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Tête de turc dans la vallee des pigeons

No sex, no carpet !

Lorsqu'en août 2008 Pauline, française de quarante ans, décide de se faire un petit voyage initiatique histoire de conjurer la crise de la quarantaine et de faire un break avec la routine parisienne, elle arrête son choix sur la Turquie. C'est loin, c'est beau, bref c'est ce qu’il lui faut. Après avoir vadrouillé une quinzaine de jours sur la côte ouest d‘Istanbul à Ismir, cette parisienne arrive en Cappadoce. Dans le village très touristique de Göreme, elle s'apprête à faire l'expérience somme toute assez classique de la touriste qu'on entube. Cette expérience s’appelle Mehmet. Une jeune femme seule à l'étranger ne serait-elle rien d'autre qu'un dollar ambulant flamboyant qu'on peut se serrer? Pas si sûr, nous répondra Pauline.

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Vice : Alors Pauline, raconte-nous un peu ton périple turc et ton

escale à Göreme.

Pauline : Göreme est la première ville de Cappadoce dans laquelle je me suis arrêtée. J’avais vraiment envie de visiter cette région très réputée pour sa beauté. Mes valises à peine posées à la pension, je fais la connaissance simultanément d’Hassan et de Mehmet. Hassan était du style frimeur qui joue les gros bras, il cherchait à faire le crâneur en trimballant une européenne à ses basques. Il avait un côté caïd qui se la raconte dont personne n’était dupe au village et qui était plutôt touchant dans le fond. Mehmet, en revanche, était dans une posture plus distinguée, plus affable, il mettait en avant un côté plus raffiné : il était propre sur lui, avec une chemise assez classe, il avait un regard lumineux et vif. Il parlait très bien français ce qui m’a tout de suite interpellée, d’abord parce que ça faisait quinze jours que je communiquais en anglais avec des gens qui le baragouinent plus qu’ils ne le parlent, ensuite parce qu’il le maniait avec une certaine finesse. Je me suis tout de suite dit que pour parler aussi bien français il l’avait appris soit à la fac, soit au plumard. Or, comme c’était un vendeur de tapis j’ai plutôt supposé qu’il l’avait appris au lit, ce qu’il m’a d’ailleurs confirmé par la suite.

Et alors il t’a sorti le gros plan drague ?

Pas vraiment. Enfin disons : pas la grosse cavalerie, c’était plus subtil. Comme il voyait que je faisais un tour global de la Turquie et que je prenais pas mal de photos de paysages, il m’a tout de suite parlé de son pays en m’en faisant l’éloge et en me promettant de me faire voir des coins splendides. Moi j’étais ravie.

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Il n’y avait alors rien de louche ?

A ce moment-là, non. Il s’est présenté, m’a dit qu’il bossait dans une boutique de tapis et puis il m’a invité à boire un thé et à voir un coucher de soleil dans une vallée. Là, il a commencé à s’épancher sur sa vie. Il me parlait de lui de manière un peu confuse pour laisser plus de souplesse à la tournure qu’allaient prendre les choses.

C’est-à-dire ? Rétrospectivement tu te dis qu’en faisant ça, il installait le terrain de l’arnaque ?

Ah bah c’est certain. Il m’invite d’abord dans un petit restau le soir, se montre charmant. Il faut bien rappeler que n’importe quelle nana seule en Turquie est envisagée… à l’horizontale, on va dire, c’est-à-dire comme une proie potentielle. Le lendemain, on retourne au restau. Il me dit qu’il vient de se faire renvoyer de son travail, que son employeur s’est foutu de lui, l’a viré comme un malpropre, qu’il le soupçonnait d’attirer des clients et de vendre en-dehors de la boutique. Là je sens qu’il commence à se mettre en position de victime, pour que je m’apitoie sur lui. Il me donne rendez-vous le lendemain à 20h dans une autre boutique, donc déjà je commence à trouver tout ça un peu fumeux. On retourne au restau, Mehmet se laisse inviter. Après le restau il me dit : on va passer chez moi, j’ai dans ma cave des tapis, si t’en veux un, je te fais un super prix. A ce moment-là, je lui parle d’Hassan, pour voir sa réaction. Et tout de suite il me le décrit comme une sorte de bandit qui cherche à escroquer tout le monde et dont il faut se méfier, comme pour se faire passer lui pour un type très bienveillant. Ensuite, une fois chez lui, il me montre les tapis : de belles pièces en effet. Là, il se montre plutôt insistant, il veut tout me faire voir, dans l’idée que je finisse par lui en acheter un.

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Et là, tu commences à sentir qu’il cherche à t’embrouiller la tronche ?

Bah après il me raccompagne à la pension et sur le chemin il commence à me parler des ennuis de santé de sa mère qui l’affectent beaucoup, me dit-il. Avant de me laisser, il me fixe un rendez-vous pour le lendemain matin, il veut m’amener à la vallée des pigeons. Je commence à avoir des pressentiments. Je ne le rappelle pas, c’est lui qui me rappelle. Le lendemain matin il débarque avec une face de carême, blanc comme un linge, il me dit : « viens, on va dans la vallée des pigeons, faut que je te parle, ça va pas. Ma mère est malade, faut que j’aille la voir ». Il m’annonce qu’on ne va pas pouvoir faire la journée de visite qu’on avait prévue. Il me demande si je compte lui acheter un tapis, car il m’avoue que ça l’arrangerait. Et puis il précise qu’il faudrait que je paie maintenant car il

est en galère de fric et qu’il doit payer le médecin pour sa mère. Donc pour résumer : en 48h il perd son boulot, et sa mère est à l’article de la mort, je trouve que ça fait beaucoup. Là, je n‘ai plus aucun doute, je sais qu’il cherche à me rouler. Je suis très méfiante mais comme je suis seule avec lui dans la fameuse vallée des pigeons, j’ai beau avoir capté son manège, je ne peux pas prendre le risque de faire un sac dans cet endroit isolé.

Alors qu’est-ce que tu fais ? Seule avec lui dans la vallée des pigeons, t’as pas flippé outre mesure ?

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Non je n’ai jamais flippé, parce que ce n’est pas tellement dans mon tempérament de me faire des scénarios d’angoisse et puis qu’il n’avait rien du mec qui allait me trucider, même si les circonstances étaient idéales s’il en avait eu le profil et l’intention : on était dans un coin absolument désert. Je lui laisse donc entendre qu’il n’y a aucun problème, que je vais lui acheter son tapis et le payer tout de suite, pour être certaine qu’il me raccompagne au village de la pension. On repart et en plein chemin il arrête brusquement la voiture et se met à chialer en cachant son visage dans le volant. Je regarde discrètement et je ne vois aucune larme, ce qui confirme tout son manège. Il se confond en excuses et remerciements, le tout sur un ton larmoyant ridicule.

Donc ça c’était dans la voiture sur le chemin du retour donc, et qu’as-tu fait alors ?

Bah j’étais à l’affût de toute confirmation de mes soupçons. Je le voyais jouer clairement la comédie mais en même temps on ne peut jamais être tout-à-fait sûr des choses donc je le poussais à me donner d’autres indices. Mais j’ai carrément fait la faux-cul aussi, je lui donnais sa réplique. Quand il s’est mis à pleurer, je l’ai réconforté, je lui ai mis la main sur l’épaule en lui disant : « mais non, t’inquiète pas, ça va s’arranger ». J’étais carrément dans la feinte et le jeu avec le plaisir d’attendre la chute. Je pensais intérieurement : « tu te crois au théâtre et bien on va carrément y être au théâtre et tu vas pas être déçu de la chute, mon coco ». On est arrivés et là je suis descendue de la voiture, j’ai ouvert sa portière, je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai dit : "maintenant t’arrête de me prendre pour une conne, tu t’es bien foutu du Hassan mais t’es exactement du même acabit que lui, tu vaux pas mieux."

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Waouh. Et comment il a réagi à cette volte-face ?

Il était scié. Je pense qu’il y a plus d’une nana qui serait tombé dans le panneau car il était plutôt bon comédien, à part pour pleurer. Il a fait le mec qui ne comprenait pas du tout. Il ne se doutait pas une seule seconde de ce revirement si brusque et de la sortie que j’allais lui faire. Il pensait vraiment qu’il m’avait roulée dans la farine. Il avait la gueule pétrifiée du coupable dont on démonte le plan. D’ailleurs ça pouvait laisser penser que ce n’était pas la première fois qu’il jouait ce petit scénario et que apparemment les autres fois ça marchait plutôt bien. Il m’a vraiment prise pour une nana crédule. Donc il était sans voix. Sur le coup il n’a pas chercher à se justifier. Il était trop pris de cours. Je pense qu’il se sentait humilié de se faire rectifier comme ça par une femme.

Il était sur le cul et honteux alors ?

Ah oui complètement, il jouait au mec qui ne comprenait pas du tout de quoi je voulais parler. Après il a essayé de me joindre et m’a laissé plusieurs messages : ce qui est l’attitude parlante du coupable qui veut se justifier mais qui s’empêtre encore plus. Il me disait qu’il ne comprenait vraiment pas. Je pense qu’il a surtout flippé que je le dise au gérant de ma pension, il était mal, il devait se dire : je ne sais pas ce qu’elle va aller raconter. Il était surtout emmerdé pour sa réputation car Göreme est un petit village où tout le monde se connait. Il m’a envoyé un dernier texto, ne reconnaissant toujours pas, outré que je puisse penser ça de lui, il a écrit : "je suis en choc, tu as trahi ma confiance."

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Et rétrospectivement, qu’est-ce qui t’avait clairement mis la puce à l’oreille ?

Sa voix de victime et son teint blafard, le lendemain de notre rencontre. Il avait au téléphone une voix d’outre-tombe, absolument surfaite. D’abord ça m’emmerdait parce que ça

signifiait que la journée n’allait pas être réjouissante et quand ensuite j’ai vu sa gueule déconfite et qu’il m’a annoncé qu’il devait me parler, j’ai tout de suite pensé que c’était les prémisses d’une

arnaque ou d’un truc louche. S’il avait été plus stratégique, il aurait quand même fait la journée de visite dans les vallées. Là, il a trop vite voulu monter son bateau et c’est ce qui l’a fait sombrer. Il m’a parlé des ennuis de santé de sa mère alors que je ne le connaissais que depuis 24h : ça manque de subtilité.

Qu’est-ce que t’as ressenti sur le coup? La fierté d’avoir déjoué un plan? Ou la vexation d’avoir été prise pour … une tête de turc ?

Les deux, en fait: j’étais un peu vexée, parce que c’est clair que tout était faux (sa mère n’était pas malade et il ne comptait surement même pas aller la voir) mais je me suis dit qu’il aurait quand même pu prendre la peine de me faire visiter une journée sa région, quitte à m’arnaquer la tronche. Alors que là on sentait qu’il voulait abréger au plus vite son arnaque, avoir sa thune, sans

s’embarrasser d’une journée en ma compagnie.

Mais toi qu’est-ce que tu attendais de ce type? Comment se fait-il que tu ne te sois pas immédiatement méfiée de lui ?

Bah avant tout j’étais contente de parler français et je lui faisais bizarrement plutôt confiance, dû à sa subtilité et à son aisance de conversation. Quand tu voyages seul tu aimes bien rencontrer des gens qui prennent plaisir à te faire visiter leur région. C’est agréable lorsqu’une personne te parle de son pays, de sa culture, sans forcément chercher à te draguer ou à te vendre un truc. C’est le plaisir des rencontres de voyage : croiser des gens au hasard des rues, au petit bonheur la chance.

Et des mecs comme ça, t’en as croisé beaucoup d’autres ou Mehmet était le plus coton ?

Bah il y en a pas mal des mecs qui ont un peu le nez au vent. Ce sont des gens qui ne travaillent pas trop, un peu désœuvrés, ou dans la bidouille. Et ce sont eux dont tu croises le plus facilement la route. Ils sont à l’affut des femmes de mon profil : seule, touriste, occidentale. C’est dommage parce que tu aimerais vraiment faire des rencontres un peu spontanées, dépourvues d’intérêt mais c’est difficile. Après cette histoire-là, j’ai compris qu’il fallait rapidement mettre les barrières, faire comprendre, avant de s’engager dans la conversation avec quelqu’un, que tu aimerais aller au-delà d’une vente du tapis ou d’une partie de cul. Et comme les deux choses incontournables, dans la rencontre avec un homme, c’était soit une vente de tapis soit un plan drague, je laissais gentiment entendre : no sex, no carpet !