À l’intérieur des salles de sport de Paris

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À l’intérieur des salles de sport de Paris

Soupirs, smartphones et plastique – les centres sportifs sont la France de 2015.

En 2015, presque tout le monde va en salle de sport. Ce qui était encore il n'y a pas si longtemps une pratique réservée à une élite de professionnels bodybuilders ou à des bourgeois ayant les moyens d'accéder à ces centres sportifs, s'est démocratisée au tournant des années 2000.

J'ai choisi de concentrer mon travail sur les deux seules salles de Paris qui représentent pour moi une certaine neutralité sociale. Tout d'abord, L'espace Forme Pailleron dans le 19e arrondissement, la seule salle publique de Paris. Les tarifs y sont abordables et l'espace pratique la gratuité sur certains critères sociaux. Et le Montana Fitness Club, dans le 18e, le must du fitness low cost étalé sur 3 200 m2. Le lieu est impressionnant. Il offre visuellement tout ce que l'on peut attendre d'une salle contemporaine : appareils dernier cri, néons, plaques de ferrailles posées à divers endroits ou autres miroirs gigantesques.

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Entre mars et avril, j'ai passé une dizaine d'heures dans chaque salle à des horaires arbitraires, afin de rencontrer des profils variés.

Et en effet, les typologies que j'ai rencontrées dans ces salles sont très différentes les unes des autres. J'ai croisé une majorité de jeunes âgés de 20 à 35 ans. Un responsable d'agence, une assistante de direction, un commerçant, des maquilleuses, un Youtubeur, un bodybuilder semi-pro, un mannequin, plusieurs anciens truands, quelques commerciaux – et j'en passe.

Je ne sais pas depuis combien de temps ils font du sport. Je n'ai pas interviewé mes sujets, mais ce qui m'a étonné c'est que dans certaines discussions que j'ai pu avoir avec eux, beaucoup me disaient qu'ils « reprenaient le sport » ou la muscu suite à une blessure ou une période de vie qu'ils estimaient trop « festive ». On peut en déduire que ces gens sont en réalité tous des sportifs de longue date. Un autre truc, évident au premier abord, mais qui s'est confirmé dans la réalité : les zones fitness sont assez mixtes, tandis que les zones muscu sont à 98 % peuplées des mecs. Les 2 % de meufs restantes font du squat, une nouvelle pratique permettant de muscler le fessier dans des proportions intimidantes de type Kim Kardashian.

Concernant l'aspect physique de mes sujets, tout dépend de quand tu arrives – pendant leur entraînement, ou après. Au début, tu les sens motivés. Mais au fur et à mesure, tu vois qu'ils en chient et donc ils se mettent à suer, et c'est alors les premiers signes de douleur apparaissent (moues, soupirs, cris, etc.). Après, pendant les phases de récupération, on peut noter une forme de quiétude ou de libération. Certains discutent ou se challengent, d'autres checkent leur smartphone, consultent Facebook, leurs messages – c'est aussi cette phase de décompression que je voulais montrer.

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Je pensais que la plupart des gens se rendaient « à la salle » – pratique typiquement individuelle – uniquement pour se recentrer, se dépasser et booster l'estime qu'ils pouvaient avoir d'eux-mêmes en ces temps plutôt moroses pour la France. Cela étant, après différents repérages, j'ai aussi découvert un monde animé et communicatif, uni au-delà du simple effort. Les gens se parlent, échangent des conseils techniques, d'autres glandent, se connectent à leur téléphone.

J'ai également aimé l'ambiance très « salle de torture » des deux centres. Le contraste entre ces machines qui, esthétiquement, ressemblent à des bancs de torture du futur (ce qu'elles sont, d'une certaine façon), et le plaisir a posteriori qu'elles peuvent procurer à ses utilisateurs. L'aspect hygiénique est également intéressant. Ces salles et ces machines sont étudiées pour être nettoyées facilement. D'une manière générale, j'aime tout ce qui est pensé pour être purement fonctionnel, que ce soit en architecture ou en design.

La majorité des personnes que j'ai approchées ont répondu favorablement à mon invitation. Certaines m'ont laissé les mettre un peu en scène, d'autres m'ont invité à les suivre durant leur programme. On échangeait un peu, mais c'était plus du small talk qu'autre chose. Ça m'a permis d'obtenir le résultat docufiction que j'attendais.

Dans mon travail de documentation, je travaille d'habitude peu sur les personnes, sauf lorsque je trouve que certaines actions ou mouvements sont riches en significations. Je veux qu'elles reflètent des aspects du réel sociologique contemporain. Ce fut le cas pour cette série. En ce moment, dans le même genre, je prépare une série sur les aoûtiens du village balnéaire et touristique de la Grande Motte, dans le sud de la France.

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