autres] et je bossais en même temps sur une colonne pour Maximum Rock N Roll sur le punk et le hardcore de l’Ohio. Je trouvais que c’était une bonne idée d’écrire sur ce qu’il se passait dans cette région baptisée « ceinture de la rouille ». J’ai toujours adoré le son de Cleveland et je me suis dit que quelqu’un devait parler de toute la musique de weirdos qui avait été composée ici.



Cleveland est un bordel sans nom, je n’arrive même pas à le décrire. Selon toi, qu’est ce qui fait de cette scène un cas unique qui vaut le coup qu’on en parle ?
J’écoute du punk depuis plus de la moitié de ma vie et je n’ai jamais oublié ce que j’ai ressenti la première fois que j’ai entendu 9 Shocks Terror et H100s. J’ai senti mes os s’entrechoquer. T’avais ces mecs, issus de la classe ouvrière, fans de catchs, qui s’amusaient à faire péter des feux d’artifices n’importe où et jouaient comme s’ils avaient réellement envie de tuer quelqu’un. Le chanteur de 9 Shocks Terror était un petit gars maigre avec une chemise en flanelle, des lunettes et un rictus désaxé. J’avais trouvé un type à qui m’identifier. La musique de Cleveland a toujours été plus sombre, vicieuse et énervée qu’ailleurs, mais avec un sens de l’humour très spécial. C’est évident que des groupes comme Cider ou Inmates ne se prennent pas trop au sérieux même si leur musique est violente et agressive. Les gens du Nord Est de l’Ohio n’ont pas besoin de se rattacher à une scène ou à la dernière tendance cool. La musique y est juste brutale et honnête et ça leur suffit.



Tu les as vus à leur meilleure époque ? J’ai commencé à bouger aux concerts juste avant qu’ils ne splittent (et qu’ils se reforment brièvement) et je me souviens avoir vraiment eu peur à un de leurs show, des bouteilles, des pieds de micro et des fusées me frôlaient la tête.
Je n’ai vu Integrity or Ringworm qu’après mes 25 ans mais j’ai assisté à des concerts de 9 Shocks Terror quand j’étais ado, ouais. La première fois, c’était au Mr Roboto Project (à Pittsburgh) et le courant avait été coupé au quatième morceau. Erba est devenu complètement taré et s’est mis à balancer son pied de micro sur les gens. Une meuf lui a dit de se calmer et il lui a répondu un truc du genre, « écoute poupée, je suis trop vieux pour ces conneries ». C’était à la fois terrifiant, excitant, décevant et hilarant. Après ces 4 chansons, il fallait absolument que j’en apprenne plus. Quelques mois plus tard, j’étais au concert des Gordon Solie Motherfuckers (l’autre groupe de Erba dans les années 2000). Et ça a été la meilleure soirée de ma vie et sûrement la raison qui m’a poussée à faire Destroy Cleveland. Des feux d’artifices, du sang, des branches d’arbres et des annuaires jetés dans le pit comme dans un foyer, et une vibe tellement défouloir et fun en même temps. J’ai vu Cider quelques années plus tard et je me suis dit « ces mecs sont des trous du cul ». Ils ne voulaient pas descendre de scène après certains de leurs sets, je les ai même vu porter des kippas à un concert qui avait lieu durant Roch Hachana. Je me disais que ces types étaient vraiment désaxés et malsains.


Un concert de 9 Schocks Terror parmi tant d’autres.

Comment as-tu choisi les trucs que tu allais aborder et la manière d’en parler ?
Je ne sais pas vraiment quel serait le bon point de départ pour le film. Il y a déjà un documentaire intitulé Cleveland Screaming qui aurait dû sortir et qui revenait sur la scène hardcore des années 80, mais personne n’en a jamais fait la promo ou livré une sortie décente. Je ne voulais pas marcher sur les platebandes de ces mecs donc j’ai choisi une époque qui a donné naissance à une nouvelle génération. J’ai choisi de débuter le doc en 1987 avec les légendes straight edge Confront et Die Hard (dont les membres rejoindront plus tard Integrity, In Cold Blood ou les controversés One Life Crew), False Hope (dont les membres formeront à leur tour Keelhaul et Inmates) et un groupe dont je n’étais pas du tout familier, Outface, qui est plutôt fascinant parce que leur chanteur est aujourd’hui le chanteur de Sepultura. Leur guitariste, Charlie, est allé former Quicksand tandis que Frank Cavanaugh a monté Filter. Ce sont des trucs que les gens ne savent pas. De là, évidemment, je reviens longuement sur Integrity et Face Value, avant de conclure au début des années 2000, et des groupes comme Upstab, Bad Noids et Cruelster. Je n’ai pas envie de faire un de ces films méga-relou avec Ian MacKaye, Henry Rollins, etc, etc, qui aime se jeter des fleurs en se rappelant comme le passé était bien et comme le punk est mort aujourd’hui. Rien à voir.



C’est intéressant de mentionner les nouveaux groupes parce que le truc à Cleveland c’est que rien ne meurt, la plupart des groupes et des gens (du moins ceux qui sont encore vivants et toujours dans le coin) viennent toujours aux concerts, au bar.
Tout le monde se connaît. Tu croises un jeune mec comme Richard Rodriguez qui joue dans Fat Vegan avec Paul des Inmates. Bad Noids est vraiment le nouvel étendard de la scène parce que j’ai entendu que Mike Thrope, leur chanteur, n’était pas dans le hardcore avant de rejoindre le groupe. Il ressemble juste à un mec très bizarre dont les instincts naturels se révèlent sur scène en faisant des trucs tarés, comme mettre le feu à ses cheveux ou tout simplement se laminer le corps. Il n’essaie pas d’être « punk ». C’est un truc unique. Cleveland a nourri ce genre de personnages il y a 30 ans et elle continue à le faire.

C’est une prouesse d’avoir réussi à choper Paul E. Wog des Inmates, il est réputé pour être anti-interviews. Comment s’est-il comporté ?
Paul est resté très ouvert durant toute l’interview, et très honnête. Je lui ai posé des questions sur toutes les légendes qui l’entourent. C’est un type sauvage. Celle qui raconte qu’il a un jour défoncé un mec en pleine rue à l’aide d’un tricycle qui traînait par là en fait partie. Après, Paul a pris conscience du truc et a demandé à tourner l’interview une seconde fois, on l’a mis face caméra avec les frères Melnick [guitaristes fondateurs d’Integrity], mais la première interview était géniale. Il a tellement de trucs à raconter, les deux parties seront inclues.

Qu’est ce qu’on va découvrir dans le docu qui n’est jamais sorti des murs de Cleveland ?
Personne n’a jamais vu ces types se livrer devant une caméra. On a interviewé Dwid de Integrity pendant 2 heures et on est certainement les seuls à avoir eu, pour de la vidéo, les deux frères Melnick réunis. On a des clowns hilarant comme Chubby Fresh [batteur de Integrity puis de One Life Crew] et des mecs qui en avaient gros sur la patate comme Tony Erba. Ce qu’on va montrer au monde, c’est qu’au fond, ce sont tous de bons gars qui essaient de s’en sortir au jour le jour, et le punk rock a été leur exutoire au sein d’une ville extrêmement brutale et dépressive. Le rock’n’roll a sauvé des tas de ces vies, je ne vais l’apprendre à personne. Malheureusement, il n’a pas pu sauver tout le monde.


À Cleveland, on savait aussi se marrer – Face Value parodie Integrity.

Pour moi, un truc vraiment important est de raconter la vie de Richard « Chard » MacInallay de H100s, Gag Reflex et 9 Shocks Terror. C’est une histoire à la fois puissante et tragique d’un mec qui a fini par s’auto-détruire, en se jetant sous un train. Beaucoup d’intervenants dans le documentaire souffrent de dépression et se réfugient dans la drogue et l’alcool. C’est un honneur pour moi d’offrir aux proches de Chard une plateforme pour raconter son histoire. Car son cas est universel. Cleveland et le rock’n’roll ont toujours marché main dans la main avec la douleur.

Quand est-ce que le film sort ?
Il sort en juillet avec quelques bonus. Je suis en train de conclure un deal avec un distributeur en ce moment, mais pas de bile, il sera facile à trouver. Tenez vous au courant sur la page Facebook du film ou contactez-moi directement par mail : peaksohiopeaks@hotmail.com.


Matt est sur Twitter.