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La communauté du logiciel libre se déchire autour de son fondateur

Richard Stallman

Richard Matthew « RMS » Stallman est un genre de légende vivante parmi les nerds (les nerds authentiques, pas les normies). Cet homme barbu et débonnaire est le fondateur du mouvement du logiciel libre, qui développe et promeut depuis plusieurs décennies des programmes copiables, modifiables et redistribuables à volonté, tant pour des motifs pratiques que politiques. Vous utilisez sans doute plusieurs d’entre eux sans le savoir : leurs plus grands représentants sont VLC, Firefox et Android. Les logiciels libres sont aussi connus pour leurs logos moches et leurs interfaces user-hostile.

En dépit de sa qualité de patriarche, RMS est dans la sauce depuis presque deux ans. Septembre 2019 : le scandale Epstein fait tomber des têtes un peu partout dans les hautes sphères américaines. Les individus et entités qui ont accepté l’amitié ou les donations du milliardaire sont désormais suspects. Le Massachussets Institute of Technology, dans lequel Richard Stallman exerce depuis 50 ans, fait partie des cibles : le directeur de son Media Lab, Joichi Ito, avait tenté de dissimuler les grosse sommes que l’université recevait toujours de la part d’Epstein en dépit de sa condamnation pour sollicitation de relations sexuelles avec une mineure en 2008. 

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Joichi Ito démissionne sous la pression. Des employés du prestigieux Computer Science and Artificial Intelligence Laboratory du MIT lancent une liste de diffusion pour protester contre ses actes de dissimulation. Ses participants évoquent bientôt Marvin Minsky, un professeur décédé qui aurait eu des relations sexuelles avec Virginia Giuffre, une victime du « système Epstein » particulièrement active dans les médias, alors qu’elle avait 17 ans. Quand l’un des membres de la mailing list accuse Minsky d’agression sexuelle, Richard Stallman tente de prendre sa défense avec des remarques moralement ambigües, notamment : « Dans le scénario le plus plausible, [Giuffre] s’est présentée à lui comme entièrement consentante. »

Sous l’impulsion d’une étudiante au MIT et de personnes non-identifiées, ces remarques sont publiées dans les médias. D’autres commentaires douteux de Stallman les accompagnent : dans des messages vieux de quinze ans, le développeur affirme que tout individu de plus de quatorze ans devrait pouvoir avoir une activité sexuelle et que les images pédopornographiques ne sont pas forcément « détestables ». Face au scandale, il tente de se justifier en expliquant que ses opinions ont évolué. Surtout, assure-t-il, Epstein est un « violeur en série » qui « mérite la prison ». Quelques jours plus tard, Richard Stallman annonce sa démission du MIT mais aussi de la Free Software Foundation (FSF), une organisation pour le logiciel libre fondée qu’il avait fondée 30 ans plus tôt. 

Sans atteindre le niveau du Gamergate, le « Stallmangate » empoisonne doucement Internet depuis. Les « pro-exclusion » soutiennent que le fondateur du logiciel libre manifeste des « opinions toxiques » mais aussi que son comportement vis-à-vis des femmes a toujours été problématique. « Il avait littéralement un matelas sur le sol de son bureau [au MIT], assure un témoin anonyme. Il laissait la porte de son bureau ouverte, pour montrer fièrement le matelas et tout ce que cela impliquait. » Les « pro-inclusions » soulignent le caractère péculier de Stallman, mais aussi son souci des mots : selon eux, le développeur ne souhaitait pas défendre Epstein, mais seulement souligner que Minsky ne pouvait sans doute pas savoir que Virginia Giuffre était une victime. 

Le 21 mars dernier, presque deux ans après ses démissions, Richard Stallman a annoncé son retour au sein du conseil d’administration de la FSF. La riposte a été immédiate : dans An open letter to remove Richard M. Stallman from all leadership positions, plusieurs milliers de personnes et de formations diverses appelent au « cancelling » définitif du patriarche. « Les idées et le comportement répugnant de RMS ont été suffisamment tolérées, martèlent ses rédacteurs. Nous ne pouvons pas continuer à permettre qu’une personne ruine le sens de notre travail. » Un « appendice » rappelle les méfaits de Stallman : défense de la pédophilie, mépris des handicapés mentaux au point de recommander leur avortement, transphobie.  

Quelques-uns des signataires de la lettre ouverte sont des acteurs majeurs du milieu du logiciel libre : Mozilla, Tor Project, Framasoft, Creative Commons… Pour les contrecarrer, des anonymes ont lancé une autre lettre ouverte : An open letter in support of Richard M. Stallman. Celle-ci appelle au pardon en évocant la maladresse interpersonnelle du développeur, mais aussi que « ses opinions sur les sujets qui lui valent d’être persécuté sont sans rapport avec sa capacité à diriger une communauté telle que la FSF. » Ces arguments semblent partagés par presque 5000 signataires. La lettre « contre » en compte environ 3000. La baston risque de continuer encore longtemps. 

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