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Ma journée avec les cobayes humains qui testent vos médicaments

Quatre jours sur un lit d’hôpital avec des gens altruistes mais surtout fauchés.

L'auteur pendant les essais cliniques

Quand on y pense, c’est logique que ce soient des humains qui testent les médicaments qu'ils achèteront eux-mêmes plus tard. Si les scientifiques se contentaient de tester leurs formules sur des rongeurs, ils se retrouveraient avec des tas de scandales sur le dos, comme celui du Thalidomide, antinauséeux pour femmes enceintes qui a entraîné des cas de malformations sur au moins 10 000 nouveau-nés. Cet épisode, considéré comme « l'un des plus dramatiques de l'histoire de la recherche », a abouti sur une série de réformes dans l'industrie pharmaceutique, qui a rendu plus contraignantes les procédures d'approbation desdits médicaments en vue de leur commercialisation.

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Le truc c’est, qui peuvent bien être ces gens qui acceptent de jouer au cobaye avec des médicaments potentiellement dangereux ? Des martyrs de la médecine ? Des étudiants fauchés après avoir dépensé leurs aides en tequila et en mobilier inutile pour leur chambre de 9 m2 ? Je me suis donc porté volontaire pour l'un de ces essais, moins pour tester ces médocs que pour me mettre dans la peau des cobayes qui mettent chaque semaine leur vie en danger.

Le test pour lequel j’avais signé était un essai en phase 1, ce qui veut dire que j'étais le premier humain à tester cet antidouleur contre l'arthrose. Ce médicament est censé soulager la douleur de cette maladie dégénérative et n'impliquait en théorie aucun effet secondaire. Ce sont ces deux derniers mots qui m'ont inquiété. En faisant quelques recherches, je suis effectivement tombé sur une histoire pas très rassurante.

En 2006 à Londres, six hommes bien portants ont participé à un programme initié par l'entreprise pharmaceutique américaine Parexel. Les tests ont viré au désastre : leur organisme n'a pas encaissé le choc, leurs têtes ont soudainement gonflé et l'un a même perdu ses doigts et ses orteils. Nav Modi, l'un des participants âgé de 25 ans à l'époque, a déclaré au Sun : « J'ai senti ma tête enfler comme une baudruche. J'ai cru que mes yeux allaient sortir de leurs orbites. »

Essayant de ne pas penser à cette éventualité, je me suis décidé à aller à l'hôpital où j'ai été accueilli par deux infirmières charmantes. Tandis que je signais la décharge, un homme déambulait dans le couloir, sans doute un habitué. « Brian, encore toi ? » lui a lancé en riant l’une des infirmières.

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L'une des feuilles d'auto-diagnostic distribuées durant l'essai

Le reste de la journée fut assez calme – quelques électrocardiogrammes, deux plateaux-repas et plusieurs grilles à remplir dont une où il fallait autoévaluer notre tendance suicidaire, « juste pour s'assurer que ces médicaments n'aggravent pas notre état dépressif » m’a assuré le personnel.

J'ai ensuite été placé dans une salle d'attente avec cinq autres patients, tous des hommes, d'âges et d'horizons divers. Le premier s'appelait Anwar, un Italo-Somalien dans la trentaine qui avait l'air d'être sur le point de partir en vrille. Il ne pouvait s'empêcher de faire des blagues, même lorsqu’une grosse seringue s'enfonçait dans son épiderme. C'était la septième fois en deux ans qu'il participait à ces essais. Il m'a expliqué que son boulot de webmaster ne lui assurait pas assez de revenus pour partir en vacances.

« C'est de l'argent facile – quand je veux partir en vacances, je viens ici et ensuite je peux partir où je veux ! Une fois, j'ai réussi à me faire 6 000 euros pour 26 jours de tests. On peut le faire trois fois par an et se faire dans les 4 000, mais après il vaut mieux se calmer un moment parce que ça peut être nocif sur le long terme » m'a-t-il avisé. J'étais pour ma part en droit de douter des conseils santé de ce type prêt à s'injecter n'importe quoi dans le sang pour se payer un aller-retour en avion.

Je lui ai demandé s'il avait ressenti des effets secondaires après les 26 jours de test. « On a perdu la sensation de chaud quand on mangeait. Quand on buvait du café brûlant, on ne s'en rendait pas compte, » m’a-t-il répondu, hilare, imitant le bruit du liquide brûlant l’intérieur de sa bouche. Il m'a par ailleurs assuré que tous ses sens étaient revenus après les tests.

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L'auteur pendant les tests

Un peu plus tard, il a comparé la salle d'attente à la prison italienne dans laquelle il avait passé 3 ans il y a quelques années à cause de son tempérament « incontrôlable ». « C'est un peu la même chose, on est réunis dans une pièce exiguë – et on s'y fait. » Quand je lui ai dit que ça m’emmerderait de rester là 26 jours durant, il m'a demandé, toujours sur le ton de la blague : « Eh bien dans ce cas, comment tu ferais si t'étais en prison ? » Je lui ai répondu que finir en prison ne faisait pas vraiment partie de mes projets ; il a éclaté de rire avant de se remettre à How High, qu'il regardait sur son laptop.

Le deuxième type avec qui j'ai parlé s'appelait Paul. Paul est un spiritualiste qui avait lui aussi la trentaine passée, et qui n'expérimentait pas le même médicament qu’Anwar et moi. Il en était à son cinquième test. « J'évite d'en parler autour de moi – les gens trouvent ça louche m'a-t-il confié. Mais je me dis que s'il n'y avait pas de gens comme moi, il n'y aurait même pas la moitié des médicaments qu'on peut trouver sur le marché et davantage de gens mourraient. »

Le Pembrolizumab, nouveau traitement révolutionnaire contre le mélanome, pourrait bien lui donner raison. Avec ce médicament, les patients espèrent voir leurs chances de survie passer de 10 à 74 %. « En tant que spiritualiste, il est dans ma nature d’aider les autres. Mon corps est juste une enveloppe charnelle – quand je mourrai, mon âme quittera cette coquille. Alors, si je peux aider la recherche tout en me faisant un peu d'argent, c'est gagnant-gagnant. »

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Quittant un instant la lecture de son bouquin intitulé « Les Anges au quotidien : comment découvrir vos anges gardiens », il m'a confié qu'il se préparait pour un test de quatre semaines en septembre, essai qui lui permettrait de financer ses retraites spirituelles aux quatre coins du monde.

L'un des repas servis pendant les tests

Le deuxième soir au moment des repas, j'ai eu l'occasion de discuter avec deux mecs qui s'étaient liés d'amitié au cours d’un test. Stan venait de Liverpool, avait autour de la cinquantaine, tandis que Tyrone était étudiant. « Le pire effet secondaire que j'ai connu, c'était avec ces médicaments radioactifs. Pendant 18 jours, on a dû chier dans une bouteille. On ne pouvait pas aller aux toilettes : nos selles étaient radioactives. Il y avait une technique à prendre et les premiers jours, personne n'y arrivait ! On visait toujours à côté. C'était un sacré merdier ! »

L'image de Stan tenant de remplir la bouteille de ses excréments est restée ancrée dans mon cerveau tandis qu'il m'expliquait les raisons pour lesquelles il était devenu cobaye. « Il y a un an à la même époque, j'étais complètement fauché. Du coup, j’ai fait ça pour pouvoir garder la tête hors de l'eau, m'assurer un revenu », m'a-t-il avoué.

Tyrone pour sa part n'avait encore jamais participé à ce genre de test. C'était de loin le plus jeune et l'idée ne plaisait pas du tout à ses parents. Il s'était passé de leur autorisation. « Le truc lorsqu'on est étudiant, c'est qu'on ne se rend même pas compte où passe notre argent. Ce qui est sûr en revanche, c'est qu'à la fin du mois on est à sec. » C'est ainsi qu'il justifiait sa présence entre ces murs. « Je me suis renseigné il y a un an mais je ne pouvais pas faire ceux qui étaient alors proposés – je suis allergique à la pénicilline. »

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Le quatrième jour, j'ai eu l'occasion de reparler à Anwar. Il m'a affirmé qu'il était dans le centre Parexel au moment de la catastrophe de 2006. « C'était du sérieux. Je n'étais pas dans le même groupe que les victimes mais ils nous ont tous renvoyés chez nous. Quand j'ai appris ce qui s’était passé, j’ai été soulagé de partir. C'est l’une des choses les plus traumatisantes que j'ai vues. »

Le choix de lecture proposé dans la salle d'attente

S'il disait vrai, l'expérience n’avait pas l’air de l'avoir perturbé tant que ça, dans la mesure où il était toujours là, allongé sur un lit d'hôpital, à moitié nu avec des aiguilles plantées dans les bras.

Quand j'ai revu le personnel, je leur ai posé des questions sur l'expérience de 2006 qui avait mal tourné. Tous m’ont répondu la même chose : « Beaucoup de choses ont changé depuis » ou « il y avait eu une erreur dans les doses. » Bizarrement, aucun des cobayes ne semblait s'inquiéter à part moi. D’un autre côté, j’étais aussi le seul pour qui c’était nouveau. Les médecins avaient assuré tout le monde qu'à « partir du moment où ils acceptaient de rester alités plusieurs jours, tout se passerait bien ».

Mais au bout de quatre jours sur un lit d’hôpital, je n’en pouvais plus. Rester enfermé à l'intérieur est déjà très contraignant, mais avoir des seringues plantées dans les bras et des tuyaux qui vous sortent de partout relève franchement du supplice.

Je n’ai pas noté d'effet secondaire notable au sein de notre groupe. J'en conclus que le médicament qu'on a testé devrait être commercialisé rapidement. Et même si je n'ai joué qu'un rôle mineur dans le processus, j'éprouve une certaine fierté à l'idée d'y avoir pris part. Bien entendu, l'argent qu'on a reçu en retour est un facteur déterminant, et comme je m'y attendais, c'est bien l'appât du gain qui a attiré tous ceux que j'ai rencontrés lors de ce séjour – même dans le cas Paul, le cockney transcendantaliste.

De toute façon ça m'étonnerait que quelqu'un, au cours des 300 prochaines années, soit prêt à se laisser injecter des substances inconnues dans le sang sans contrepartie financière. L’humanité n’est pas encore assez altruiste ou assez stupide.