Entre secte, rêves d’humains augmentés et avancée inexorable de l’humanité vers son avenir, le transhumanisme est l’un des courants de pensée les plus excitants du moment. Mais il remet en question l’avenir de notre espèce. Laurent Alexandre, une des premières (et encore rares) personnalités françaises à se pencher sur la question, fait le point pour nous.
« L’homme qui vivra 1 000 ans est déjà né ». Laurent Alexandre, chirurgien urologue et auteur, notamment de La mort de la mort, aime les phrases chocs. S’il estime qu’il y a eu « beaucoup d’incompréhensions autour de cette phrase », il assume le propos : les NBIC (pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) vont révolutionner notre monde et étendre considérablement la durée de vie.
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Celui qui est également homme d’affaires et fondateur du site Doctissimo assume aussi son rôle, entre technophile convaincu, partisan d’un vaste débat public et relais français du transhumanisme de la Silicon Valley. Dès l’entame de notre entretien, nous lui avons donc demandé s’il croyait aux prophéties de ces derniers. « Pour moi il y a deux questions principales, a-t-il répondu d’emblée. Est-ce que l’homme va finir par avoir un pouvoir sur sa propre nature? Et quand? » La deuxième répondant évidemment à la première.
Immortels d’ici 2029? Impossible, mais…
Il y a quelques semaines, Ray Kurzweil, futurologue, ingénieur chez Google et pape du transhumanisme annonçait que d’ici 2029, nous serions en mesure de faire reculer chaque année la durée de vie d’un an. 2029 serait également selon lui la date à laquelle un superordinateur passerait le fameux test de Turing, ce qui ouvrirait la porte au futur fantasmé par Kurzweil : des humains connectés, augmentés par l’intelligence artificielle (IA) et nanorobotisés.
Pour Laurent Alexandre, s’il y a une erreur dans ces prophéties, elle se trouve dans la temporalité, pas sur le fond. « Quand Kurzweil annonce qu’il estime que nous arriverons à faire reculer l’espérance de vie d’un an chaque année, cela revient à dire que nous serons immortels. Et pour un horizon aussi proche que 2029, je n’y crois pas une seconde. Par contre, il est évident que nous nous apprêtons à allonger la durée de vie de manière considérable. »
Même réflexion sur l’humain augmenté. « Sur le long terme, je pense que Kurzweil a raison. Mais sur le court terme, je pense qu’il se plante. Il sous-estime la complexité des connexions du cerveau par rapport à nos connaissances actuelles. Un cerveau connecté, on en est encore loin. Croire qu’on y arrivera d’ici 15, 20 ans, il me semble que c’est faire preuve de naïveté neuro-technologique. Pour l’instant, les seules choses que nous arrivons à faire, c’est recréer de faux souvenirs chez des rats par exemple, en les “connectant”. Mais on leur bousille le cerveau, on est très loin d’être au point sur ce sujet-là. »
Une religion sans Dieu
Pour ses nombreux détracteurs, le transhumanisme s’apparente à une religion, voire une secte dont Kurzweil serait le gourou. Récemment, Paul Jorion critiquait leur « message messianique ». Un parallèle que ne nie pas Laurent Alexandre. « Bien sûr, c’est une croyance de nature religieuse. À l’exception que l’on met Dieu de côté. Dieu, c’est l’Homme 2.0. D’ailleurs, Kurzweil estime que dès 2035, nous serons des dieux [« We will be Godlike »].
« Google se rapproche plus d’une église que d’une entreprise traditionnelle. Leurs objectifs sont des objectifs messianiques avant l’accumulation de l’argent. » Dès lors, doit-on s’inquiéter des dangers d’une dérive sectaire? « Nous parlons là de maîtrise de l’intelligence artificielle, de cerveau connecté, de la possibilité d’éditer le génome humain, de se rapprocher de l’immortalité, etc. Les conséquences et les dangers de tout ça sont multiples et vertigineux, je ne pense vraiment pas que le fait de savoir s’il faut considérer le transhumanisme comme une secte soit la priorité, balaye Laurent Alexandre. Il faudrait plutôt se pencher sur notre capacité à anticiper le monde qui arrive. » Ou plutôt notre incapacité.
Nous serons submergés par le tsunami technologique
Car c’est bien le principal problème. Serons-nous en mesure d’anticiper cette révolution annoncée? La réponse est sans appel. « Bien sûr que non. Dans les années 1990, nous n’avons pas été en mesure d’anticiper la vague révolutionnaire qu’était le web; en 2005, nous n’avons pas été en mesure d’anticiper les réseaux sociaux, l’Histoire montre qu’on ne sait pas anticiper. D’autant que nous parlons là d’un futur exponentiel, qui est en tout point différent aux croissances linéaires que nous savons analyser. »
Et Laurent Alexandre ne manque pas d’exemples. « Le grand Jacques Monod, prix Nobel reconnu, estimait que la modification du génome humain était impossible à tout jamais. Cinq ans plus tard, apparaissaient les premières modifications génétiques. Dernièrement, Lee SeDol, un génie, champion de Go, était persuadé de gagner contre la machine AlphaGo. Résultat, il s’est fait écrabouiller. Si nos génies ne sont pas capables d’anticiper ça, j’ai du mal à concevoir que toute une société le puisse. »
« Donc nous ferons comme d’habitude, poursuit le chirurgien. La vague technologique va passer, va nous submerger et seulement après nous essaierons de réguler comme on pourra. Nos politiques, incapables de raisonner à long terme, ne verront rien et laisseront déferler le tsunami. Et seulement après, on s’inquiétera, on régulera, on légiférera. Comme on a fait pour le web. Les questions de sécurité, de vie privée, etc. ont débarqué dans le champ politique bien après les technologies elles-mêmes. »
Her avant 2030
Et s’il y a bien des acteurs qui ont anticipé cette vague, ce sont précisément les mastodontes de la Silicon Valley, Facebook et Google en tête. « Aujourd’hui, c’est plutôt Facebook qui tient la corde, plus que Google. Facebook avance beaucoup sur la réalité virtuelle, les recherches internes et la messagerie instantanée. Tout le monde s’est foutu de Zuckerberg quand il a surpayé WhatsApp, mais il a su anticiper le déclin du courriel et voir que bientôt le principal canal d’information sera la messagerie. »
Mais ces géants anticipent-ils réellement le mouvement? « Ils les anticipent autant qu’ils les créent, c’est certain, mais ils investissent également d’énormes quantités d’argent pour ne pas être dépassés. Récemment, Zuckerberg a investi beaucoup dans la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle. Il développe d’ailleurs son propre assistant personnalisé, comme Jarvis dans Iron Man. »
Le futur de Facebook? « On commandera tout à la voix, on naviguera via la réalité virtuelle et une intelligence artificielle nous assistera. D’ailleurs, les agents personnalisés, plus perfectionnés que Siri ou Cortana, comme Jarvis ou Sam dans Her, ça nous le verrons avant 2030 oui, c’est sûr ».
Un monde dirigé par la Silicon Valley?
Aujourd’hui, les GAFA ont la mainmise sur ces technologies et sont le berceau de la pensée transhumaniste. Seront-ils les maîtres du nouveau monde? « Au départ, les géants du web garderont sûrement un monopole temporaire, estime Laurent Alexandre. Mais ils ne tiendront pas leur position dominante éternellement. Il ne faut pas oublier qu’il y a 20 ans, Google n’existait pas et tout le monde pensait que Microsoft régnerait en maître, pour toujours ».
Le chirurgien ne manque pas de rappeler les propos de Steve Ballmer, alors PDG de Microsoft, il y a moins de 10 ans à la sortie de l’iPhone. « Il annonçait en riant : “Mais qui voudra d’un téléphone sans touches? C’est ridicule, ça ne marchera jamais.” Microsoft était alors leader incontesté de ce marché ».
« Je pense que c’est pareil pour Facebook ou Google aujourd’hui. Dans un système capitaliste ouvert, n’importe quel géant finira par se faire challenger. En revanche, l’écosystème de la Silicon Valley, lui, va rester. Et restera clairement en situation de monopole. »
L’IA ne sera pas dangereuse pour l’Homme… avant 2070.
Ce tsunami technologique ne va pas se déverser sans heurts. « Bien sûr il y aura des problèmes de sécurité. Il y aura du piratage. Il y aura des tas de problèmes éthiques. Comme l’éternel débat de la voiture Google confrontée à un choix morbide. Qui doit-elle écraser, si elle peut épargner des enfants ou des vieillards? Notre morale nous fera sauver les enfants. Mais doit-on alors doter la voiture de morale? »
Car c’est tout le problème de l’IA. « Tant qu’on a un automate complètement con qui ne fait qu’exécuter ce qu’on lui demande, ça va. Mais dès qu’on intègre de l’autonomie, elle peut potentiellement devenir dangereuse. D’ailleurs, je fais partie des gens qui pensent qu’il n’est peut-être pas très intelligent d’apprendre à l’IA le jeu de Go. Ce jeu est un jeu de stratégie, où le but est au final d’écraser son adversaire humain, je ne suis pas sûr que ce soit pertinent d’apprendre ça aux machines. D’autant qu’AlphaGo n’a pas gagné grâce à des combinaisons mathématiques bêtement intégrées dans l’algorithme de la machine. Il a appris à jouer. Réellement. Et certains coups qu’il a joués sont des coups de génie, pas du simple calcul. »
Les prochaines générations de machines jouiront de plus d’indépendance que celles d’aujourd’hui. « Avec le DeepLearning, on n’est plus dans la programmation, mais dans une vraie logique d’automatisation. »
Doit-on craindre l’intelligence artificielle, au point qu’elle devienne dangereuse pour l’Homme? « D’après le fondateur de DeepMind, l’IA ne peut pas menacer l’Homme avant 2070 environ, car il faudrait une IA forte, complètement autonome pour cela. Mais il y a clairement deux camps. Stephen Hawking et Elon Musk mettent en garde contre le danger que peut représenter une IA hostile, pendant que Mark Zuckerberg estime qu’ils sont, je cite : hystériques. »Yann LeCun, figure mondiale de l’intelligence artificielle et employé de Facebook, s’est également rangé du côté de son patron.
« Mon sentiment, c’est que si on ne se saisit pas pleinement du sujet, oui, ça peut devenir un problème, indique Laurent Alexandre. Une secte ou un groupe terroriste, qui ne craint pas la mort et souhaite éradiquer l’humanité ou faire le plus de dégâts humains possible, pourrait se servir d’une intelligence artificielle comme vecteur par exemple, oui, c’est sûr. Le problème est que nous n’avons aucun pouvoir là-dessus. Aucun pouvoir législatif, aucun encadrement, aucune régulation. Peut-on sérieusement interdire l’intelligence artificielle? Bien sûr que non. Donc on ne peut pas plus empêcher Zuckerberg de faire ce qu’il veut. »
Un nouveau monde totalement inconnu
Laurent Alexandre estime que « l’absence de vision à long terme, que ce soit chez nos chercheurs ou chez nos politiques, complique notre capacité à imaginer comment s’organisera cette société où l’Homme sera augmenté et l’intelligence artificielle omniprésente ». Mais il « refuse de croire à l’apocalypse qu’on nous annonce » et demeure partisan d’une certaine forme de technologisme. Ainsi, nos avancées technologiques nous permettront de contrer les problématiques auxquelles nous faisons face, qu’il s’agisse de la maladie, des inégalités ou de l’écologie.
« Personnellement, je ne vois pas du tout le péril écologique, je ne suis pas un Khmer vert. On a résorbé le trou de la couche d’ozone en à peine cinq ans en supprimant simplement certaines substances de nos aérosols, alors qu’on nous prédisait l’apocalypse. » À l’opposé des idées de la décroissance, Laurent Alexandre balaye la possibilité d’une pénurie de matières premières, nécessaires à toutes ces avancées technologiques. « Nous serons dans un monde infini. Rien que sur la croûte terrestre, nous pourrons nous fournir en énergie quasi inépuisable, via le solaire, l’éolien, l’hydraulique, etc. Les matières premières seront presque illimitées. Car ces technologies ne coûteront pas grand-chose, et il y a encore des tas de ressources inexploitées. À mon sens, c’est un faux problème, comme la surpopulation. Il y a des tas d’endroits sur la planète où il n’y a personne, en Russie, sur le continent américain, etc. »
Une fois la problématique écologique expédiée, se posent tout de même plusieurs questions économiques. Ces technologies d’augmentation seront-elles accessibles à tout le monde? A-t-on les moyens de cette révolution? « D’un point de vue économique, augmenter la population, robotiser tout le monde, etc. ne coûtera pas si cher que cela, estime Laurent Alexandre. Car nous ferons des économies substantielles. Par exemple, un enfant sera capable d’apprendre tout seul, de se former, de s’éduquer, etc. Mais surtout, la demande pour les NBIC, les nanotechnologies ou la thérapie génique ne va cesser d’augmenter, et les coûts de ces technologies vont chuter. »
Il faudra « augmenter » tout le monde
Ainsi, l’Homme augmenté aura la maîtrise de son génome, de ses capacités cognitives et physiques. Dès lors, il est difficile de ne pas envisager deux catégories d’humains : ceux qui sont augmentés et ceux qui ne le sont pas. Suivant cette logique, difficile d’imaginer que ceux qui ne le seront pas seront bien évidemment les pauvres d’aujourd’hui.
Puisque les pays riches concentrent la plupart des richesses quand certaines populations n’ont pas accès à l’eau potable ou l’éducation, difficile d’imaginer. « Lors d’un débat avec Jacques Attali [voir vidéo plus bas] nous nous sommes trouvés en désaccord, car il estimait que même dans 1000 ans, l’Afrique ne bénéficierait pas du séquençage ADN. Mais le prix du séquençage ADN a été divisé par plusieurs millions en seulement quelques années. Tout le monde aura accès à cette révolution. »
Le chirurgien estime par ailleurs que « les NBIC résorberont les inégalités. Le modèle dominants-dominés ne pourra pas durer. La position d’une poignée d’élites plus riches, plus intelligents ou plus forts contre le reste du monde ne sera pas tenable ».
Car il ne s’agit pas seulement d’inégalités sociales ou géographiques, Laurent Alexandre parle là de la plus grande des inégalités. « Le meilleur moyen de réduire les inégalités, c’est d’augmenter les capacités cognitives des cons. Bien sûr, ça n’est pas vraiment politiquement correct de dire ça, mais c’est une réalité. Et ça le sera encore plus. Question : En 2050, que fera-t-on des gens avec moins de 150 de QI? Réponse : Rien. »
Bonne nouvelle : les cons de 2050 auront donc 150 de QI. Mauvaise nouvelle : ils seront irrémédiablement remplacés. « Le robot, lui, sera l’employé parfait. Il sera plus intelligent, travaillera 125 heures par semaine sans se fatiguer, sans salaire, etc. Donc, fatalement, si 99 % de la population se retrouve sans emploi, les puissants seront bien obligés d’augmenter tout le monde s’ils ne veulent pas subir la révolution. »
De toute façon, la question économique n’a pas beaucoup d’importance pour Laurent Alexandre. « Je fais partie des gens qui pensent que l’argent est voué à disparaître un jour. Nous vivrons dans une société où l’intelligence ne vaudra rien. L’argent finira par ne plus avoir de sens. »
Par ailleurs, Laurent Alexandre estime que si un mouvement d’humain augmenté est amorcé, il sera alors irréversible. Et les générations augmentées seront obligées d’en faire profiter les générations suivantes, sous peine de les marginaliser. « La coexistence entre des gens extrêmement intelligents grâce à la technologie et des gens qui ont des capacités intellectuelles moyennes d’aujourd’hui ne peut pas être harmonieuse, estime-t-il sur Arte. Y a-t-il cohabitation harmonieuse entre les chimpanzés et les hommes? Non, nous les mettons dans des zoos. »
Dure fin de siècle en perspective pour les simples d’esprit.