Culture

Chappie est le seul DVD que vous devriez éviter à tout prix ce mois-ci

Antonin et Étienne sont les fondateurs et présentateurs du Cinéma est mort, la meilleure émission de cinéma sur les radios françaises, diffusée sur Canal B. Ils parleront chaque mois sur VICE.com des sorties DVD et Blu-ray qu’ils adorent et des sorties DVD et Blu-ray qu’c’est pas la peine .

Chappie
Réalisateur
: Neil Blompkamp
Éditeur
: Sony, sortie le 20 juillet 2015

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À part les habituels ayatollahs étriqués conchiant systématiquement la SF, on était pas nombreux à trouver District 9 un peu nul lors de sa sortie ultra buzzée en 2009. Outre une direction artistique originale, et le plaisir de voir un univers de SF ancré dans un pays moins familier, le film nous était apparu comme un empilement superficiel d’influences diverses sur le fond comme sur la forme. Le spectateur peu familier avec celles-ci louait l’originalité et la charge politique de la chose – le geek, lui, saluait le bon goût du maître de maison, tout content de se voir offrir ce qu’il connaissait déjà.

Étant moi-même un peu geek, je n’ai néanmoins pas pu m’empêcher de m’exciter un peu devant les différentes annonces concernant le projet Chappie. Un robot doué d’une conscience recueilli par Yolandi et Ninja de Die Antwoord, lui enseignant alternativement l’amour et l’attitude gangsta façon Johannesburg, dans un monde où la police est quasiment privatisée. Il y avait bien la promesse d’une chouette variation sur le mythe de Prométhée aussi fun que subversive. Mais c’était évidemment oublier que Blompkamp est incapable de faire autre chose que d’enchaîner les citations sans aller au-delà de la déclaration d’intention.

Le film s’ouvre sur un flash info citant de façon éhontée une partie de l’argument du Robocop de Verhoeven, à savoir ses deux scientifiques qui se tirent la bourre sur la meilleure façon de créer un robot-flic. Doit-il être doté d’une intelligence humaine ou non ? C’est tellement assumé et diligemment torché que ça n’a pas été sans m’en donner une demi-molle. Enfin ! me suis-je dit, Blompkamp n’avance plus masqué. Il ne met pas trois plombes à faire semblant de découvrir la Lune en recopiant des pans entiers des films de Cronenberg et Verhoeven comme dans District 9, il y va franco. La scène d’action suivante est d’une brutalité réellement foudroyante. J’ai même cru un instant devoir retourner ma veste et tenir le bonhomme pour un des petits maîtres du cinéma contemporain. Et puis le soufflé n’a cessé de dégonfler, tant Blompkamp est toujours aussi incapable de traiter en profondeur les thèmes qu’il manipule et se borne à aligner des scènes qui font pâle figure face à leur modèle original. On se retrouve devant une combinaison de références. Robocop pour le portrait d’une société hyper droitière, Terminator 2 pour l’apprentissage du cool, A.I. de Spielberg pour l’aspect conte à la Pinocchio, et enfin Avatar pour sa conclusion aspirant à une post-humanité tellement mal amenée qu’on pense tout de même plus – si on a la malchance de l’avoir vu – au Lucy de Luc Besson.

Chappie ne réussit qu’à être un film cool et encore, bien en deçà de ce qu’on pouvait espérer d’une collaboration avec les fondus de Die Antwoord, il est nul et non avenu dans sa réflexion sur l’intelligence artificielle, et surtout il est politiquement abscons. Les deux premiers films étant tous deux des métaphores politiques simplistes mais affirmées, le je-m’en-foutisme avec lequel Blompkamp traite la dimension politique de son univers SF ne laisse pas d’étonner. Il ne se réfugie même pas derrière un gauchisme bon teint, il est aussi autiste à ce sujet que son personnage de scientifique, qui ne se pose guère de question sur la société pour laquelle il travaille, il est juste content de pouvoir y faire joujou.

Aux dernières nouvelles, il est aux commandes du prochain Alien. Le nom de Ridley Scott ne m’ayant pas empêché de m’exciter devant les trailers de Prometheus, je risque donc de me faire encore avoir comme un bleu.

Hacker
Réalisateur
: Michael Mann
Éditeur
: Universal, sortie le 28 juillet 2015

Bon évidemment Hacker n’a ni la plénitude de Révélations, ni la pureté du Solitaire, ni la liberté expérimentale de Miami Vice, ni la modeste perfection de Collateral. Et évidemment sa force émotionnelle et conceptuelle est incomparable avec celle de Heat, le chef-d’œuvre de Michael Mann, mon film favori, et véritable film cathédrale, pour reprendre l’expression du spécialiste du cinéaste, le critique Jean-Baptiste Thoret.

On retrouve bien un côté cathédrale dans l’ambitieux Hacker, mais une Cathédrale, avec des velux à la place des vitraux, et une nef montée à l’envers et meublée chez Ikea. L’âge d’or de Michael Mann, l’homme qui a inventé l’esthétique du ciné des années 1980 avec Le Solitaire et celle des années 1990-2000 avec Heat et Révélations, est évidemment derrière lui, comme le montrait bien le très laid Public Enemies. Le cinéaste n’est plus en odeur de sainteté à Hollywood, le Cinéma non plus de toute façon. Mais j’ai adoré Hacker malgré tous ses défauts, et ceux-ci sont pourtant loin de s’atténuer à la deuxième vision. Une romance mannienne s’il en est, qui paraît ici artificiellement plaquée, des personnages à l’écriture globalement assez faibles, mais aussi une construction brinquebalante née d’ un énorme changement de scénario effectué en salle de montage. L’explosion de la centrale nucléaire ouvrant le film, était en effet supposée advenir au milieu, le film a été écrit et tourné ainsi avant que Mann décide de tout changer au montage et d’intervertir les deux premiers cyber-attentats. Le rafistolage dantesque qui en a résulté, fuit de partout et créé des incohérences assez difficiles à encaisser.

J’évacue pas totalement la possibilité que mon amour pour l’œuvre de Mann m’ait rendu un peu aveugle aux imperfections manifestes de Hacker, mais je m’en fous, voir et revoir ce film, c’est voir du Cinéma, et on en a pas l’occasion tous les jours. L’hyperréalisme de sa mise en scène, sa manière de filmer des lieux comme si c’était la première fois, son souci d’exactitude dans la peinture des milieux dépeints, le tout allié à son penchant pour l’abstraction poétique, fait encore des étincelles. Mann est toujours le plus grand styliste du cinéma américain.

S’il donne parfois l’impression de servir un peu trop la soupe à ses exégètes en livrant les scènes obligées de son Cinéma – la romance, la scène au restaurant où les personnages se livrent – il prend toutefois tous ses fans à rebrousse-poil en retournant complètement un des fondamentaux de son Cinéma. Les personnages de Mann sont toujours des professionnels control freaks toujours à la lisière du devenir-machine tant l’action semble être leur seule raison d’être. Hathaway, lui, ne semble souhaiter qu’une chose, quitter le virtuel dont il est le roi pour ramener le conflit dans le monde réel. Étonnant de la part d’un cinéaste n’ayant cessé de vouloir donner une forme élégiaque et inquiète aux sociétés du flux et des réseaux maîtrisés avec virtuosité par des personnages au bord de l’abîme, que de rencontrer ici le sujet idéal et de livrer un techno-thriller en sourdine.

Tout en étant jamais ennuyeux, le film est à mille lieues de l’hystérie propre au genre et a une tonalité constamment déceptive. Ce qui ne l’empêche pas d’aligner des scènes d’action dantesques – comme une fusillade dans les égouts de Hong kong qui aurait été la plus belle scène d’action de 2015 si le miracle Fury Road n’était pas passé par là.

Réveil dans la Terreur (Wake in Fright)
Réalisateur
: Ted Kotcheff
Éditeur
: Wild Side/La Rabbia, sortie le 1er juillet 2015

Il y a un moment où on a quand même l’impression d’avoir fait le tour en matière de cinéphilie déviante. Non pas qu’on ait tout vu – j’ai du retard sur les nudies danois et les mondo brésiliens – mais les plus beaux Objets Filmiques Non Identifiables sont désormais disponibles et connus de tous, et le territoire de cette cinématographie assez largement cartographié. Il y a quelques années a pourtant été exhumé un film complètement oublié par l’Histoire du Cinéma qui se range directement aux côtés de Massacre à la Tronçonneuse, Schizophrenia, ou Cannibal Holocaust en termes de proposition formelle folle jouant sur les deux cordes préférées du cinéma d’exploitation, le Sexe et la Violence : Wake in Fright, de Ted Kotcheff.

Kotcheff est surtout connu pour avoir réalisé Rambo. Autant dire qu’il n’est pas du tout connu, puisque ce film reste assez honteusement mésestimé et que tout le monde en parle comme d’un film de Stallone. Canadien d’origine, le hippie moustachu qu’il était à l’époque s’est retrouvé avec l’adaptation d’un bouquin spécifiquement australien sur les bras. Comme cette édition vidéo absolument exemplaire le rappelle très bien, cette situation incongrue a aussi donné naissance au cinéma australien quasi inexistant jusqu’alors. Non pas que le film ait fait un carton, mais ça aura permis à beaucoup d’aspirants cinéastes australiens de comprendre que leur pays pouvait faire un bon sujet de film. Çà n’aura pas empêché le film de sombrer dans l’oubli, et outre les raisons purement techniques passionnément narrés dans cette édition, on se demande bien pourquoi. D’autant que le film avait de puissants admirateurs depuis sa présentation à Cannes en 1971 dont Martin Scorsese que le film a soi-disant « laissé sans voix ». On imagine mal comment c’est possible, et on a raison.

Wake in Fright est l’histoire John Grant, jeune instituteur enchaîné par l’éducation nationale locale à un poste dans l’outback, qui s’apprête en début de film à retourner à la civilisation. En chemin, il s’arrête à Bundanyabba, une ville imaginaire inspirée par la ville minière de Broken Hill, peuplée d’habitants majoritairement mâles à l’hospitalité aussi constante qu’agressive. Comme cela est très bien dit dans le film, à Yabba, tu peux foutre sur la gueule de ton voisin, baiser la femme ou la fille de ton pote, et massacrer des kangourous pour le plaisir, par contre, NE REFUSE JAMAIS de partager une bonne bière fraîche avec quelqu’un qui t’invite à sa table

On a rarement vu au Cinéma une telle descente aux enfers. Le tout à grand renfort d’alcool, de jeu d’argent, de chaleur, de poussière, de désert, d’amitié virile hyper toxique, de massacres d’animaux rigolos, et encore un peu d’alcool supplémentaire pour faire passer tout ça. Kotcheff marie à la perfection un regard entomologiste quasi documentaire avec une mise en scène éthyliquement hallucinée pour donner un film subtilement existentialiste sur les illusions de la civilisation.

Notre héros intellectuel narquois s’y retrouve peu à peu dépouillé de tout ce qu’il pensait le mettre au-dessus de la masse. Toute transcendance n’est qu’illusion dans l’outback. L’Homme n’y est qu’un sac de viande cherchant à satisfaire ses instincts primaires. Prisonnier volontaire, le personnage principal traverse tous les cercles de l’enfer, et on ne sait jamais ce qui l’emporte de la gourmandise ou du dégoût. Le genre de film dont on sort avec une furieuse envie de prendre une douche.

Rolling Thunder
Réalisateur
: John Flynn
Éditeur
: Wild Side, sortie le 8 juillet 2015

Enfant, je connaissais déjà un peu John Flynn sans le savoir pour avoir vu au moins deux de ses films, Haute Sécurité avec Stallone et Justice Sauvage avec Steven Seagal, qui sont sans doute ce que ces bonshommes ont fait de mieux à cette époque. Le style de Flynn y est encore : des images sombres, des lieux de tournage dégueulasses et des personnages qui parlent peu, tapent dur, seuls contre tous. C’est sec comme un coup de trique.

Son nom est encore inconnu du grand public et le restera probablement malgré des succès et malgré une reconnaissance critique qui pointe le bout de son nez : Tarantino qui admet l’avoir allègrement pompé, rétrospective à la cinémathèque française et ressortie classieuse de plusieurs de ces films en Blu-ray. Deux sortent ce mois-ci chez Wild Side. D’abord Pacte avec un tueur, polar des années 1980 qui a selon moi un peu trop le cul entre deux chaises, mais vaut pour la relation entre Brian Dennehy, flic écrivain, et James Wood, tueur à gage qui lui demande d’écrire ses mémoires. Et c’est souvent l’autre force de Flynn, son attention à la relation sensible et ambiguë entre deux personnages qui prend le pas sur l’intrigue elle-même.

Le second Blu-ray, le très attendu Rolling Thunder, pourrait ne mériter son achat que pour son édition et le livre qui l’accompagne, écrit par le grand Philippe Garnier, qui s’était déjà chargé de celui proposé avec The Outfit, premier grand film des années 70 de Flynn. Qu’il aille à la rencontre des différents protagonistes à l’origine du film, qu’il retrace très méthodiquement les différentes versions du script, ou dresse d’émouvants portraits des seconds couteaux qu’il affectionne tant, Garnier est toujours aussi passionnant à lire. On pourrait presque se demander si le film n’est pas en bonus du livre mais Rolling Thunder en a quand même toujours sous le capot et n’a pas volé sa réputation.

Tout droit sorti de la gueule de bois du Nouvel Hollywood où les rescapés de la guerre du Viêtnam ne sont plus que des zombies qui ne parviendront jamais à trouver leur place dans la société, quelque part entre le Mort-Vivant de Bob Clark et le Taxi Driver de Scorsese, lui aussi écrit par Paul Schrader. Rolling Thunder est aujourd’hui connu pour deux scènes, celle de la main dans le broyeur (finalement bien plus édulcorée que dans le premier montage, invisible, de Flynn qui n’aura jamais eu le final cut de sa carrière) et son final qui lorgne du côté de La Horde Sauvage où le jeune Tommy Lee Jones vole la vedette à William Devane. Mais c’est un peu plus qu’un simple vigilante movie comme je les aime, parce que son personnage principal est rongé par la mort, que ça semble si irrémédiable qu’il pourrait contaminer tous les autres sans son crochet ou ses flingues, et qu’il semble de moins en moins animé par la vengeance alors même qu’il la mène à son terme.

Garçon !
Réalisateur
: Claude Sautet
Éditeur
: Pathé, sortie le 1er juillet 2015

Les films de Claude Sautet sont pour l’instant la meilleure machine à voyager dans le temps possible. Les regarder, c’est contempler une époque complètement révolue, où le cancer n’existait pas et où personne ne te regardait de travers quand tu te vidais un quart de rouge au déjeuner. Sauf erreur, pas un film de Sautet sans au moins une scène dans un bistrot enfumé où ça jacte, drague, s’invective, en pleine journée en buvant parfois des petits jaunes sans eau. Sautet détestait voir son Cinéma réduit à ça – et il avait raison – mais ses films sont des instantanés sociologiques hyper précis de leur époque, et pas uniquement pour les gauloises et la picole.

Garçon ! est loin d’être son meilleur film. On sent continuellement la confrontation entre le désir de Sautet de filmer des bonhommes au boulot dans une brasserie – Scorsese peut aller se rhabiller niveau chorégraphie de plan-séquence – et celui de sa star Yves Montand qui aspirait à un peu plus de flamboyance pour son personnage. Tout ceci est très bien expliqué dans le passionnant documentaire du disque signé par le meilleur réalisateur de making-of rétrospectif actuel, Jérôme Wybon.

Le film est une fin de cycle pour Sautet qui mettra ensuite cinq ans à tourner à nouveau, et on sent la lassitude de remettre en scène l’acteur qu’il a réinventé dans César et Rosalie et Vincent, François Paul et les autres. Un mâle alpha sautillant et conquérant, généreux et soucieux des autres en apparence mais profondément égoïste et tourmenté en définitive.

Mais même avec ce côté récapitulatif abâtardi des films précédents, Garçon ! reste constamment délicieux à regarder, particulièrement les scènes se déroulant dans la brasserie. Avec Sautet derrière la caméra et Bernard Fresson aux fourneaux, on peut pas s’emmerder de toute façon.

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