Troisième et dernière partie de notre série VICE « Vivre d’amour et d’héroïne ». Valentin raconte la chute. De son overdose à la fin de son couple d’addict, en passant par une possible nouvelle vie grâce à l’écriture.
Après mon histoire avec mon ex-dealeuse, je me suis remis en couple avec mon premier amour. Elle a été d’un formidable soutien et m’a véritablement sauvé suite à ma rupture. Mais la drogue prenait trop de place encore une fois et je négligeais souvent notre couple. Elle n’a pas supporté de vivre avec un accro et je la comprends. Elle m’a donné un ultimatum : elle ou la drogue. J’ai choisi la drogue.
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Le quotidien d’un camé tourne entièrement autour de l’héroïne. Il se résume à consommer et trouver de l’argent pour se procurer de la came. Il faut sans cesse anticiper pour ne jamais se retrouver en manque. L’héro reste peu de temps dans le sang, quelques heures, et ensuite, il faut consommer de nouveau – c’est un manège permanent. Je consommais un gramme par jour, et vers la fin, je ne sentais plus rien. Il faut sans cesse augmenter les doses car l’accoutumance est rapide. Quand je sortais, je devais obligatoirement avoir ma came sur moi et je m’enfermais dans les chiottes pour faire des rails. Le toxicomane que j’étais connaissait toutes les chiottes de tous les bars et restaurants de la ville. Je les sélectionnais en fonction de leur praticabilité.
Aujourd’hui mon nez est tellement rongé par la cocaïne que je ne peux plus rien sniffer sans avoir des douleurs. J’ai la cloison nasale et les sinus détruits. Quatre ans de sniff, ça fait des dégâts, et si je le pouvais, je me ferai refaire le nez comme Kate Moss. L’année dernière, je suis passé à l’intra-veineuse pour m’éviter de m’abîmer les sinus. L’IV c’est un tout autre monde, mon premier shoot m’a littéralement fait décoller. L’effet est plus puissant, plus diffus, tu le ressens dans tout ton corps. C’est immédiat : tu ressens un « flash » qui te scotch littéralement sur place.
L’intraveineuse est beaucoup décriée, même entre toxicomanes. Il y a ceux pour qui ça ne fait ni chaud ni froid, puis il y a ceux qui détestent. Un shoot n’est pas un vice, ça n’a rien de sale, c’est une injection faite par un usager de substances psychoactives. C’est un facteur de risque, pas un marqueur de moralité. Ce sont les conditions du shoot qui sont souvent indignes de nos sociétés modernes, pas le shoot en soi. L’intraveineuse est une pratique qui a des siècles : l’injection de morphine était courante dans des salons au XIXe siècle et était une pratique valorisée réservée à une élite bourgeoise. L’inconvénient de l’injection, c’est le risque d’overdose. Une fois le produit injecté, tu ne peux plus revenir en arrière et le capital veineux se détériore.
Je prends conscience que je vais peut-être crever ici, là, dans ma chambre, tout seul, comme un con
J’ai frôlé l’overdose une fois, c’était avec une speedball (un mélange de cocaïne et d’héroïne). C’est hyper dangereux car ça mélange un excitant et un dépresseur. Beaucoup d’overdoses sont dues à ce mélange, mais je n’en avais pas vraiment conscience à l’époque. Il était 4h du matin, c’était la fin de ma cocaïne, alors j’ai décidé de faire une dernière grosse trace de coke avec une trace d’héroïne, sans me rendre compte que j’en avais mis trop.
Sur le moment, je tape la trace et, rapidement, je commence à me sentir mal, à trembler et à grosses gouttes. J’ai le cœur qui bat la chamade, mais le souffle coupé. Entre la cocaïne qui accélère mon rythme cardiaque et l’héroïne qui ralentit ma respiration, je suffoque. Je me rends vite compte que quelque chose ne va pas et je me mets à paniquer, car je comprends que je fais une overdose. Je prends conscience que je vais peut-être crever ici, là, dans ma chambre, tout seul, comme un con. J’ai composé le 15 et gardé le pouce au-dessus de l’écran, prêt à appuyer à tout moment dès que je me sentirai partir. Ce soir-là, j’ai failli y passer.
La drogue dure est intimement liée aux affres de la « rue » et, en quatre ans, j’ai eu à connaître et côtoyer ce monde. Quand tu pars toucher dans les fours, tu rencontres irrémédiablement la population qui vient se fournir ici, c’est-à-dire des SDF toxicomanes, et même si la plupart sont tout à fait charmants, certains peuvent se montrer violents et extrêmement vicieux. Les rackets sont communs. Beaucoup des cas relèvent de la psychiatrie. On ne sait pas vraiment si c’est leur folie qui les a mis à la rue ou la rue qui les a rendus fous. Je me suis fait racketter une fois par deux mecs à la sortie d’un four : en me dirigeant vers le métro après avoir pécho, je me suis fait alpaguer par deux gentils gars qui m’ont expliqué que des flics étaient posés devant le métro et qu’il valait mieux passer avec eux par un chemin derrière la cité. A peine tourné derrière la cité, je me suis fait plaquer contre le mur et racketter ma boulette. Les pauvres étaient dégoûtés d’y trouver qu’un maigre dix euros.
Je me rappelle également de ce jeune blond avec qui on a mis en commun nos quelques euros pour acheter une dose à deux et à qui j’ai proposé de venir à l’appart de ma copine qui m’avait laissé les clés pour se poser au chaud. J’ai vite regretté. D’habitude, je ne prends pas le risque de ramener des toxicomanes chez moi, mais lui était petit et frêle, alors je me suis dit que je ne risquais rien. Mais j’ai rapidement déchanté quand il s’est mis à devenir nerveux et à s’agiter en me tenant des propos délirants. Il m’a avoué avoir fait de la prison, avant de sortir un couteau de sa chaussette tout en enchaînant parano sur parano : « T’as pas intérêt à me baiser, toi ! »
Une fois dans l’appartement, il s’est heureusement calmé après avoir tiré quelques lattes sur sa pipe à crack
Il était trop tard pour reculer. J’allais devoir gérer tant bien que mal, me disais-je sur les quelques mètres qui nous restaient à parcourir jusqu’à mon appartement. Je me suis souvenu des mes cours d’infirmier en psychiatrie pour gérer pareille situation : aller dans son sens, ne pas le froisser, être constamment dans l’empathie. C’était le seul truc à faire face à un névrosé en plein délire qui menaçait de me planter à tout moment. Une fois dans l’appartement, il s’est heureusement calmé après avoir tiré quelques lattes sur sa pipe à crack.
À la fin de l’été, ça faisait neuf mois que j’étais dépendant à l’héroïne. Pour être honnête, à l’époque, je ne pensais absolument pas que j’arriverai à me sevrer, ça me semblait un objectif impossible, inimaginable, mais j’ai regroupé tout le courage qui me restait et j’ai passé la porte d’un centre d’addictologie (CSAPA). La fille à l’accueil m’a demandé à voix basse : « Vous venez pour quel produit ? » J’ai répondu « héroïne » en chuchotant. J’étais le plus jeune patient du centre, fréquenté majoritairement par des hommes dans la quarantaine.
Ça a commencé par un rendez-vous avec un infirmier qui m’a posé plusieurs questions pour cerner ma situation. J’ai passé des prises de sang pour voir le taux de produits que j’avais dans le sang, puis j’ai vu un médecin addictologue. Ce fut le début de mon suivi dans ce centre.
J’étais cocaïno-héroïnomane, polytoxicomane comme on appelle ça, mais le plus important dans l’immédiat était de me sevrer de l’héroïne. Pour le sevrage, j’ai eu à choisir entre deux options : la première était un séjour de plusieurs semaines en hôpital dans un service d’addictologie pour me sevrer « à la dure » avec l’aide de simples anxiolytiques – une option longue et douloureuse. La deuxième option consistait en un sevrage à l’aide d’un TSO (Traitement de Substitution aux Opiacés) un traitement à base d’opiacés qui se prend quotidiennement et remplace la prise d’héroïne.
Le manque m’avait tellement traumatisé qu’il était hors de question que je le subisse encore une fois. J’aurais tout fait pour éviter cette souffrance épouvantable. C’est donc tout naturellement que je me suis tourné vers la substitution, aka le Subutex, un dérivé opiacé qui bloque les récepteurs cérébraux en question et agit en supprimant totalement les symptômes du manque pendant 24h. C’est un cachet à prendre sous la langue, mais j’ai rapidement pris la mauvaise habitude de le détourner en le sniffant. J’étais accro au geste, même sevré, je n’arrivais pas à passer une journée sans me foutre un truc dans le nez.
Ce fut une véritable libération. Fini la vie qui tourne totalement autour du produit, fini de courir au bloc tous les jours ; le Subutex m’a donné un cadre, m’a permis de reprendre un train de vie normal, d’étudier, de travailler etc. C’est un traitement que je vais sans doute devoir garder longtemps (voir à vie).
Dorénavant, j’ai rendez-vous chaque mois avec mon addictologue, qui me renouvelle mon ordonnance et m’interroge sur ma situation, sur mes consommations. Il m’arrive de lui mentir. En réalité, je lui mens assez régulièrement, pour ne pas avoir à subir des remarques et des sanctions. Il peut décider de renouveler ou non l’ordonnance, il a le choix de vie ou de mort sur ma substitution, alors j’évite de lui raconter que je m’injecte cocaïne et héroïne tous les deux jours. Ça fausse le rapport patient-médecin, j’en conviens et je le déplore.
Le jugement des autres est assez difficile à vivre parfois, particulièrement les violences médicales. Dans de rares cas, c’est mon médecin généraliste qui doit me faire ma prescription de subutex. Mon premier rendez-vous a été un véritable calvaire. Elle m’a traité comme un chien. L’ambiance était froide et il y régnait un silence entrecoupé par des remarques désobligeantes. Le seul fait que je vienne pour un traitement de substitution à l’héroïne m’a valu jugement et dénigrement pendant toute la consultation. J’étais le drogué de sa clientèle, la tâche de son cabinet. Je n’ai pas eu une once de bienveillance et elle m’a bien fait comprendre que je n’étais pas le bienvenu. Venant de son médecin, c’est difficile à encaisser. On vient pour se faire aider et à la place on se fait insulter. Je suis ressorti du cabinet en pleurs, c’était extrêmement violent. Depuis, à chaque consultation, je me fais fliquer tout du long. Elle appelle mon addicto ainsi que ma pharmacie pour vérifier mes dires, car pour elle un drogué n’est pas un malade, mais un délinquant, un criminel. C’est ainsi qu’elle le traite.
À l’instar du roi Midas qui voyait tout ce qu’il touche se transformer en or, le toxicomane voit tout ce qu’il touche se consumer
Durant toute ces années, j’ai eu l’occasion de faire mon introspection, de réfléchir sur moi-même, d’essayer de comprendre les tenants et les aboutissants de ma dépendance, de la raison pour laquelle la drogue avait pris autant de place dans ma vie. À mes 18 ans, à la suite d’une énième dispute, ma mère m’a renié, jeté de la maison. Je pense que ça a provoqué chez moi une carence affective et une phobie de l’abandon. Un homme ne peut pas se construire sainement sans l’amour de sa mère. Je pense que mon addiction trouve ses racines dans ces fêlures, ces souffrances passées. Certaines personnes passent toute leur vie à essayer de combler un manque. On est tous le fruit de notre histoire. La drogue est également un moyen de se faire du mal. La détresse pousse à des comportements auto-destructeurs, c’est parfois le seul moyen de soulager sa souffrance. C’est également un moyen d’avoir le contrôle, quand on ne l’a jamais eu dans sa vie. Je traînais en moi un mal-être profond et la drogue dure a été un moyen de le soulager. Je me suis appuyé dessus comme une béquille, c’est pour ça que je suis devenu accro aussi vite.
À l’instar du roi Midas qui voyait tout ce qu’il touche se transformer en or, le toxicomane voit tout ce qu’il touche se consumer. Le toxicomane est familier de la solitude et de l’abandon. C’est son entourage qui le lâche en premier. « S’ils t’ont abandonné, c’est que ce n’était pas de vrais amis », lui rétorque-t-on régulièrement. Pourtant, ils l’ont abandonné quand même, comme ça, comme un chien au bord d’une autoroute. À son grand désarroi, il aura eu tout le temps d’apercevoir le dégoût et le jugement dans les yeux de ses proches, le lourd poids du silence, un silence qui blesse plus que cent mots. Il y a ceux qui se taisent dans un silence assourdissant et, au contraire, ceux qui lui crachent leurs reproches au visage, croyant bon de lui faire la morale à chaque fois que possible. Chacun y va de son commentaire, de sa petite morale, se targuant de faire ça pour son bien.
Le drogué est marqué du sceau de l’exclusion sociale
Tous projettent sur lui leurs pires peurs et rassurent leur égo en lui délivrant la bonne parole, mais très peu l’aident réellement. Les gens s’entêtent à rester dans le reproche, mais le reproche n’est pas bon thérapeute. La famille sera la dernière à résister, mais une fois qu’elle aura lâché, elle sera incapable de reconnaître que des changements positifs ont eu lieu. La drogue est un poison qui détruit tout votre cercle social. Le plus dur, c’est la perte de confiance : vous faites tout le temps l’objet de suspicion et c’est décourageant quand vous êtes justement en train d’essayer d’arrêter.
Le drogué est marqué du sceau de l’exclusion sociale, comme la marque maudite de Guts dans Berserk qui lui attire sans cesse des démons. Tout le monde finit par être au courant. Petit à petit, le poison de la rumeur fait son chemin, les ragots circulent de manière sournoise et insidieuse et, partout où il passe, il ne voit plus que des dos tournés. On dit souvent qu’il n’y a rien de plus méchant que des enfants, mais les adultes peuvent l’être tout autant. Le dépendant comprend très vite qu’il vaut mieux se taire. S’il ne veut pas voir sa vie sociale réduite à l’état de néant, il se doit de garder tout ça pour lui.
Depuis, j’ai découvert l’écriture et c’est devenu une vraie passion. J’ai commencé par écrire sur ma relation avec la drogue, puis sur la vie en général. L’écriture a des vertus thérapeutiques. C’est une vraie catharsis et ça fait un bien fou de coucher sur papier ses pensées. On en apprend beaucoup sur soi-même ; c’est une plongée dans les méandres de l’esprit.
*Le prénom a été modifié.
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