D’un porno l’autre

Manuel Ferrara by Boris Camaca

J’aurais pu intituler ce papier « Entretien avec le Professeur du X », ou « Baise à Crédit ». Ces pastiches des titres romanesques de Louis-Ferdinand Céline auraient été tout aussi appropriés pour l’introduire. Il est 19 heures lorsqu’une voiture noire glisse sur le bitume lubrifié de la rue des Petites Ecuries, dans le 10e arrondissement de Paris. Le taxi s’arrête devant l’Hôtel Bourbon. Un type en sweat à capuche, jean large et aux chaussures de basket descend de l’arrière de la berline. Ce mec, sobre, athlétique et souriant, n’est autre que Manuel Ferrara, l’acteur-réalisateur de films X originaire de Seine-Saint-Denis devenu la légende du porno à Los Angeles.

Âgé de 43 ans, Ferrara collectionne les honneurs outre-Atlantique. Il a gagné les Oscars de la profession, les AVN Awards, dans la catégorie meilleur acteur X, cinq fois d’affilée – un record. Il n’est pas exagéré de dire que Ferrara marquera l’histoire du porno comme Rocco Siffredi, dont il est l’ami aujourd’hui. Sa longue carrière dans le porno lui permet d’avoir un regard légitime sur son évolution, de la montée d’un porno féministe jusqu’au traitement médiatique et politique d’un milieu toujours autant rabaissé. Manuel s’assoit tranquillement sur un siège en velours au sous-sol de l’établissement. On commence à discuter.

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VICE : Les titres des films libidineux, dans les années 80, étaient comico-érotiques, reprenant des éléments de la culture populaire en se les réappropriant. Aujourd’hui, ils sont plus crus, plus sérieux…
Manuel Ferrara : Les gens voulaient donner des titres drôles et connus à leurs films pour rendre les gens curieux. Ça a donné des choses comme Blanche Fesse et les sept mains, pour reprendre un des exemples les plus connus. Dans les années 70-80, c’était à la mode. Aujourd’hui ça ne se fait plus. Ce n’est plus vraiment la peine.

Ce qui ne se fait plus non plus, ce sont les films pornos narratifs, avec une histoire, une intrigue, des rebondissements, et tout ce qui va avec. C’est la demande qui a modifié le contenu de l’offre ?
Aujourd’hui, il y a beaucoup de scènes qu’on appelle gonzo, très directes et brèves. C’est un phénomène de mode, en fait. À l’époque, certains tournaient du gonzo quand la plupart tournaient des films pornographiques à histoire. Ce nouveau format a cartonné, et tout le monde s’est mis à en faire pour répondre à la demande. Mais il n’y a pas que ça dans les productions pornographiques actuelles. Tout le monde a des envies, des désirs et des goûts différents : des acteurs favoris, des cadrages particuliers, des besoins narratifs ou pas, et une certaine esthétique. En ce moment, on est en train d’assister au retour des films scénarisés. Même on ne fait plus trop de films dans le X car, aujourd’hui, on ne tourne pus que pour le web.

Comment les acteurs pornos prennent ça ? Je veux dire, faire l’acteur…
Très rares sont les acteurs et actrices pornos qui savent vraiment jouer la comédie. Ce n’est donc pas facile de faire un bon film porno narratif. Il faut un bon script, un gros budget, et surtout avoir de bons acteurs qui peuvent ajouter quelque chose à l’histoire. Si la dernière condition n’est pas respectée, et même si le scénario est bon, le film peut être ridicule très rapidement.

Tu as déjà tourné dans un porno avec un scénario ridicule ?
Alors c’est très dur pour moi d’en parler parce que le film en question a été réalisé par John Stagliano, le mec à qui je dois beaucoup, qui m’a fait venir aux Etats-Unis, et qui m’a fait tourné dans un film qui a très bien marché, The Fashionistas. Quelques années plus tard, il m’a demandé de jouer dans son nouveau film intitulé Voracious, un film de vampires. L’intrigue était simple : une histoire d’amour entre un anthropologiste et une vampire.

Dans certaines scènes, je me demandais même ce que je foutais sur le plateau. J’avais honte, et même la chair de poule parfois. Je me souviens particulièrement d’une scène où j’étais dans une voiture avec un autre acteur (l’exorciste du film). Le roi des vampires, joué par Rocco Siffredi, devait passer devant notre véhicule. Mais Rocco a décidé d’improviser devant la caméra, et a fait des mimiques de vampire avec des bruits pas possibles ! On était pliés de rire ! Pour te dire, je ne sais même pas si cette scène a été gardée au montage parce que je n’ai jamais osé la regarder. Le film a pourtant bien marché, mais quand John m’a demandé de faire la suite, j’ai dû refuser.

« Récemment, j’ai vu les passages de Balance ton post. Ils m’ont fait beaucoup de mal. »

Je me rappelle, plus jeune, déambuler dans la petite pièce sombre des vendeurs de cassettes et de DVD, et fantasmer sur les images de femmes nues sur les pochettes. Aujourd’hui ça n’existe plus, et les jeunes ont un accès direct aux scènes de cul sur Internet…
Je vois très bien, je faisais la même chose dans les boutiques de DVD. Ce que tu viens d’évoquer, c’est là où se trouve le vrai problème du porno actuel : son accès aux plus jeunes est bien trop facile. Sur ce point, les sites gratuits n’ont jamais aidé.

Quel est ton regard sur le porno actuel ?
C’est dur à dire parce que le porno est un vaste monde. Mais le milieu dans lequel j’évolue est professionnel, droit et carré. Tout est basé sur le consentement. Récemment, j’ai vu les passages de « Balance ton post ». Ils m’ont fait beaucoup de mal. Les gens sur le plateau disaient que le monde du porno était merdique, et que les acteurs et les actrices étaient des personnes malsaines. Alors que ce n’est pas du tout le cas. Les cas dont ils parlaient étaient, à la limite, des cas isolés.

Avant ça, il y avait eu l’intervention d’Emmanuel Macron.
Ça aussi ça m’avait fait réagir tout de suite parce que, clairement, il essayait de plaire aux féministes, sans se pencher réellement sur la question. Il parlait d’un business qu’il ne connaissait pas, et faisait plein d’amalgames. Je lui ai d’ailleurs répondu par un tweet qui a ensuite été partagé des milliers de fois. C’est très facile pour les médias d’aller chercher des trucs négatifs dans le porno – comme on pourrait en trouver dans le monde de la mode, du cinéma, ou celui des femmes de ménage.

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Tu penses que c’est l’égalité homme-femme dans les sociétés occidentales qui accentue le besoin de voir des hommes dominer des femmes dans le X ?
La domination se passe dans les deux sens. Certaines femmes, tout autant que certains hommes, aiment ce genre de pratique. Chacun a un fantasme, et chaque fantasme est représenté dans le porno, aussi bien celui des femmes que celui des hommes. Ça dépend ce que la personne recherche. Dans les demandes que je reçois en privé – via les réseaux sociaux –, les messages les plus durs et les plus hard, viennent toujours des femmes. Elles me disent ce qu’elles font, et c’est très, très chaud… Le hard n’est pas réservé à la gente masculine.

« Dans le porno, les femmes sont beaucoup mieux payées que la grande majorité des hommes. Quelle industrie peut en dire autant ? »

La plupart des gens ne savent pas comment se déroule un tournage, et aucun n’a discuté avec des actrices porno professionnelles sur le sujet. Ils ne comprennent pas que c’est un business, que les actrices en sont conscientes, et qu’elles le vivent très bien. C’est d’ailleurs un business qui rapporte. Dans le porno, les femmes sont beaucoup mieux payées que la grande majorité des hommes. Quelle industrie peut en dire autant ? C’est pour ça que je me bats contre la façon dont le porno est abordé dans les médias, et les choses immondes qui sont véhiculées par certaines féministes qui s’emparent d’un sujet qu’elles ne connaissent pas pour faire avancer la cause des femmes dont elles se croient les garantes exclusives.

Qu’est-ce que tu penses du porno féministe ?
Je trouve ça très nul. C’est même immonde d’imposer du pseudo porno aux femmes avec une accroche du type « c’est pour nous que ça a été fait ». Faire du porno pour des femmes ou des hommes qui n’aiment pas ça, c’est davantage pour gagner des parts de marché que pour l’égalité de la jouissance. C’est tellement nul ! Plein de femmes aiment le porno hard. Sont-elles moins féministes que les autres ?

Je vois. Dans les noms qu’on retiendra, est-ce qu’il y a encore de la place entre toi et Rocco Siffredi ?
Ce n’est pas à moi de le dire. Je connais Rocco depuis des années, et c’est un très bon ami. Je dis toujours que Rocco, c’est le Bruce Lee du porno. Il n’y aura jamais un autre Bruce Lee, et il n’y aura jamais un autre Rocco. Il y a d’autres acteurs aujourd’hui qui ont de très bonnes carrières et qui marchent très bien, mais pour qui je n’ai pas beaucoup de respect. Je ne les mettrai donc pas dans ta liste, pour des raisons que je n’évoquerai pas ici.

OK. Si Rocco est Bruce Lee, qui es-tu toi ?
Jean-Claude Van Damme !

L’entretien est fini. Je ne te propose pas de cigarette. J’imagine que tu fais partie de ces acteurs pornos clean
C’est le cas, en effet. Comme beaucoup d’acteurs et d’actrices dans l’industrie d’ailleurs. J’ai une anecdote marrante à ce propos. On devait tourner une scène de double pénétration vaginale avec une actrice. Elle fumait avant la scène en question. Le réalisateur lui a demandé si elle pouvait fumer face caméra parce que ça rendait bien la fumée avec la lumière. Elle a refusé, en avouant qu’elle avait peur que ses parents apprennent, en voyant la scène, qu’elle fumait.

Merci Manuel.

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