Société

Cette photographe belge brise le silence autour de la culture du viol

Elise Dervichian verkrachtingscultuur getuigenissen vrouwen

Pour son projet de fin d’étude en photographie au Septantecinq, Elise Dervichian (23 ans) a choisi de s’attaquer à un sujet toujours tabou en Belgique, la culture du viol. Son projet comporte une série de portraits de femmes qui ont trouvé le courage de raconter leur histoire et de se faire photographier. Elle nous raconte son processus de travail, les difficultés qu’elle a rencontrées et soulève l’importance de briser le silence pour changer les mentalités.

VICE: Salut Elise, qu’est-ce qui t’a poussée à faire ce travail?
Elise: J’ai subi un viol il y a trois ans et pour mon travail de fin d’étude on devait faire un projet perso. Pour moi c’était une évidence d’aborder ce sujet. Il me semblait donc nécessaire de contacter des filles dans le même cas que moi et de les photographier. Au final pour ce projet, la photo c’était un plus, car le plus important c’est le sujet et les témoignages. C’est vraiment un tout. La photo amène une réelle force aux témoignages. C’est confrontant de voir le visage de la victime, mais aussi la quantité de témoignages et de photos.

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Les viols que ces filles ont subis, on n’en parle jamais. Faut que ce soit un cas comme Julie van Espen, que la victime soit violée et tuée, pour que les médias en parlent. C’est pour ça que je voulais en parler. Je veux mettre en avant ces viols qui sont ultra banalisés dans nos sociétés, qui sont presque considérés comme normaux au final.

Comment es-tu entrée en contact avec toutes ces femmes?
Y’a pas mal de copines qui sont concernées. Puis j’ai posté un statut sur Facebook et ça s’est fait avec le bouche à oreille.

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ALICE
Le changement est radical, tu passes d’excitation à détestation. Tu passes de c’est fun, c’est “cool”, à “dans quoi je me suis embarquée”. Tu as envie de faire marche arrière, mais tu es jeune, et sans répartie. La bouche cousue, tu fermes ta gueule et tu attends que ça passe. En si peu de temps qu’il en faut pour le dire, ce connard a radicalement changé le cours de ma vie.

Tu es dedans aussi… Comment as-tu vécu la réalisation du projet?
Oui. Ça ne me fait pas plaisir de devoir raconter mon viol; ça a été une étape pour moi aussi. J’avais l’impression d’étaler ma vie rien qu’en postant ce statut sur Facebook. Mais c’est grâce à ce post que des filles que je ne connais pas directement m’ont également contactée. J’espère pouvoir continuer à faire grandir ma série et toucher d’autres femmes.

“C’est arrivé à beaucoup trop de femmes et il ne faut plus en avoir honte.”

Après mon viol j’ai cherché des groupes de parole pour rencontrer des personnes qui avaient vécu la même chose que moi. Y’a quasi rien à Bruxelles à ce niveau là donc j’ai décidé d’aller moi-même à la rencontre de ces femmes avec mon projet. Mais je t’avoue que c’était assez lourd émotionnellement, ça m’a coûté beaucoup d’énergie.

T’as photographié combien de femmes?
Trente. Ça fait genre cinq mois que je suis dessus.

“C’est l’une des agressions les plus compliquées à assumer parce qu’on va toujours remettre en question la victime et pas l’agresseur.”

Certaines ont retiré leur témoignage… C’était difficile pour tes modèles de se confier à toi?
Franchement non. Toutes les filles qui ont posé pour mon projet étaient très enthousiastes à l’idée d’en parler. Puis y’a un vrai sentiment de solidarité qui se crée. Si j’ai voulu jouer avec le nombre au lieu de me concentrer sur une seule histoire, c’était pour montrer qu’on est toutes là. C’est arrivé à beaucoup trop de femmes et il ne faut plus en avoir honte.

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ANNA
Je pleurais ce jour-là à Venice Beach. J’y étais allée pour essayer de me consoler. Ce jour-là, j’étais plus faible que d’habitude et quelqu’un l’a remarqué. L’homme qui a abusé de moi m’a hypnotisée. Je me rappelle avoir dit plusieurs fois «non», pendant plusieurs heures. Puis je me suis laissée faire, petit à petit.

Après le témoignage, y’a encore la publication qui demande du courage de votre part à toutes. Comment t’es-tu sentie en présentant ton travail?
C’est difficile. J’ai également peur à l’idée que cette interview soit lue. On a toujours l’impression que les gens ne vont pas nous croire. C’est l’une des agressions les plus compliquées à assumer parce qu’on va toujours remettre en question la victime et pas l’agresseur. On va toujours dire: “oui mais bon, elle avait bu,” ou “elle veut se faire remarquer.”

“La majorité des hommes qui ont commis ces viols ne s’en sont peut-être même jamais rendu compte!”

Ton projet s’intitule “Culture du viol”, un terme assez controversé…
Je trouve que c’est super important de l’utiliser car il définit parfaitement ce genre de viols. Ce sont des viols qui sont ancrés dans nos sociétés; on n’en parle jamais, et la majorité des hommes qui ont commis ces viols ne s’en sont peut-être même jamais rendu compte! Ce projet est vraiment une prise de pouvoir par rapport aux hommes.

D’ailleurs, à ma présentation, un des membres du jury a littéralement pété un plomb parce que selon lui, en utilisant ce terme, j’accusais tous les hommes. Pour moi c’était super important de l’employer parce que la culture du viol existe et il faut en parler. J’ai vu des tas de projets photo visuellement beaucoup plus trash, mais dès que ça parle de viol, ça dérange. J’ai aussi vu des personnes pleurer dans le public.

C’est pourtant un concept sociologique reconnu…
Oui, mais ça dérange. Et ces viols ne sont pas du tout reconnus comme des crimes. La plupart de ces filles n’ont pas porté plainte parce que ça ne sert à rien. Un vol à l’étalage est plus reconnu comme un crime que ces viols. On a trop l’image du violeur qui t’attend dans une ruelle sombre. Pourtant la majorité des viols sont commis dans un cadre de confiance voire conjugal.

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ELISE
Je suis à Miami avec ma cousine. Je rencontre ce garçon, il me drague et me propose de boire dans son verre. Je perds le contrôle et le fil de la soirée. Je me retrouve plus tard, seule dans la boite. Je dirais qu’il restait cinq personnes, dont le garçon. On me redonne à boire et ça recommence. Je suis paralysée. On finit par me déposer dans un appartement qui appartient à un homme que je n’avais jamais vu avant. Je me réveille plus tard, dans le lit de cet homme. Il est vieux et me dégoute. Il me serre dans ses bras. Je sais que cet homme m’a violé, je ne sais pas ce que les autres ont fait et je ne le saurai jamais. J’étais une femme libre et sûre d’elle, je comprends maintenant que nous les femmes ne sommes pas libres, on ne fait pas ce qu’on veut. On décide à notre place.

C’est ce que ton travail dénonce principalement?
Mon message c’est qu’il faut arrêter de se cacher, qu’il faut en parler et accorder de l’importance à ces viols-là aussi pour que les mentalités changent. Il faut que les gens reconnaissent que ces faits sont des viols, parce que pour certains ce n’est pas le cas.

Pour toi le problème vient principalement des mentalités?
Oui. Faut que les cours d’éducation sexuelle soient donnés de manière tout à fait différente à l’école, avec une attention particulière à la notion de consentement. En fait pour moi tout est lié: tant qu’il y aura du sexisme et que notre corps de femme sera sexualisé, on subira toujours des violences. Le simple fait qu’Instagram censure noss seins pose problème. Ça veut dire qu’une femme ne peut pas montrer ses seins, car c’est obligatoirement sexuel. Tout ça c’est pleins de petites choses qui contribuent à la culture du viol, il faut s’y attaquer à plein de niveaux.

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ALICE
Je revenais d’une fête d’Halloween avec le premier tram. Je suis descendue à une rue de chez moi. Un homme est arrivé derrière moi par surprise et m’a étranglé avec son bras, en me tenant le poignet avec son autre bras. J’ai essayé de me débattre. J’ai crié le plus fort possible en appelant de l’aide et en continuant d’avancer dans la rue, mais j’ai mordu ma langue jusqu’au sang par manque d’air. Après quelques mètres j’ai perdu connaissance dans le caniveau. Je me suis réveillée quelques minutes plus tard les cuisses en sang, entourée de plusieurs personnes. Des voisines avaient entendu mes cris et appelé la police. Mon violeur a eu le temps de fuir. La police m’a ramené chez moi. Pour prendre ma déposition, une rue plus loin.
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AGATA
Ne désire plus témoigner.
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OPHELIE
En moins de quinze minutes il avait fini et tout commence. Les curiosités malsaines et la stigmatisation d’une victime ou plutôt survivante. Ce qui est le plus lourd, ce n’est pas le trauma, c’est la constante lutte pour que tout ça soit pris un peu plus au sérieux et avec le respect nécessaire. Quand mon agression à commencé à se savoir autour de moi, les gens trouvaient ça justifié, parce que j’étais extravertie et à l’aise avec ma sexualité. Contrairement à un va-et-vient de moins de quinze minutes, ça reste à vie, ça.
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LARA
Je suis sortie seule d’une maison vers 5h30 du matin le long des étangs d’Ixelles pour rentrer chez moi. Il y a un moment de blanc. Je me souviens d’avoir repris conscience dans les bras d’un inconnu qui me transporte, avec trois autres hommes. Je me suis mise à crier “je veux pas!” en boucle, je ne savais pas où ils avaient l’intention de m’emmener, ni qui ils étaient, mais je connaissais très bien leurs intentions et ce qui allait suivre. On est passé entre des buissons et là j’ai vu un matelas, je me suis débattue et j’ai hurlé de plus belle. Mon cerveau m’a projeté une image de moi me faisant violer par quatre hommes sur ce matelas en plein milieu du rond point. Sans comprendre pourquoi, soudainement, ils sont partis en courant.
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LINA
Rentrer chez soi est une épreuve. Mais on n’a pas le choix alors on y va. On invente toutes sortes de systèmes de sécurité complètement improbables et inutiles au final. Regarder les reflets dans les vitres pour repérer qui nous suit, sans avoir à se retourner et montrer qu’on a peur. Mais une fois qu’on est traqué ça ne sert plus à rien.
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MYRIAM
Ne désire plus témoigner.
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AMELIE
Je devais me rendre à Liège. Une fois dans la gare j’étais partie acheter les tickets. On était lundi, aux alentours de 6h30 et face au guichet, j’ai senti une main m’agripper à l’entre-jambe et me pousser contre cette machine. Son bassin s’est rapproché de mes fesses, puis son torse m’a écrasé au point que j’avais du mal à respirer. Au plus je le repoussais, au plus j’avais du mal à bouger car il trouvait toujours un endroit où faire pression en plus. Mon front s’écorchait sur l’écran et il me chuchotait à l’oreille qu’il avait envie de moi. J’ai réussi à rassembler le peu d’énergie qui me restait pour lui donner un coup de coude. Il s’est éloigné, j’ai crié que c’était un connard et lui m’a répondu: «C’est simplement une blague, ne le prends pas comme ça, chérie».
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LOUISON
Après avoir fait la fête, nous sommes rentrés à notre hôtel avec des amis. Je fume seule une dernière cigarette dans le hall. Je vais aux toilettes et c’est là qu’un des mecs qui travaille dans l’hôtel choisit son moment pour m’y rejoindre. Il commence à m’embrasser. Ivre, je me laisse faire au début, Il insiste et bientôt sa force m’empêche de me débattre. Je lui répète «Non, arrête!», il répond «Allez, c’est bon». Je sens son sexe en érection contre moi, il continue à m’embrasser, à me toucher les fesses, à me palper les seins. Je sens en lui le moment clé, il a le choix: franchir le cap ou me laisser. Il maintient son étreinte puis il s’arrête. Je m’en vais en courant.
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ALEX
Quand ton nouveau manager, ancien coéquipier et grand ami te fait des allusions sexuelles au travail, tu en rigoles, même si c’est plutôt bizarre et vachement déplacé. Quand il t’approche lorsque vous n’êtes qu’à deux, t’entoure de ses deux bras, place l’une de ses mains sur tes fesses et t’embrasse de deux baisers mouillés derrière chacune des oreilles, c’est clairement fucked up.

Si vous êtes une femme, que vous avez subi une agression sexuelle (consentement, harcèlement) et que vous êtes prête à témoigner et à vous faire prendre en photo, envoyez un mail à dervichianelise@gmail.com.

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