Antonin et Étienne sont les fondateurs et présentateurs du Cinéma est mort, la meilleure émission de cinéma sur les radios françaises, diffusée sur Canal B. Ils parleront chaque mois sur VICE.com des sorties DVD et Blu-ray qu’ils adorent et des sorties DVD et Blu-ray qu’c’est pas la peine .
LES HUIT SALOPARDS
Réalisateur : Quentin Tarantino
Éditeur : M6 Vidéo, sortie le 25 mai 2016
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La seule bonne nouvelle avec ce film, c’est que Tarantino semble être arrivé à un point si terminal dans son désir de mettre son Cinéma au service d’une dénonciation des bad guys de la grande Histoire qu’il va peut-être enfin passer à autre chose. Depuis Inglourious Basterds, ses oeuvres sont devenues de plus en plus ineptes à mesure qu’il prétendait s’attaquer à des sujets sérieux. Un syndrome voisin d’un autre entertainer de génie, Spielberg, qui a livré ses films les plus faiblards dès lors qu’il a voulu avoir son Oscar – à savoir La Couleur pourpre, L’Empire du soleil, Amistad ou La Liste de Schindler. Tout comme lui, Tarantino s’est planté avec Inglourious Basterds et Django Unchained .
Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver disait Hitchcock. C’est précisément ce que Tarantino semble avoir oublié. Si les Kill Bill étaient saisissants dans leur façon de faire passer Uma Thurman d’icône vengeresse à simple être humain, le trajet inverse est beaucoup moins opérant – surtout quand on se pique de vouloir traiter d’un grand sujet.
J’éprouve toujours un gros malaise devant les massacres clôturant les trois derniers films de Tarantino. Tout en reconnaissant le génie ponctuel du bonhomme, j’ai quand même du mal à répondre à son invitation à éprouver du plaisir devant la mise à mort de nazis, d’esclavagistes ou de truands racistes. Car, malgré tout l’amour que j’ai pour le Cinéma, je ne crois pas du tout qu’il puisse nous venger de l’Histoire.
Un Juif tue Hitler, un esclave devient un justicier héroïque : c’était tout le projet de Inglourious Basterds et Django. Malheureusement, ça l’est moins dans Les Huit Salopards – film beaucoup moins naïf mais beaucoup plus ennuyeux.
Cette absence de séduction est assez nouvelle chez Tarantino, qui n’a eu de cesse de rendre sexy des choses a priori abjectes. Ici, pas un personnage pour rattraper l’autre. Se joue dans leurs interrelations une vision très noire de l’Histoire que rien ne vient contrebalancer, si ce n’est un flash-back idyllique aussitôt balayé par un déluge de violence. Même le côté joueur des personnages, essentiel chez Tarantino, s’y déploie de façon balourde et cynique.
Au final, le film ressemble à une grosse pâtisserie où l’on aurait oublié de mettre le sucre – un comble quand on connaît la filmographie de son réalisateur.
CAROL
Réalisateur : Todd Haynes
Éditeur : TF1, sortie le 17 mai 2016
Sortez vos mouchoirs, Carol est disponible en vidéo. Un petit coup d’œil à la dernière scène du film et vous aurez votre quota d’émotion pour la journée.
Au premier visionnage, ce film m’a pourtant posé problème. Il est brillamment réalisé, c’est une évidence – on peut couper le son et comprendre tous ses enjeux tant la mise en scène est évocatrice. En plus de ça, c’est d’une classe sans nom au niveau visuel. À tel point que je me suis souvent demandé si la place de ce film n’était pas plutôt dans un musée.
On connaît le goût de Haynes pour l’imagerie. De Velvet Goldmine à Loin du paradis en passant par I’m not there, Haynes a toujours filmé des époques plus ou moins lointaines en suivant les codes de représentations qu’elles ont générés. Tout ceci pourrait sombrer assez vite dans le fétichisme un peu stérile – une jolie image chromo. C’était légèrement le cas pour Loin du paradis . Mieux vaut mater les originaux que la copie – d’ailleurs, les plus beaux Douglas Sirk ressortent ce mois-ci en Blu-ray.
À voir la façon dont Haynes a imaginé le personnage de Cate Blanchett dans Carol, j’ai eu l’impression qu’il s’engouffrait dans la même impasse – pendant un certain temps. Certes, elle y est magnifiée mais, derrière l’image, on pouvait avoir l’impression qu’il n’y avait pas grand-chose, si ce n’est un pur fantasme glamour.
Sauf que ce regard fétichiste d’un Haynes amoureux des images est aussi son sujet. C’est dans le regard de Thérèse/Rooney Mara que se forme cette image, bien aidée par Carol/Cate Blanchett, consciente de ses effets. Thérèse ne peut la contempler que de loin, incapable, une fois à son contact, de soutenir son regard – sauf dans le champ contrechamp final, foudroyant. L’image a volé en éclat. On voit désormais la femme qui se dissimulait derrière elle. Thérèse, au diapason de Haynes, a appris à regarder plutôt qu’à contempler.
MY LIFE DIRECTED BY NICOLAS WINDING REFN
Réalisateur : Liv Corfixen
Éditeur : Wild Side, sortie le 27 avril 2016
Drôle d’idée de la part de Wild Side que de consacrer à ce documentaire une édition à part entière, alors qu’il aurait tout à fait trouvé sa place aux côtés d’ Only God Forgives, dont il constitue finalement un making of un peu spécial – spécial car signé Liv Corfixen, la femme de Refn. L’histoire ? Un cinéaste part tourner un film dans un pays lointain en compagnie de sa famille, s’y perd mentalement, et fait documenter le tout par sa compagne. Ça rappellera forcément quelque chose aux plus cinéphiles d’entre vous : c’est le même schéma que Heart of Darkness, mythique making of qu’a tiré Eleanor Coppola du film de son mari, Apocalypse Now.
Après son inénarrable entretien avec Friedkin réalisé sur le modèle de la rencontre entre ce dernier et Fritz Lang, NWR élargit ses gammes en matière de pompage des grands cinéastes. Recycler les formes inventées par Scorsese, Kubrick, Tarkovski, Mann, Jodorowsky ou De Palma ne lui suffit plus. Il s’intéresse désormais à tous les aspects de leurs carrières. Il y a chez Winding Refn une volonté pathologique de cocher toutes les cases du parcours du grand cinéaste démiurge – ou du moins de l’idée que l’on peut s’en faire.
C’est d’ailleurs l’intérêt de ce documentaire, que l’on peut très bien apprécier même si, comme moi, on ne peut pas saquer cet imposteur. S’y dresse le portrait d’un homme non pas obsédé par un film, mais par l’idée que celui-ci va renvoyer de lui en tant qu’artiste. En somme, la grande affaire de ce grand gamin qu’est NWR, c’est d’accumuler les signes extérieurs de génie.
THE BIG SHORT, LE CASSE DU SIÈCLE
Réalisateur : Adam McKay
Éditeur : Paramount, sortie le 4 mai 2016
Anchorman 1 et 2, Talladega Nights , Step Brothers, Eastbound & Down. Que grâce soit rendue à Adam MacKay d’avoir inventé – avec son pote Will Ferrell – un nouveau mode de comédie qui nous aura procuré les plus grosses rigolades de ces dernières années.
Son passage au cinéma sérieux pouvait inquiéter mais, à la vue du sujet, on n’était guère surpris. Le ressort comique de ses comédies étant l’Amérique – convaincue de sa surpuissance et en plein déni de sa stupidité – le boursicotage ayant mené à la crise financière de 2008 était un thème tout trouvé, McKay étant, mine de rien, l’un des réalisateurs les plus subversifs du moment. Plus étonnante était la campagne promo intensive qui annonçait une sorte d’ Ocean’s Eleven de gauche.
De gauche, le film l’est assurément. Sauf qu’au cinéma, il est facile de l’être. Là où ce long-métrage est finaud, c’est dans son côté décevant. En reprenant les codes du caper movie – mot cool pour dire film de casse – et en supprimant le dernier acte, McKay instille un malaise, le même qui rendait ses comédies si géniales.
Le caper movie c’est, en général, des types qui préparent un vol, franchissent plusieurs obstacles et récoltent le fruit de leur travail dans une jouissance partagée avec le spectateur. Le coup de génie de The Big Short est de retarder puis d’annuler cette jouissance. C’est précisément ce qui faisait défaut au Loup de Wall Street de Scorsese, qui péchait par complaisance avec son personnage de salaud.
Comme bon nombre de réalisateurs relativement dépourvus de style propre, McKay adopte celui de Scorsese, de manière évidemment moins brillante que ce dernier – mais il a pour lui l’avantage de ne pas être ivre de sa propre maestria. C’était d’ailleurs ce qui rendait inoffensif Le Loup de Wall Street, qui était incapable de donner autre chose que du plaisir à son spectateur. The Big Short, lui, laisse planer sans cesse un arrière-goût rance. C’est la moindre des choses eu égard au sujet, et c’est ce qui en fait un bien meilleur film.
CREED, L’HÉRITAGE DE ROCKY BALBOA
Réalisateur : Ryan Coogler
Éditeur : Warner, sortie le 13 mai 2016
À l’heure où le Cinéma n’est plus un espace commun, qu’il est notamment remplacé par les séries télé, et alors que l’on trouve sur un même écran les concerts d’Eddy Mitchell et le dernier Michael Mann, qu’est-ce qui justifie encore la présence d’un objet filmé dans les salles de cinéma, mis à part de sombres problématiques de gros sous ? Les grands écrans se sont déjà invités dans nos salons, alors pourquoi ne pas admettre que la télévision s’impose dans les salles obscures ? Qui peut nier que les productions Marvel ou le dernier Star Wars ont plus à voir avec la série télé qu’avec le Cinéma ? Qu’est-ce qui empêche les exploitants de projeter les navrants épisodes de Game of Thrones ou la jouissive Banshee dans les salles près de chez vous ? Et surtout, comment aujourd’hui faire la distinction entre le Cinéma et le reste ?
La question n’est pas nouvelle, mais j’ai dû me la reposer face à Creed. J’ai grandi avec la saga Rocky, et ce Creed « madeleine de Proust » a attiré toute mon attention – en partie grâce à un Balboa armé contre tout cynisme. Mais, malgré certaines idées intéressantes de mise en scène, je n’ai pas eu l’impression d’être au cinéma, mais devant le dernier épisode d’une série télé que l’on regarde malgré ses défauts. Ça n’a rien à voir avec le fait qu’il s’agisse d’une saga, ni même avec les émotions ressenties, car Creed a bel et bien touché mon cœur de pierre, même s’il n’y laissera pas de trace.
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