On a écrit beaucoup de conneries sur la génération Y – à supposer qu’elle existe, ce qui est loin d’être évident. On en a écrit encore plus sur la génération Y et son rapport au sexe. Biberonnés au porno, héritiers de la libération sexuelle, débarrassés de la peur du sida, ses membres enchaîneraient les conquêtes d’un soir via les sites de rencontre. Malgré cela, ils feraient moins l’amour que leurs aînés. Au milieu de ce joyeux bordel d’études contradictoires, une prédiction datée de 2005 est peut-être en passe de se réaliser. Daniel Welzer-Lang, un sociologue français aux méthodes critiquées, publiait il y a onze ans La Planète échangiste, livre dans lequel il affirmait qu’aux échangistes « traditionnels » de plus de 40 ans s’ajoutaient désormais de nombreux jeunes couples.
Pour en avoir le cœur net, j’ai choisi de consulter directement les sites Internet majeurs de l’échangisme français – là où des couples de tout âge entrent en contact en quelques clics. Le premier mec qui accepte de répondre à mes questions sur le sujet se fait appeler Vulu. Gouaille de titi parisien et voix de baryton, il se fout gentiment de ma gueule au téléphone : « On est dimanche, j’ai rien d’autre à foutre que de te parler. » Lui a 40 ans, mais il a commencé à pratiquer l’échangisme à 23 piges, « avec [son] premier amour ». À l’époque, lui et sa copine faisaient figure d’exception. « Aujourd’hui, le milieu se rajeunit complètement, affirme-t-il. Je vois de plus en plus de très jeunes gens qui n’ont vraiment pas froid aux yeux et qui veulent tenter le plus de choses possible, quitte à ne pas vraiment réfléchir avant de se lancer. »
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Sur les sites spécialisés, des gens plus jeunes que nous comptent déjà des centaines de commentaires élogieux concernant les soirées qu’ils ont passées avec d’autres couples. – Julien, 24 ans
C’est loin d’être le cas de Miss Dactari qui, à 28 ans, évolue dans le milieu depuis une dizaine d’années. Les yeux rieurs et le sourire en coin, je la rencontre à l’apéro libertin de M. Chapeau. « Souvent, quand je suis en club, je suis abordée par des mecs âgés qui pensent me faire une faveur en me proposant de me faire visiter, me confie-t-elle. En général, je leur réponds que ça n’a pas trop changé depuis avant-hier, et ça les calme. » Pour autant, elle ne se définit pas vraiment comme échangiste. « L’échangisme est une pratique cadrée, dont la définition est très basique : couple A et couple B échangent leurs partenaires. Je ne suis pas en couple donc je ne suis pas échangiste au sens strict du terme. Par contre, les partouzes à quatre, là ça me branche. Pas besoin de deux couples. Franchement, si c’est pour refaire la même chose qu’à la maison mais avec un autre mec, ça ne m’intéresse pas. »
Jean-Marc est aux premières loges quand il s’agit de noter les évolutions du milieu du libertinage. Depuis cinq ans, il est propriétaire du Mask, un club échangiste situé non loin de la Bourse de Paris. La clientèle de son établissement est réputée assez jeune. Je le rencontre au bar d’un hôtel cinq étoiles d’Opéra, et l’écoute tout en calculant le nombre d’articles que je vais devoir vendre pour payer mon café. « Nos clients sont avant tout curieux, avance-t-il. Échangistes, côte-à-côtistes, mélangistes, libertins, ce ne sont que des mots. Pour eux, venir en club c’est un moment de détente comme un autre. » Avant de me quitter, il m’invite à passer dans son établissement le vendredi soir.
Le vendredi, donc, je débarque dans son bar où, comme dans tous les bars du monde, les clients disent des choses du type : « On ne se met pas là, on est sous la clim. » Cyril, le directeur de nuit depuis cinq ans, serre des mains, salue tout le monde par son prénom et me fait visiter les lieux. Il m’explique que la clientèle oscille entre 25 et 45 ans. « Ici, on a surtout des néo-libertins. Les gens débutent. » Ça se mélange d’ailleurs assez peu, sauf au sous-sol où une femme fait l’amour avec trois hommes.
« Je me suis vite rendu compte que l’âge et l’expérience n’avaient pas forcément de lien », souligne Julien, qui est en couple avec Justine. Ils ont tous les deux 24 ans et sont ensemble depuis six ans. Ils pratiquent l’échangisme depuis juin 2015 et ont déjà rencontré cinq couples et deux hommes seuls. « Sur les sites spécialisés, des gens plus jeunes que nous comptent des centaines de commentaires élogieux concernant les soirées qu’ils ont passées avec d’autres couples, me précise Julien. À l’inverse, d’autres se lancent dans l’échangisme à l’approche de la soixantaine, quand les enfants quittent le foyer. »
Il faut arrêter de croire que l’échangisme est un milieu rempli de mecs âgés qui se payent des petites nanas. – Camille, 28 ans
« La tendance s’inverse », m’explique Philippe Vin, médecin sexologue et membre de l’Association Interdisciplinaire post-Universitaire de Sexologie. Dans son cabinet, il rencontre de plus en plus de jeunes couples qui pratiquent l’échangisme. « Avant, les gens faisaient des enfants plus tôt et commençaient leurs explorations une fois que les gosses avaient quitté le foyer parental. Aujourd’hui c’est le contraire », affirme-t-il.
« Je n’ai pas envie d’attendre ma crise de la cinquantaine pour commencer à satisfaire mes envies », confirme Camille*, 28 ans. Rencontrée elle aussi à l’apéro libertin de M. Chapeau, elle me parle de sa passion pour l’Asie, dans le même souffle que l’exploration de ses désirs. « À une époque où l’on parle de plus en plus de féminisme, je trouve ça bien que les filles osent assumer leurs envies de plus en plus jeunes, avance-t-elle. Il faut arrêter de croire que l’échangisme est un milieu rempli de mecs âgés qui se payent des petites nanas. C’est un univers très ouvert. »
C’est ce que me confirme Sara*, une étudiante en droit âgée de 25 ans. Elle m’est présentée par un ami commun et je la retrouve dans le sud de Paris pour un déjeuner en terrasse. Elle parle avec les mains, éclate de rire toutes les deux minutes et marche avec des béquilles. « Je m’en fous, tu peux l’écrire », me lance-t-elle en s’installant. Elle est arrivée dans le libertinage il y a quelques mois, par le SM. Son maître a deux autres soumises et elle découvre peu à peu les joies du sexe à plusieurs. Il lui arrive également de pratiquer l’échangisme avec certains de ses amants. « C’est une exploration sensorielle énorme, s’enthousiasme-t-elle. La nouveauté, le fait d’être à plusieurs, ça décuple les sensations. »
Commencer jeune m’a permis de dépasser très vite mes complexes. J’ai énormément de potes qui se sont longtemps posé des questions liées à leur performance ou à la taille de leur sexe. – Vulu, 40 ans
Mais qu’en est-il du regard des vieux de la vieille sur une clientèle qui, parfois, est à peine majeure ? Miss Dactari distingue trois types de réaction concernant son âge : « Il y a les personnes à qui je plais mais qui sont gênées par le fait que je pourrais être leur fille. Il y a des types extrêmement prévenants qui s’inquiètent pour ma sécurité – c’est un poil paternaliste, mais touchant. Enfin, il y a les connards qui se disent que la petite jeune, elle va être plus facile à allonger. »
De fait, il est essentiel pour ces nouveaux venus d’être préparés avant d’entrer dans un monde qui peut s’avérer déstabilisant. Philippe Vin met en garde contre une trop grande précipitation : « Tout découvrir à 19 ans, ça rend la sexualité à 40 balais un peu plus difficile. Il ne faut pas aller trop vite, il faut se donner le temps. » Il s’interrompt, se marre et reprend : « Mince. Je ne suis pas aussi libéral que je le pensais. Je ne veux pas être normatif – il s’agit juste de faire les choses dans le bon ordre. »
Julien va dans son sens : « Entre le premier contact et le passage à l’acte, il se passe en général au moins deux à trois semaines. Avant de sauter le pas, on se parle, on se voit en webcam et on dîne ensemble, c’est important. Si l’un de nous deux a un souci, on met tout en stand-by. On n’est pas des affamés. Ce qui compte, c’est de vivre des expériences à deux. Les choses ne sont pas linéaires. On peut s’arrêter, reprendre, on ne s’interdit rien. »
De son côté, Vulu ne regrette absolument pas d’avoir goûté aux joies de l’échangisme très tôt. « Commencer jeune m’a permis de dépasser très vite mes complexes. J’ai énormément de potes qui se sont longtemps posé des questions liées à leur performance ou à la taille de leur sexe. Moi, je m’en foutais si j’avais une plus petite bite que le mec en face ou si je n’arrivais pas à faire jouir ma copine, parce qu’il y avait d’autres personnes qui pouvaient lui apporter d’autres choses. Ce qui est chouette dans ce milieu-là, c’est que tu découvres de nouvelles manières de faire, tu apprends des autres. »
« Il n’y a rien de plus beau qu’un couple qui expérimente depuis 30 ans, s’enthousiasme carrément Miss Dactari. Ils ont une complicité incroyable, comment ne pas les envier ! » Et de conclure : « Ce qui compte, c’est de ne jamais arrêter de communiquer au sujet de ses envies. Se séparer pour une histoire de partouze, c’est quand même un peu con. »
*Les prénoms ont été modifés à la demande des personnes interviewées.
Cet article vous a été présenté par Wyylde.
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