Music

Dosseh n’est ni un cassos ni un vendu

A l’occasion de la sortie de Perestroïka, « l’album avant l’album », qui marque le retour de Dosseh, on s’est posé quelques minutes avec le rappeur d’Orléans. Celui qui attend patiemment son heure depuis maintenant une petite dizaine d’années est enfin prêt à passer un cap avec ce nouveau projet sorti chez Def Jam France. Dosseh s’est expliqué sur ce qui ressemble de loin à un changement de style (mais qui n’en est pas vraiment un), sur son désir de rassurer certains supporters et d’envoyer chier les fanatiques les plus lourdingues. Une chose est sûre, ce mec sait où il va et n’a toujours pas perdu son sens de l’humour.

Noisey : Pourquoi t’as pas appelé ton projet L’Homme au bonnet ?
Dosseh : [Rires] Parce que le titre Perestroïka était choisi depuis longtemps. Et c’est pas un album en plus. Le basculement s’est fait quand j’ai commencé à bosser avec Oumar [D.A. chez Def Jam]. On a décidé qu’avant de proposer un album au public, il fallait préparer le terrain sérieusement. Comme l’ont fait tous mes collègues. Niro a fait un taf avant Miraculé avec une tape et un street album, Kaaris avait Z.E.R.O, Lacrim avait des mixtapes. Il fallait que je fournisse ce travail aussi.

Quand un internaute t’a demandé « qui est le plus fort au corps à corps entre Kaaris, Gradur et toi ? », il s’est passé quoi dans ta tête ?
[Rires] Ouais c’est moi qui l’ai gérée cette question ! Je pense que même en lisant la réponse on sentait l’accent [il prend une intonation appuyée] « mais c’est quelle question ça ?! » [rires]

Videos by VICE

C’est la première fois que tu bosses avec certains beatmakers sur cet album.
À part RedRum Muzic avec qui j’ai beaucoup bossé, et Richie Beats, j’avais fait un freestyle sur une prod à lui, c’est plus diversifié parce que je pense que dans un projet c’est essentiel. À moins d’avoir un mec à la Timbaland qui peut tout faire, là ok. Mais sinon, c’est le seul moyen de te pousser toi-même à varier ta façon de rapper d’un morceau à l’autre. Plusieurs ambiances différentes, c’est intéressant. Mais y’a quand même beaucoup de RedRum. Prodfather qui était effectivement mon beatmaker « attitré » pendant un moment, est un peu en stand-by en ce moment.

Dans « L’Âge de nos actes », tu dis « laisse-moi rapper mes conneries et faire de ma life un fond de commerce ».
Voilà, tout simplement. Au-delà de « laissez-moi m’amuser », c’est juste pour dire « laissez-moi à ma place ». Je suis un rappeur, faut me laisser faire ma musique, soit tu l’aimes soit tu l’aimes, pas mais ça ne va pas plus loin que ça. Y’a pas plus de débats à avoir, se prendre la tête ou tergiverser. Si tu adhères tant mieux, sinon c’est pas grave, il y a plein d’autres artistes.

Il y a eu certaines incompréhensions sur ton évolution, mais elle me semble assez logique, non ? Tu t’es contenté de t’adapter à ce qui se fait.
Exactement. [rires] C’est exactement ça, c’est juste que je suis un mec de mon temps, la musique évolue, ma manière de l’appréhender aussi, la manière de poser… Même sans tout ça, un artiste, ça évolue. Je vais pas rapper comme y’a 10 piges sinon y’a un gros problème. Moi je peux comprendre un fan de la première heure, quelqu’un qui me dit qu’il préfère ma façon de rapper dans « 1001 questions » plutôt que dans « Illuminati ». Mais un mec qui me dit « je préférais dans ‘Igo‘ » ?! Qu’est-ce que tu me racontes ? C’est le même délire, c’était déjà trappisé, c’était déjà tout ça. Pour moi c’est du racontage de vie, sans cohérence. C’est un truc psychologique. Ils te perçoivent différemment donc ils perçoivent ta musique différemment. Je suis plus en indé donc ils ont l’impression que forcément c’est chelou. Alors qu’un artiste doit évoluer, tenter des trucs. Je ne peux pas rapper toute ma vie pour une seule partie du public qui veut du piano-violon à 90 bpm. Ils se prennent trop la tête.

Il me semble que c’était Jay-Z qui disait « si vous aimez ma façon de rapper d’avant, achetez mes anciens albums ». Pour moi c’est la punchline du siècle [rires]. Dans la musique tu mets en avant un côté précis de ta personnalité. Au micro, ça va être ce truc qui prendra le dessus. Sur ce projet, j’ai juste appris à faire ressortir un côté un peu moins sur les nerfs. C’est aussi de la maturité artistique. Je fais le projet que j’aimerais écouter de la part de quelqu’un d’autre. Parfois, j’écoute des sons US sans aucune agressivité, et j’arrivais pas à le faire dans ma musique. Maintenant si.

Perestroïka est très maîtrisé sur la forme, c’est calibré comme il faut mais je sens moins ta patte à toi.
Je vois ce que tu veux dire. Mais je vois le truc différemment : tout ça c’est de la stratégie (sourire). Disons que le rap c’est un match de boxe : j’arrive en challenger. Y’a déjà des champions, avec leur style bien précis, bien à eux. Ils peuvent swinger, faire leur truc. Moi, en tant que challenger, il faut d’abord que je dégomme ce que j’ai à dégommer. Une fois que je serai en place, là je pourrais commencer à danser, à m’amuser sur le ring. Y’a un temps pour tout. Il faut être ni trop tôt au rendez-vous, ni trop en retard. C’est ce que je suis en train de faire : je suis à l’heure au rendez-vous. Que les gens ne s’inquiètent pas. [rires]

C’est une nouvelle carte de visite finalement ?
Exactement. Il fallait juste rapper. Même si malgré ça, y’a 2 ou 3 morceaux un peu plus posés, comme « L’Âge de nos actes » justement. Le projet c’était : droit au but, on met les choses au clair direct, on va pas y aller étape par étape parce que ça fait longtemps que je suis là, on met un grand coup une bonne fois pour toute. Et après on passe à la suite.

Ça vient de là le fait que tu as moins de phases style « ta mère la libertine », le côté insulte avec de jolis mots ?
Ahah, non, il me semble que… Attends…

Y’a « ta mère la frigide, ton père le précoce », mais c’est encore autre chose.
[Rires] Non non, c’est toujours dans un coin de ma tête, mais là y’en a moins. C’est un trait de caractère, ça va au-delà de la musique.

Tu ne fais plus de discours en fin de track non plus.
Hmm… Vite fait, quand même, à la fin de « Dernier mot », histoire de faire un semblant d’outro. Mais ça pour moi, c’est plus à garder pour des morceaux d’album. Là c’était plus rentre-dedans.

Tu as quand même réussi à caser une référence à Buried, ça c’est très bien
Ah oui, il tue ce film. C’est vrai que peu de gens connaissent, hein ? On ne le cite jamais en tout cas, mais moi j’aime beaucoup.

Tu as utilisé l’extrait « trop vieux pour ces conneries » de L’Arme Fatale. Tu traverses la crise de la trentaine ?
Peut-être, inconsciemment, c’est à contre-coeur. Je ne suis pas non plus dégoûté, faut pas croire ça. En fait, ce morceau c’est celui d’un mec qui se pose des questions. Qui fait une sorte de bilan et qui se dit « normalement à mon âge j’aurais dû avoir ci, ça ». C’est un bilan de la trentaine. Une petite crise de la trentaine, peut-être, normal.

« L’argent me rend la queue rigide, sur la tête des gosses », t’as pas peur que…
[Rires] Je connais déjà ta question ! Non, non, je n’ai pas peur que les gens comprennent de travers. Ceux qui maitrisent la ponctuation, ils n’auront pas de problème.

Qui a eu l’idée de la choré à la fin du clip « Le Coup du patron » ?
[Rires] Je sais pas, elle s’est improvisée, comme ça. On a voulu faire un délire !

Le « je suis charlie » dans le clip « Le Dehors », vous avez fait exprès de le foutre là ou pas ?
C’était un hasard total, on filmait sur le périph, au calme, il s’est trouvé qu’il y avait ça dans le plan, on s’en est rendus compte mais on n’allait pas s’arrêter de filmer juste pour ça, on s’en bat les couilles. C’était pas fait exprès du tout.

« J’veux la fouf d’Ayem, d’la bouffe malienne, une architecture hausmannienne » : dans cet ordre là ?
[Rires] Ouais, dans cet ordre là !

Un petit message pour Ayem qui a tenté de se suicider à cause de cette rime.
Je sais pas si c’est lié. Mais bien sûr, si elle veut se confier, si elle veut parler, si elle a besoin d’une épaule, tout ça… qu’elle achète Perestroïka !

Rétrospectivement, dans tes egotrips tu parles plus de came qu’avant, non ?
Ce n’est même pas une volonté de rappeler aux gens que j’ai eu cette vie. Quand j’écris, ça vient spontanément. Là, c’est comme ça que je le sentais. Ceux qui me reprochent ça se trompent, parce qu’ils pensent qu’avant j’étais dans la moralité. C’est faux, je n’ai jamais été moralisateur. Je le mettais moins en avant mais c’est tout. Quand tu parais réfléchi et que t’as une écriture un peu plus complexe que ce dont ils ont l’habitude d’écouter, les gens ont l’impression que tu fais la morale. Alors que non, tu peux être une crapule très intelligente ! Ceux qui ont vraiment capté mon délire, depuis l’époque, sur « Pharaonique » et tout, ils ne sont pas choqués par « Le Dehors » ou « Illuminati ». Dans « Pharaonique » je disais « Les biatch veulent me michetonner mon bénéfice de la semaine et les flics cherchent à m’examiner de la rondelle jusqu’à la semelle ». Ça a toujours été là, sauf que vu que la forme a évoluée, la manière de le dire a aussi évoluée, c’est plus cash.

« Je divertis le peuple mais je veux pas les rendre teubé », ce juste milieu c’est compliqué de le trouver ?
C’est ça le truc en fait, cet équilibre est dur à atteindre. J’aimerais que les gens captent et puissent faire la part des choses. Capter la part de divertissement qu’il y a dans ma musique, dans un morceau, dans un texte, et retenir les infos essentielles qu’ils peuvent leur apporter. Mon but, même quand je fais un « Coup du patron », ce n’est pas d’abrutir les gens. Je ne suis pas dans la course aux cancres, pour se faire passer pour le plus cassos possible… Ce n’est pas mon but, hey, je ne suis pas un cassos. Néanmoins, je sais donner du divertissement. Si l’auditeur peut se dire « quand j’écoute tel morceau, c’est juste pour bouger la tête », et tel autre apprécie qu’un mec lui raconte sa vie et son expérience, de manière un peu plus profonde, c’est bien. Les mecs, faut pas qu’ils nous voient comme des modèles de quoi que ce soit. Tu peux écouter du Michael Jackson sans avoir envie de vivre dans un parc d’attraction ! Chacun son truc.

« Bouteilles et glocks » avec Kaaris est très efficace, par contre, étrangement, on dirait un morceau de Kaaris sur lequel ce serait toi l’invité, et non l’inverse.
Je ne trouve pas mais c’est peut-être dû au fait que c’est lui qui a trouvé le gimmick du refrain, c’est une prod de Therapy… Après, en vérité, ce que je me dis c’est : est-ce vraiment important ? Du moment que tu aimes le morceau. Nous on a juste voulu faire un bon ceau-mor, un titre club, banger. C’est vrai qu’il y a la phrase « je me méfie des groupies qui ont le cul plus large que la chatte ». J’ai pas vraiment fait plus sale que d’habitude dans mon couplet, sur d’autres morceaux j’ai ce genre de phrases de gamin qui reviennent si tu fais gaffe. Le « sur la vie de ta mère la frigide, ton père le précoce » justement.

Tu as baptisé cet album comme une « grosse mixtape », c’est parce qu’il n’y a pas de featurings US dessus ? C’est limite devenu la marque de fabrique de Def Jam France.
En fait, on ne s’est pas vraiment posé la question. Et puis y’a toute une organisation, faut se mettre d’accord au niveau contractuel. Puis j’avais pas envie d’attendre, je voulais lâcher mon projet direct. On verra pour l’album. C’est même pas sûr parce que moi, bon, je ne suis pas trop en sang sur les feats US. Si y’a moyen et qu’ils m’apportent un plus, ouais, mais je cours pas après. Si ça se trouve je vais avoir l’occase demain avec un artiste que je kiffe et je vais dire oui, faisons-nous plaisir, sans calculer. Mais là, à froid, je te dirais qu’un mec que tu paies 15 ou 20 000, faut quand même que commercialement ça t’apporte quelque chose. Si c’est un keumé que toi et les quelques autres connaisseurs de pe-ra comme toi vous kiffez, mais que personne connaît… Ca apporte surtout un truc au niveau de l’image. Tu feates avec les cainris, y’a un côté classe. C’est simple : un feat cainri qui n’est pas clippé : inutile. Aucun bénèf. Je pense que le Gradur-Migos va bien tourner par exemple.

Niveau feats justement, à part tes collègues d’Orléans c’est corpo : ils sont tous chez Universal.
Exact, c’est la maison mère, même Gradur qui n’est pas chez Def Jam dépend aussi d’Universal. Mais par rapport aux choix d’invités, ça n’a rien à voir.

Les lecteurs vont sans doute pas te croire
[Rires] Ca, c’est leur vie. Joke c’est suite à « Miley Cyrus », la collab s’était bien passée, j’avais envie de recommencer. Gradur, je le connaissais avant qu’il signe…

Tu étais dans un de ses clips, lui montrait également sa tête dans l’un des tiens.
Voilà. Lui et Kaaris, je savais que ça allait matcher sur leurs morceaux respectifs. Kaaris on avait déjà fait « Pirates », ça s’était très bien passé. « Bouteilles et glocks » c’est un nouveau délire, cool. En vrai, le problème du « qui est signé où » ça concerne surtout les feats US. Mais les Français, ils vont pas nous prendre la tête [sourire]. S’ils étaient chez Sony, ce serait pareil.

Refaire un projet de film façon Karma, ça te tente maintenant que tu es sur une structure plus solide ?
J’ai envie de le faire, mais là c’est mort, je suis sur autre chose. On ne peut pas chasser deux lièvres à la fois. C’est toujours dans ma tête, mais ce ne sera pas tout de suite. Je pense qu’avec l’expérience et des moyens plus conséquents, ce sera forcément mieux que Karma en plus. L’avenir proche c’est : Yuri, l’album, pour la fin de cette année. Entre temps, je sors Summer Crack 3, pendant l’été.

Ah tu reprends le concept de ta série de mixtapes gratuites pour l’été ?
Heu… Gratos, je sais pas [rires] ! Quand je le faisais gratos, c’était dans une optique de me faire connaître.

Oui, t’es pas vraiment un hippie communiste.
Voilà, c’était pour se faire de l’actu. Quand t’es pas en position de proposer un truc à acheter, frère, tu fais autrement. Le but était de ramener du monde, de toucher un max de personne. Ça m’a permis de ne pas me faire oublier. Ce sera le même concept que le 2 : une dizaine d’inédits.

« Mais comment leur dire qu’il y a une vie après Kopp ? » T’as été très patient avec tous les boulets qui te parlaient toujours de ton feat avec Booba plusieurs années après, mais là ça suffit c’est ça ?
Je comprends qu’on m’en ait parlé longtemps. C’est normal. Mais aujourd’hui, y’a du taf qui a été fait, etc. En réalité, cette phrase ne s’adresse pas tant au public. Elle s’adresse à ces espèces de producteurs, managers, mecs de studio bizarres qui disaient « ah ouais nan, lui c’est mort, il ne reviendra jamais » juste parce que j’ai pas enchaîné juste après la collaboration. Pour le public, c’est normal de bloquer dessus. Mais les mecs du rap… [rires] C’est pour tous ceux qui ont jacté.

Entre les questions à la con de certains internautes, ceux qui pensent que t’as vendu ton âme depuis ta signature, ceux qui vont te faire chier avec la trap et l’autotune, ça ne te blase pas trop ?
Je me dis juste qu’il y a des connards partout, pourquoi je serais épargné. Ce sont des gens qui n’auraient de toute façon jamais acheté mon CD, des jacteurs du net. Moi je me dis juste « fin d’eux ». Je me focalise sur ceux qui aiment : les fidéliser, tenter de faire grandir le truc. Comme disait Booba, si t’aimes pas, t’écoutes pas et puis c’est tout.


Yérim est sur Twitter, toujours.