À Albuquerque, on peut se procurer toute l’année – et pour seulement quelques dollars – la meth la plus connue de tous les États-Unis d’Amérique.
Et ouais. La même « Blue Sky » que Walter White produit à longueur d’épisodes de Breaking Bad. Mais ne vous méprenez pas, cette came-là ne risque pas de vous défoncer parce qu’elle est uniquement composée de sucre. Et ça, les clients du Candy Lady s’en accommodent parfaitement.
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La série a beau être terminée depuis quatre ans, l’économie d’Albuquerque continue de tout miser sur les produits dérivés, que ce soit pour vendre des objets estampillés Heisenberg, des donuts « Blue Sky » ou des tours en mini-van pour découvrir les différents lieux où la série a été tournée.
Il est évident que l’histoire de ce petit prof de chimie métamorphosé en baron de la drogue a boosté le tourisme local. Pour Debbie Ball, propriétaire du Candy Landy et dealeuse en chef de cristaux de sucre pour la série d’AMC, Breaking Bad a surtout fait comprendre aux gens une chose : le Nouveau-Mexique n’est pas au Mexique.
Debbie a 65 ans. Elle est assise devant une table en métal, à l’extérieur de sa boutique, et s’enfile le burger d’un fast-food local. Avant le succès de la série, elle m’explique que la moitié de ses clients étaient des gens du coin. « Maintenant, ça a bien changé. Je dirais que 75 % de mes clients sont des touristes qui veulent acheter des souvenirs Breaking Bad. »
Loin de cracher sur une telle opportunité, Debbie a fait du show le thème de sa boutique. Elle vend toujours des caramels, des réglisses et d’autres bonbons mais à l’extérieur, elle a ajouté un panneau qui affiche « The Bad Candy Lady. Breaking Bad. The Experience. » Et à l’intérieur, on peut trouver les habituels t-shirts, shooters et autres tabliers floqués des têtes du duo Walter White-Jesse Pinkman. Au fond du magasin, on peut demander à un employé d’être pris en photo avec un chapeau pork pie, des lunettes de soleil et un tablier « Let’s Cook, Bitches » décoré avec la tête de Jesse, un plateau de Blue Sky à la main.
C’est sa mère qui a appris à Debbie comment faire des bonbons et des chocolats. Elle a ensuite ouvert sa boutique en 1980 et c’est là qu’elle a préparé les accessoires qui ont joué les premiers rôles dans les deux premières saisons de Breaking Bad. Elle explique que ça ressemble à « ces cristaux de sucre qui remontent le long d’un fil » comme les gosses s’amusent à faire lors d’activités manuelles à l’école. L’équipe du film l’a contactée parce qu’elle s’était déjà fait une petite réputation dans le petit monde des bonbons-utilisés-au-cinéma-et-à-la-télé. C’est déjà elle qui était derrière les cristaux de meth utilisés dans la série Shameless et elle avait aussi travaillé pour Steven Seagal (mais elle ne se souvient plus pour quelle production – « le genre de trucs qu’il fait, un téléfilm. »)
Les premiers cristaux de sucre qu’elle avait préparé pour Breaking Bad étaient incolores. À l’époque, la vraie meth n’était jamais bleu électrique comme celle de la série. Mais les accessoiristes ont un jour tenté de bomber les cristaux et l’idée est partie de là. « Ils sont venus me demander quelle couleur irait et je leur ai dit que je n’en savais rien, peut-être une couleur qu’on ne trouve pas [tous les jours], j’ai suggéré. Et [Vince Gilligan] a ensuite choisi la couleur du ciel. C’était une bonne idée. »
Après la fin de la deuxième saison, l’équipe de Breaking Bad a choisi de changer de fournisseur de sucre teinté. « Ils sont partis acheter ailleurs et je n’en ai pas été vexée. À l’époque, personne en ville ne s’intéressait à cette série, » se souvient Debbie.
C’est vers la cinquième saison que la popularité du show a soudain explosé. Elle se rappelle du jour où Bryan Cranston a donné un petit sachet de cristaux bleus à David Letterman sur le plateau du Late Show en 2012 – c’est à ce moment-là qu’elle a eu l’idée d’en vendre.
Sa boutique a ensuite connu sa minute de gloire à l’échelle de tout le pays quand une chaîne de télé locale l’a interviewée avec d’autres commerçants de la ville qui capitalisaient sur la série. L’histoire a fait le buzz et elle a ensuite passé les jours suivants à faire des interviews avec les gens du Washington Post et d’Associated Press.
Le bonbon en lui-même n’est soumis à aucun copyright. Debbie ne le possède pas et elle explique qu’AMC n’a jamais tenté de le breveter non plus. Les clients lui réclament toujours de coller un label officiel Breaking Bad sur ses petits pochons mais elle ne cède pas aux demandes. « C’est idiot. On ne mettrait pas un label sur de la weed. »
Il faut tout de même ajouter que tout le monde n’apprécie pas le petit commerce de ces cristaux de sucre. En 2012, l’Albuquerque Journal publiait une série de missives écrites par des lecteurs mécontents – l’un d’eux disait que ce bonbon était « un mauvais exemple donné aux enfants. » En 2014, deux élèves étaient renvoyés pour avoir ramené les bonbons dans l’enceinte de leur école primaire.
Pour Debbie, l’histoire racontée dans Breaking Bad fait office d’avertissement. Elle passe son temps à répéter aux familles qui viennent lui rendre visite de regarder la série avec leurs gosses. Certains font les gros yeux, mais elle explique : « Quand tu parles aux enfants de la série et que tu la regardes avec eux, ils comprennent l’idée de faire attention à ses choix dans la vie. Qu’on doit affronter les conséquences de ces choix. Mon plus jeune client à avoir maté la série a sept ans et, quand je lui ai demandé ce qu’il en retirait, il m’a répondu : ‘Oh, j’ai bien compris que je ne veux pas être comme Walter White et je ne veux jamais prendre de drogues.’ »
Ce n’est pas la première fois que Debbie alimente la controverse. Quelques années après avoir ouvert sa première boutique, elle avait fait grand bruit avec ses confections aux formes plus qu’érotiques. Un article de presse plus tard, les clients se bousculaient au portillon – qui se situait de l’autre côté de la rue où elle est située à présent. Bites en chocolat et vagins ornés de cerise se vendaient comme des petits pains.
Debbie s’est coltinée les récriminations des religieux de sa ville. Les responsables municipaux ont tout fait pour fermer sa boutique en vain. Toutes ses activités sont complètement légales. L’Union américaine pour les libertés civiles est même intervenu en sa faveur. Les choses se sont progressivement calmées.
La fabricante de bonbons est nostalgique d’une époque où les gens n’étaient pas si vite offusqués. Elle regrette ce bon vieux temps. « J’aime m’amuser avec [mes bonbons]. »
« On ne s’amuse pas assez dans la vie. Les gens ne savent plus comment rire. Ils ont perdu leur sens de l’humour. Regardez autour de vous : tout le monde s’indigne. On ne peut plus rire de rien. Le sexe, ça ne va pas. La drogue, ça ne va pas. Quand j’étais jeune, on savait comment prendre les choses. »