« Blousons oranges, c’est enfin le grand jour, enfin nous allons au stade et personne ne pourra nous arrêter… », peut-on entendre dans une chanson du rappeur allemand Rostock. Dans les tribunes de la Bundesliga, les vestes levées au-dessus des têtes créent une image frappante. Et c’est exactement ce à quoi elles servent.
À l’origine, le blouson – aussi appelé bomber – a été créé pour les pilotes de l’armée américaine : en cas d’accident, il n’avaient plus qu’à l’enlever, le retourner et le lever en l’air pour qu’on les voit et qu’on puisse leur venir en aide. Mais tant en Allemagne qu’en France, le vêtement est devenu un symbole d’une culture de la rue relevant d’idéologies proches de l’extrême droite. Qui ne se souvient pas des skinheads avec leurs Alpha Industries ?
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Cependant Sven Friedrich représente une nouvelle vague d’adeptes du bomber, née en Allemagne et très liée au football…et qui n’a rien à voir avec les jeunes contestataires qui les utilisaient à la fin des années 90 et au début des années 2000.
« Aujourd’hui, le bomber sert à cacher des gens dans les tribunes des stades, affirme Friedrich. Si la police recherche quelqu’un dans notre secteur, il suffit que tout le monde retourne son blouson et comme ça elle ne peut pas le trouver ».
Friedrich est supporter du BFC Dynamo (Le Berliner Fußballclub Dynamo, ndlr) et propriétaire de la boutique Hollywood à Berlin. Il vend des bombers depuis 1991 : « C’est le vêtement parfait pour les expériences de jeunesse, un style de vie qui n’a rien à voir avec celui des nazis », explique-t-il. Sur son site, d’ailleurs, Sven définit la veste comme quelque chose de « non-politique et anti-raciste ». Friedrich est très content car aujourd’hui le blouson orange n’est plus assimilé à l’extrême droite.
Mais d’où vient cette assimilation aux mouvements extrêmistes ? Les premiers civils à avoir porté des blousons bomber sont les mods du Royaume-Uni dans les années 60. Les rockers se les sont aussi appropriés. Ces deux mouvements de jeunes ont été rivaux et ont créé une forte polarisation en Grande-Bretagne. Avec le temps, les mods sont devenus les punks et les skinheads.
Cela peut nous paraître contradictoire aujourd’hui, mais il est important de dire qu’à cette époque le mouvement n’avait pas d’orientation politique définie. À cause du fort taux de chômage qu’il y avait dans les années 70, le mouvement s’est politiquement orienté vers la droite.
« Au début des années 70, le taux de chômage des jeunes en Angleterre était similaire à celui de l’Espagne ou de la Grèce aujourd’hui, explique Gabriele Rohmann, directrice des archives de la culture jeune de l’Alliance pour la Démocratie et la Tolérance allemande. Pendant les années 80, les skinheads se sont joints aux mouvements ultras de droite et ont connu une grande popularité ».
Lorsque le mouvement skinhead s’est propagé au reste de l’Europe à la fin des années 70, cela faisait déjà longtemps qu’il était imprégné d’un contexte très proche de la droite radicale. Les skinheads et les ultras de tous les pays ont cultivé une relation étroite. Depuis, ils ont été les principaux acheteurs de bombers et de rangers sur tout le continent.
Les bombers sont rapidement devenus un symbole associé à l’extrême droite
Un des plus gros exemples de la portée du mouvement en Allemagne s’est déroulé en octobre de 1983. Lors d’un match de la sélection allemande face à la Turquie, plusieurs groupes de skinheads se sont réunis pour se battre contre les Kanacken, les fils d’immigrants turques installés en Allemagne. La violence qui en a découlé a provoqué un séisme médiatique dans le pays. Mais le problème n’est pas resté confiné à l’intérieur des frontières allemandes.
Jacek Purski, membre de l’association polonaise anti-raciste Nigdy Wiecej (“Plus jamais”), explique qu’au début des années 90, les bombers étaient un symbole pour beaucoup de gens. « Les stades allemands et polonais étaient pleins de fans qui devaient porter leur blouson à l’envers parce qu’ils étaient remplis de symboles fascistes à l’extérieur », assure Purski.
L’engouement pour les bombers – et son lien avec les néo-nazis – a atteint un tel niveau de folie que la ministre allemande de la Famille a même proposé d’interdire le vêtement en 2001.
Il faut dire qu’en Allemagne les bombers n’étaient pas l’exclusivité des ultras néo-nazis : dans les années 1990, le vêtement était devenu populaire même parmi les supporters de gauche, même si ces derniersi les utilisaient principalement pour mettre de la couleur dans les tribunes. En 2000, lors d’un match entre le VfB Stuttgart et l’Eintracht Francfort, les supporters visiteurs ont porté les blousons orange pour faire une mosaïque.
Cependant, les bombers ont disparu petit à petit des stades allemands, au fur et à mesure que leur image renvoyait de plus en plus aux mouvements extrémistes. Ils ont commencé à devenir le propriété exclusive de certaines scènes skinhead, mais elles ont disparu des virages des hooligans.
« L’image était si mauvaise qu’il est arrivé un moment en Allemagne où plus personne n’en portait, ni près des stades et encore moins comme la représentation du symbole d’une équipe », se rappelle Friedrich. Au même moment, en Espagne, les bombers connaissaient le succès dans les rues pour des raisons esthétiques – et parfois politiques –, mais ils n’ont jamais atteint le même niveau de popularité dans les stades.
Aujourd’hui, ces blousons ont attiré l’attention de plusieurs sous-cultures et quelques marques ont fait des modèles qui rappellent les classiques bombers oranges. Un de ceux qui ont inspiré cette nouvelle mode est le rappeur provocateur et contestataire allemand Bushido, qui est apparu dans une des ses vidéos avec un version de la classique Alpha.
« Après la vidéo de Bushido, des clients ont commencé à venir dans ma boutique me demandant un blouson comme celui du rappeur », assure Frederick. Cela a probablement aidé à ce que les blousons se défassent de leur image nazi et, depuis, on retrouve les bombers dans les stades de Bundesliga.
En 2009, les ultras de Francfort ont commencé à utiliser massivement les blousons pour encourager leur équipe en créant ce qu’on appelle l’Oranges Kaos : en 2013 ils sont devenus connus en Europe grâce au match que l’Eintracht a joué face aux Girondins de Bordeaux. En 2015, le Dynamo Dresde a inclus le blouson dans l’uniforme officiel de ses supporters.
Loin du stade, le blouson orange est de nouveau à la mode en Allemagne, mais sans la connotation négative des années 90 et 2000. La question aujourd’hui est…Et en France ? Va-t-on retrouver des Alpha Industries partout ? Tout dépend du sort qui sera réservé aux ultras.