Banlieues Aulnay-sous-Bois, coronavirus
Photos Marvin Bonheur 
Société

On a discuté confinement et violences policières avec des jeunes d’Aulnay-sous-Bois

Après l'accident impliquant un motard et une voiture de police à Villeneuve-la-Garenne, plusieurs banlieues ont laissé éclater leur colère sur fond d'épidémie de Covid-19. C'est le cas dans le quartier des 3 000 à Aulnay.

Gennevilliers, Marseille, Belfort, Strasbourg, Nanterre, Aulnay-sous-Bois… Depuis le 18 avril et l’accident d’un motard impliquant la police à Villeneuve-la-Garenne, certains quartiers de plusieurs villes de France s’embrasent à la tombée de la nuit. D’un côté des jeunes qui laissent éclater leur rage et leur mal-être, de l’autre des forces de police qui tentent de maintenir l’ordre. Deux mondes qui ne parviennent pas à cohabiter et qui ne se comprennent pas se font face. Si les circonstances de ce drame survenu en plein confinement sont encore confuses, il démontre que la question des banlieues est loin d’être résolue et reste hautement inflammable en France.

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En pleine épidémie de Covid-19, on a passé deux soirées dans le quartier des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour discuter avec cette jeunesse qui se sent abandonnée et qui lance des appels à l'aide à sa manière : à base de voitures brûlées et de feux d'artifice.

Guizmo, 22 ans

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« On a l’impression de ne pas vivre le même confinement que les Parisiens. Sur les réseaux sociaux, je vois qu’ils peuvent sortir sans trop de problèmes. Dans ma cité, c’est complètement différent, il y a énormément de contrôles. Notre confinement est plus rude, plus strict. Quand on sort faire des courses avec notre attestation on a peur de croiser la police. On est stressé, on est en panique alors qu’il n’y a aucune raison de l’être puisqu’on est en règle. On sait que le mieux est de se cacher, d’éviter de croiser la police car une bavure peut vite arriver. Les bavures ont toujours existé dans nos quartiers et elles existeront toujours, le confinement a juste amplifié les choses, il permet de justifier les excès de la police. Elle contrôle à tout-va et si on sort c’est notre faute, point barre.

Concernant ce qui s’est passé à Villeneuve-la-Garenne, les torts sont partagés. Le mec ne devait pas sortir comme il l’a fait, en bécane et sans casque. Il est en faute, mais ça n’excuse pas ce qu’ont fait les policiers : ouvrir la portière de leur voiture et blesser gravement un jeune. La portière ne s’est pas ouverte toute seule et la police aurait dû assumer sa faute. Les réactions violentes des quartiers sont justifiées à mon avis, car la police ne sera jamais jugée pour ça. Les policiers sont censés être conscients de ce qu’ils ont fait, s’ils avaient admis leur faute, s’ils s’étaient excusés la situation aurait peut-être été plus apaisée. Les quartiers veulent juste que la police s’excuse et assume sa faute.

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On a l’impression de ne pas être écoutés et ce n’est pas nouveau. Quel est le meilleur moyen pour les jeunes de cité de se faire entendre, de montrer leur mal-être : brûler des voitures. Avec une voiture brûlée, on se fait entendre, c’est un moyen de provoquer l’intérêt des gros médias. Si ça pète, c’est parce qu’il faut que ça s’arrête. Que les médias disent que c’est un policier qui a fait une erreur et pas seulement un jeune d’une cité. Les médias ne prennent jamais les avis des jeunes, ils ne prennent que l’avis des policiers.

On a envie que la situation s’améliore dans les quartiers, et on a l’impression que ça ne changera jamais. On n’est pas écouté, notre voix n’est jamais entendu. Quand on essaie de faire les choses droitement, personne ne nous écoute, notre voix n’a aucune valeur. »

Mams, 26 ans

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« Dans les quartiers, on n’a pas le même confinement qu’ailleurs. Ici, c’est restriction sur restriction, alors qu’à Paris, il y a du laisser-aller : il y a du monde dans les rues, dans les parcs et la police ne dit rien à personne. Chez nous, dès qu’il y a du monde sur la place du marché, la police débarque et fait fuir les gens. On ne comprend pas. Au début du confinement, je me souviens que des petites du quartier se sont fait gazer alors qu’elles rentraient chez elles. On a l’impression que les flics sont protégés par les mesures de confinement, ils peuvent agir comme ils le veulent alors que ça ne devrait pas être le cas.

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Il faut bien se dire que l’incident de Villeneuve aurait pu arriver hors période de confinement. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Quand je vivais à Grigny, un mec du quartier s’était fait courser et a fini par se faire tamponner, il a pris un poteau de plein fouet et ça a entraîné une émeute dans le quartier. Ce n’est pas nouveau, ça a toujours existé. Concernant Villeneuve, en plein confinement, le mec n’avait pas à sortir sa bécane, c’est un fait. Mais on ne peut pas s’empêcher de penser que les forces de l’ordre jouent avec la vie des gens. On a l’impression de ne pas compter à leurs yeux. Un même incident aurait-il pu arriver dans le 16e arrondissement de Paris ? Je ne pense pas.

« On est des êtres humains, on n’est pas des animaux, de la chair à saucisse ou des sous-citoyens. Nos vies comptent »

On a conscience que le confinement est nécessaire, que c’est pour notre bien, pour nous protéger, mais on le vit comme un emprisonnement. C’est dur de rester à la maison, ça fout la haine, car on l’impression que l’attitude des policiers a changé, ils se permettent plus de choses. Il faut voir les émeutes comme un ras-le-bol généralisé. Combien de jeunes vont être blessés ? Combien de jeunes vont se faire tuer ? On est des êtres humains, on n’est pas des animaux, de la chair à saucisse ou des sous-citoyens. Nos vies comptent. Si tu ne mets pas le gyrophares, les sirènes, comment veux-tu que le mec s’arrête ? Et après on nous dit que le mec a forcé un barrage ? On veut juste la vérité sur cette histoire.

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Ça fait des années qu’on essaie de faire entendre notre voix pour dire que notre vie au quartier n’est pas la même que celle des autres. C’est difficile à expliquer, il faut venir voir pour le croire. »

ATG, 20 ans

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« Le confinement je ne le sens pas. Tu vas à Carrefour le matin, tu vois une queue de 1h30, ça fait peur. Des familles entières vivent dans des F2 ou des F3 et ce n’est pas facile de rester chez soi dans de petits espaces. Les gamins n’ont plus d’école, que vont-ils faire ? Rester chez eux devant la télé ? Ce n’est pas possible. On descend en bas de chez nous, les flics sont là, ils ne sortent même pas de leurs voitures pour nous verbaliser. Ils nous connaissent et nous mettent directement l’amende de 135 euros. C’est tolérance zéro ici, mais ailleurs ce n’est pas le cas, comme à Paris. Si la police continue d’être agressive, ça va faire empirer la situation. On pensait que les chasses se seraient arrêtées pendant l’épidémie et les mesures de confinement, on est dégoûté. On en a marre. La police qui est dans les quartier ne défend pas, elle tue.

« Pour les policiers, on est des merdes qu’on écrase. On aura toujours tort face à eux »

Concernant la vidéo de Villeneuve, on sait que faire de la moto cross c’est risqué, on l’assume, mais ça ne justifie pas l’accident. Le motard a ses torts, mais les responsabilités doivent être partagées, les flics l’ont blessé intentionnellement. Les policiers vont toujours plus loin. J’ai vu une vidéo sur snap où on voit des civils en train de shooter un mec, mais rien n’indiquait qu’ils étaient des policiers. Ça fait mal au cœur. Nous, on essaie de vivre correctement, mais comment voulez-vous qu’on réagisse quand des mères de familles se font gazer, ou se retrouvent face à des policiers qui dégainent leurs armes ? La situation ne peut plus durer. Un contrôle de police peut partir en pagaille à tout moment. Pour les policiers, on est des merdes qu’on écrase. On aura toujours tort face à eux. On en a marre, du coup on part à l’affrontement pour faire entendre notre mécontentement.

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On essaie de vivre avec nos moyens, on n’est pas des racailles qui sont seulement là pour foutre la merde, on a du cœur, et on veut juste que la situation s’améliore dans les quartiers. Comment ? Peut-être que tous les gens du 93 doivent s’unir et manifester ensemble pour faire changer les choses. »

Doums, 29 ans

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« On n’est pas des sauvages, on n’est pas en guerre contre l’État ou la police. J’ai déjà eu cette conversation avec des gens qui n’étaient pas d’ici. Ils me disaient que c’était l’attitude des jeunes des quartiers qui provoquait des problèmes avec les policiers. Mais ces gens ne savent pas ce que c’est que de vivre dans une cité, ils ne savent pas ce que c’est de se faire sans cesse contrôler par la police, sans aucune justification. Ça peut déraper à tout moment. Il y a une différence entre le contrôle des uns et le contrôle des autres.

Aujourd’hui, la moindre parole, le moindre geste brusque peut vous coûter la vie. J’ai vu des gens se faire frapper par les policiers alors qu’ils ne représentaient aucun danger. J’ai vu des gens se faire étrangler pour rien du tout. Ce sont des choses qu’on ne voit pas à Paris ou dans d’autres villes de province. Ici, quand les équipes de police arrivent, les gens ont peur. Les flics te tutoient, parlent mal, ils cherchent à te provoquer pour que tu dérapes et que tu sois responsable. C’est notre réalité depuis pas mal d’années déjà. Tant qu’on n’a pas vécu ce genre de situation, il est difficile de se rendre compte de notre situation.

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« La police exerce sa propre loi dans les quartiers, comme elle l’entend, et personne ne lui dit rien. Comment voulez-vous ne pas ressentir d’injustice ? »

En voyant la vidéo de Villeneuve, j’ai eu mal. Ce qui est dommage c’est qu’on n’a pas toute l’histoire. On voit juste un jeune homme blessé. Motard et policiers, les deux parties sont en tort. Le motard n’avait pas de casque et n’avait pas à faire de la moto, mais maintenant il faut savoir si le policier a ouvert la portière volontairement. Car si le policier n’avait pas fait ça, il n’y aurait pas eu d’émeutes. On n’a pas assez d’éléments pour l’instant, mais je pense que ce drame aurait pu être évité.

Je conseille à tous les jeunes de banlieues d’être plus malins que les policiers, de ne pas leur laisser l’occasion de commettre des abus. C’est compliqué de toujours être dans la retenue, de répondre poliment à un policier qui vous manque de respect ou vous frappe, mais c’est la meilleure façon de rester en vie. On peut porter plainte ou faire des démarches, mais nos plaintes seront toujours classées sans suite. On cherche à nous décrédibiliser et dès que la police porte plainte, les victimes deviennent des accusés. C’est la parole du jeune contre celle de la police, mais on sait que la parole d’un jeune de cité n’a aucune valeur, aucun poids, aux yeux de la justice. La police exerce sa propre loi dans les quartiers, comme elle l’entend, et personne ne lui dit rien. Comment voulez-vous ne pas ressentir d’injustice ? C’est aussi la raison pour laquelle certaines personnes brûlent des voitures et des poubelles le soir, même si ça ne va pas résoudre le problème. On voit depuis le début des Gilets jaunes que les policiers ont beaucoup de pouvoir. Il y a eu des morts, des blessés, rien n’est fait pour les sanctionner. Ça n’aboutit à rien et au bout d’un moment il y a de la colère. Certaines personnes veulent se faire entendre et parfois la violence et leur seul moyen d’expression. J’ai l’impression que de plus en plus de personnes qui vivent dans Paris parfois dans des milieux aisés, se rendent compte de ce que nous vivons depuis longtemps avec la police. On a peur.

On se sent rejeté, du coup c’est encore plus dur de vivre ici. On rejette notre haine sur les policiers car ce sont eux qui nous font sentir comme des étrangers, alors qu’ils devraient nous faire sentir en sécurité. On a l’impression de ne pas avoir notre place en France. »

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