Life

Pourquoi je n’en peux plus de Thomas Pesquet

Au crépuscule de la vingtaine, Thomas Pesquet me rappelle surtout tout ce que je ne serai jamais.
Thomas Pesquet
Thomas Pesquet, bronzé. YANN COATSALIOU / AFP

Comme à peu près 100 % des Françaises et Français, ma copine suit les aventures de Thomas Pesquet autour de la Terre. Depuis son départ vendredi 23 avril du centre spatial Kennedy en Floride, elle ne rate pas une vidéo sur fond de Coldplay, pas une déclaration de l'astronaute français au sourire impeccable. Après avoir visionné une interview – la première depuis son décollage – elle n'a pas pu s'empêcher de souffler : « Il est tellement parfait qu'il en devient énervant. » A ses côtés, je fulmine en silence.

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Tel un Barack Obama en apesanteur, Thomas Pesquet raconte avec décontraction ce qu'il vit là-haut. Tout le monde l'adore. Il est cool et bienveillant. Les internautes le suivent par millions, les écoliers français apprennent son nom et la classe politique salue en chœur son deuxième décollage pour la station spatiale internationale (ISS), faisant de lui notre Youri Gagarine. L'ancien spationaute français Patrick Baudry a bien tenté de déboulonner la 11e personnalité masculine préférée des Français. « Le premier vol, il a fait beaucoup de com'. C'était très bien fait », ironise-t-il sur BFMTV

Celui qui a participé en 1985 au premier vol franco-américain réussi surtout à passer pour un grincheux intersidéral. Il est propulsé, par Franceinfo chef de file de « l'anti "Thomas Pesquet mania" ». Rien de nouveau sous la couche d'ozone : en 1979, le journaliste américain Tom Wolfe publiait L'étoffe des héros. Dans ce récit, le théoricien du « nouveau journalisme » tentait de capturer le portrait réaliste d'astronautes du programme Mercury. De saisir l'humain derrière le scaphandre. Le héros derrière le compte Instagram, si vous préférez.

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« Au crépuscule de la vingtaine, Thomas Pesquet me rappelle surtout tout ce que je ne serai jamais »

Alors, oui : Thomas Pesquet maîtrise sa communication. Mais ce type semble véritablement du genre à laisser passer les piétons en voiture. Il y a fort à parier que l'astronaute en polo bleu n'a doublé quiconque dans la queue de la boulangerie, regardé le moindre porno ou appelé les flics pour dénoncer ses voisins pendant le confinement. A l'heure où j'écris ces lignes, Mediapart n'a pas encore déterré de comptes bancaires au Luxembourg ou encore ses lettres un poil sexistes de lorsqu’il était au collège. Un héros quoi. Seulement, Thomas Pesquet est aussi parfait que nous sommes risibles. Vous perdez votre temps à lire des articles remplis de fiel, quand je perds le mien à les écrire. Nous pourrions étudier l'astrophysique, le grec ancien, le codage ou le saxophone et devenir des fiertés de la nation. Mais non. 

Au crépuscule de la vingtaine, Thomas Pesquet me rappelle surtout tout ce que je ne serai jamais. Ma scolarité s'apparente à une longue fuite en avant sans la moindre cohérence. La vie professionnelle qui en découle n'est qu'une longue immersion dont Florence Aubenas ne voudrait pas. Ma seule aventure valable consiste – une fois par an – à dormir sur les matelas trop fins d'auberges de jeunesse trop chères au milieu de cyclistes danois. Autour, les uns rêvaient de masters, de CDI et de repas avec la belle-famille ; les autres parlaient d'être libre et d'avoir l'air cool. A moins de gagner au loto, je n'irai jamais dans l'espace. Vous non plus. 

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Pourtant, au départ, une sorte d'équité prévalait entre l'astronaute normand et moi : on est tous les deux fils d'instit. A l'âge où il passait brillamment ses diplômes d'ingénieur et de pilote, je me retrouvais sans réelle ambition pour l'avenir. À enchaîner les petits boulots et les contrats précaires sans visibilité sur rien. Je ne sais pas à quel moment précisément la courbe de nos apprentissages a différé. Aujourd'hui, je balance entre culpabilité de n'avoir pas mieux fait et jalousie envers sa réussite méritée. Il faut pourtant l'avouer : je me fous de ne jamais pouvoir aller dans l'espace ou de rien faire d’extraordinaire de ma vie. 

« Nous autres, tu sais, nous sommes bloqués ici. Avec nos coupons de réduction, nos réformes de l'assurance-chômage et nos fins de mois jalonnées de factures EDF »

Quand je vois un héros, je pense à tous ceux qui ne le sont pas. Pas aux personnages de Houellebecq, aux cadres déprimés. Non. À tous ceux qui comme moi n’iront pas sur la Lune ou sur Mars. Si tu lis ces lignes depuis ta thermosphère, sache une chose : ceci n'a rien de personnel. Nous autres, tu sais, nous sommes bloqués ici. Avec nos coupons de réduction, nos réformes de l'assurance-chômage et nos fins de mois jalonnées de factures EDF. Toi, tu explores l'infini. Nous aussi, mais on a mal à la tête le lendemain. Avant d'entamer l'écriture de ce papier, je ne connaissais rien de ta vie. Je voulais juste balancer des trucs méchants dans ta tronche de mec ultra-populaire. Je me désintéressais totalement de toi. A force de lire des choses, je sens une empathie naître. Je dis « tu ». Il faut régler ça.

L'autre soir, les conditions d'observation de l'ISS étaient idéales. Tu allais passer à 400 kilomètres au-dessus de ce jardin de lotissement où, avec deux potes, on descendait des verres depuis le milieu d'après-midi. Eux aussi ils auraient pu te faire des reproches. Le premier avait tenté en vain de devenir comédien et gardait un goût amer du milieu. Le second divaguait entre chômage et jobs dans des centres d'appel. Le passage de la station allait être furtif, une minute à peine. Une application nous indiquerait l'heure exacte à laquelle tu allais nous survoler. C'était l'occasion parfaite pour, la gueule tournée vers les étoiles, t'asséner mes quatre vérités.

L'alcool qui coule dans mes veines me donne un semblant d'assurance (ou d'absence de honte). Je suis prêt à maudire le cosmos en brandissant une bouteille à moitié vide. Sur les coups de 23 heures, je me faufile en titubant vers les toilettes. Dans ma tête, des formules, des insultes naissent sans effort. Bouge pas là-haut, j'arrive. Je sors des cabinets, prêt à en découdre. Je ne sais plus si je vais m'adresser à Thomas Pesquet ou à Dieu lui-même. Une bière à la main, un pote m'observe et me lance en se marrant : « Eh mec, t'as raté l'ISS. »

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