Je suis assise dans le « donjon » d’un hôtel situé tout près des chutes du Niagara. La pièce est quelconque – une sorte de salle de réunion tapissée d’un gris et d’un beige plutôt hasardeux. À dire vrai, personne ne vient ici pour la décoration.
En face de moi, une femme coiffée d’une superbe crête iroquoise bleu turquoise malmène son serviteur – un homme aux yeux bandés, attaché à une barre de pole dance – avec un fouet en cuir violet. À mesure que les coups s’intensifient, la peau du soumis se couvre de marques rougeâtres. À ma gauche, Lindsey* – une blonde parée d’un diadème – s’agenouille pour prodiguer une fellation à son partenaire. Elle a les bras attachés derrière le dos par une corde de couleur rose bonbon. À l’autre bout de la pièce, juste en face de moi, on dispose de la mousse coiffante sur les parties intimes d’une femme, allongée sur une table. Quelques secondes plus tard, un homme craque une allumette et enflamme cette mousse. À ma droite, une jeune femme est suspendue dans les airs par un harnais rouge.
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« Ça, c’est de l’échangisme », murmure un spectateur.
L’hôtel en question, à l’allure plutôt conventionnelle, a été transformé en repaire hédoniste dans le cadre du Niagara Falls Lifestyles Convention, un rassemblement échangiste organisé pour la Saint-Valentin depuis une dizaine d’années. Gérée par une entreprise nommée TABOTA, cette sauterie annuelle a rassemblé près de 400 personnes il y a quelques jours de cela.
Dès mes premiers pas à l’intérieur de cet antre, je ne suis pas déçue. Tous les bibelots kitsch auxquels je m’attendais sont présents : des roses artificielles, de la dentelle et des bonbons en forme de cœur parsèment le sol du couloir. Une photographe et moi-même – toutes deux étrangères au monde de l’échangisme – sommes accueillies dans ce lieu de débauche pendant tout un week-end, pour en documenter les aspects les plus intimes. En retour, nous nous sommes engagées à ne pas divulguer le nom de l’hôtel.
Nous nous dirigeons rapidement vers la piscine extérieure. Rien ne peut différencier ce lieu de n’importe quel hôtel proposant une formule « pension complète » à ses clients – il y a un buffet, un bar et même un professeur de salsa – à cela près que certains pensionnaires se baladent entièrement nus. Pour ceux qui sont habillés, les tenues vont de la chemise hawaïenne à la combinaison en latex en passant par la jupe d’été ou encore la robe filet.
Kevin et Morgan sont respectivement âgés de 49 et 50 ans. Ils pratiquent l’échangisme depuis des années. Ce couple nous conduit dans sa chambre pour nous expliquer à quoi nous devons nous attendre. Les règles n’ont pas vraiment changé depuis les origines de l’échangisme. Premièrement : le consentement est primordial. Non, c’est non. Ensuite, il faut toujours se protéger lors des rapports sexuels.
« Certains types viennent ici parce qu’ils pensent qu’ils peuvent baiser comme bon leur semble », remarque Morgan qui, appuyée sur la tête de lit, est vêtue d’un simple bikini. « Ils ont tort. Les gens doivent d’abord se rencontrer et se connecter. »
Morgan et Kevin, qui se connaissent depuis 14 ans, ont plongé dans l’univers de l’échangisme il y a un peu plus de dix ans. Morgan est bisexuelle. Elle m’avoue que l’échangisme n’a jamais convenu à son ex-mari, qui préférait s’amuser de son côté, sans mêler sa femme à ses batifolages.
« Beaucoup de couples se lancent dans l’échangisme car ils pensent que ça résoudra leurs problèmes, mais c’est souvent le contraire qui se produit », ajoute Kevin, qui arbore un tee-shirt sur lequel un homme chauve, de profil, avertit : « Si tu tournes la tête et lis cette phrase, tu me dois une pipe. »
Le couple, qui « joue » tout le temps ensemble, cherche constamment de nouveaux partenaires – ce qui s’avère très complexe.
« L’alchimie doit être parfaite pour les quatre personnes », précise Kevin.
Ces deux-là ont rejoint les chutes du Niagara sans aucun objectif en tête. En effet, ils sont ici pour se détendre, et tant mieux si leur jeu se termine dans un ébat éreintant avec d’autres couples. Ils considèrent ça comme un bonus.
« J’ai dû coucher avec des centaines de personnes, mais je n’ai aucune idée du nombre exact », ajoute Morgan.
Sur ces bonnes paroles, nous regagnons la piscine, là où a lieu le concours de tee-shirts mouillés – dans un style échangiste, bien entendu.
« On veut voir des nichons qui bougent ! », crie un mec derrière mon épaule. Son vœu est assez rapidement exaucé.
Le spectacle commence. 15 femmes en débardeur blanc et 10 hommes en boxer noir prennent place sur la scène. Les candidats sont aspergés d’eau et ne mettent pas longtemps avant de sauter dans la piscine. Tous finissent par se dévêtir et forniquer sur les bords. Un homme nu commence même à faire des pompes, en prenant grand soin de toucher le sol avec son pénis à chaque descente.
Au bout de quelques minutes, cinq hommes et cinq femmes sont désignés finalistes à l’applaudimètre. L’organisateur de l’évènement hurle alors : « Vous avez déjà entendu parler de sundae humain ? Ça va être délicieux. »
Les femmes s’allongent sur le sol tandis que les hommes recouvrent les corps de crème glacée et de garniture. Le mec qui faisait des pompes se relève et répand de la crème fouettée sur le vagin d’une dame – avant de se mettre à la lécher – tandis qu’un autre type dépose une banane sur les parties génitales de sa partenaire. Au final, c’est une prénommée Lindsey qui remporte la mise, et se voit affublée d’un diadème – diadème que je retrouverai plus tard en train de faire des va-et-vient au niveau du pénis d’un monsieur.
Après ça, nous commençons à avoir faim. Nous prenons alors la direction du restaurant de l’hôtel. Un couple d’Américains nous demande rapidement pourquoi nous prenons des photos. La femme, Tracy*, semblait très excitée lorsque je lui explique que l’on travaille pour VICE.
« Mon mari m’a toujours dit que j’aurais dû faire du porno », poursuit-elle avec une petite voix mâtinée d’un accent new-yorkais.
Brune, plutôt petite, elle paraît beaucoup plus jeune que son âge véritable – 40 ans – en particulier grâce à deux tresses très lycéennes. Son mari, Craig, est banquier. Il est trapu et plutôt cru.
Lorsqu’on la croise, Tracy dégage une douceur qui, à première vue, contraste avec le monde de l’échangisme. Ses paroles sont en revanche bien plus en adéquation avec cet univers.
« J’ai léché ma première chatte la nuit dernière, me dit-elle en gloussant. C’était incroyable. »
Tracy et Craig se sont rencontrés au lycée. Cela fait désormais 22 ans qu’ils se sont dit : « Oui. » Ils dépensent 150 dollars par an pour adhérer à une communauté échangiste sur Internet, et c’est par ce biais qu’ils ont eu vent de ce rassemblement près des chutes du Niagara. Leurs enfants, âgés de 18 et 22 ans, leur famille et leurs proches n’ont aucune idée de leur passe-temps.
Leur passion pour l’échangisme est d’ailleurs assez récente – un an, tout au plus. Tout est venu d’une rencontre fortuite sur une plage d’Aruba, sur laquelle ils ont fait l’amour à côté d’un autre couple.
« Nous avons seulement parlé, nous n’avons eu aucun contact physique avec eux. C’était hyper excitant », se souvient Tracy, qui dit adorer les « bites de Noirs », au passage.
Craig, un hétéro affirmé, prend du plaisir à voir sa femme batifoler avec des hommes et des femmes qu’il connaît à peine. Il lui arrive aussi de prendre part aux festivités.
Pour Craig et sa femme, l’échangisme est également un prétexte pour partir en week-end et éviter de s’enfermer dans une routine.
Alors que nous errons dans l’hôtel, nous retombons sur le mec qui faisait des pompes à poil à côté de la piscine. Il s’appelle Jason. Ce vétéran de l’armée américaine est clairement bourré, ce qui le pousse à nous ramener dans sa chambre. Là, il se met à nous embrasser et m’encourage à empoigner ses testicules – ce que je fais. À Rome, fais comme les Romains…
Ce trentenaire est un homme charmant, à l’allure inoffensive, qui ne peut s’empêcher de se comporter comme un étudiant en école de commerce. Sa femme, qui se présente sous le pseudonyme de Jessie Jewel, entre alors dans la pièce – ce qui a tendance à me mettre mal à l’aise, vu que son son mari m’embrasse derrière l’oreille et essaye d’attraper mes fesses.
Elle ne semble pourtant pas plus dérangée que ça. « Il est dingue », avance-t-elle pour toute explication. « Il est toujours insatisfait, il en veut toujours plus. »
Médecin de formation, Jessie Jewel nous parle ensuite d’une chambre occupée par un fan de BDSM qui possède des gadgets envoyant des décharges électriques aux gens. Nous nous précipitons dans les couloirs pour le trouver, et nous ne sommes pas déçues.
Liam nous présente sa vaste collection de jouets sexuels – des fouets, des cravaches, des vibromasseurs et j’en passe.
C’est dans cette pièce que nous rencontrons QueenEh, la femme coiffée d’une crête iroquoise bleue. Lindsey, la gagnante du concours de tee-shirts mouillés, est également présente. Toutes les deux sont tour à tour les soumises de Liam.
QueenEh retire alors ses vêtements et s’allonge sur le lit, tandis que Liam la frappe avec un fouet en cuir. Lorsque je lui demande si ça lui fait mal, elle répond : « J’ai accouché sans aucune aide médicamenteuse, je dirais que ça représente 20 % de cette douleur. » Plus tard dans la soirée, Liam allume deux bougies et verse de la cire sur le corps de la jeune femme. Son mari, qui se tient à l’écart pour observer la scène, enlèvera plus tard cette cire tout en stimulant QueenE jusqu’à ce qu’elle jouisse – dans un mélange d’éjaculation féminine et de cri strident.
Liam nous offre ensuite un cours accéléré de maniement de ses jouets. En gros, il a fixé à sa poitrine une sorte de générateur qui a pour conséquence de le transformer en une source de décharge électrique lorsqu’il branche des câbles de manière appropriée.
Nous voulons logiquement tester sa machine sur nos bras. Il enclenche son appareil sur un réglage assez faible et nous caresse avec un pompon. L’engin bourdonne, mais la douleur n’est pas du tout intense. Puis vient le tour de Lindsey, dont les mains et les bras ont été attachés dans son dos par une autre femme. Elle se penche en avant sur le lit pour que Liam nous fasse une démonstration avec une décharge beaucoup plus forte.
« Tu veux voir un truc cool ? Éteins la lumière », me dit-il. Je m’exécute, et tout ce que je peux voir est une faible lumière bleutée qui jaillit du jouet chargé d’électricité ? J’entends alors Lindsey pousser des cris de douleur – et de plaisir, sans doute.
La nuit s’annonce. Nous rencontrons un couple de jeunes parents désireux de passer du bon temps loin de leur nourrisson – ils ne tarderont pas à entamer un plan à quatre. Ils sont avant tout ici pour flirter, profiter du spectacle et du karaoké. Au cours de la soirée, le DJ gave son audience de titres des années 2000, genre « Hot in Herre » de Nelly.
Sans surprise, des gens copulent tout autour de nous. Ils baisent dans la piscine, sur les tables, dans la « salle de jeux » située à l’étage – où trois lits sont prêts à accueillir des gang bangs. Les couples les plus timides baisent dans leur chambre en laissant leurs rideaux ouverts, afin que chacun puisse se rincer l’œil.
L’ouverture d’esprit semble être aussi importante que le sexe.
Morgan, camgirl de son état, est l’une des rares personnes qui donnent ouvertement son prénom. Malgré cela, elle admet que ses amis la traiteraient comme une « lépreuse » s’ils venaient à savoir qu’elle pratique l’échangisme.
« Nous sommes pourtant tout à fait normaux, me rappelle-t-elle. Nous prenons simplement du bon temps entre adultes consentants. Je te laisse, je vais voir qui veut bien me prendre par-derrière. »
*Les prénoms ont été modifiés.
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