En Birmanie, la « démission » soudaine du chef du parti au pouvoir

Des cadres du Parti de la solidarité et du développement de l’union (USDP) ont annoncé ce jeudi que c’est le président de la Birmanie (ou Myanmar) , Thein Sein, qui va désormais siéger à la tête de ce parti, dirigé jusque-là par l’ancien général Shwe Mann.

« Une nuit riche en coups de théâtre. » C’est ainsi que l’hebdomadaire The Myanmar Times a décrit la nuit de mercredi à jeudi, lors de laquelle des policiers ont notamment été aperçus en train de pénétrer dans les locaux du siège de l’USDP à Naypyidaw, la capitale politique du pays.

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Cette démission volontaire — de nombreux observateurs préfèrent parler de limogeage — intervient dans un mouvement de départs plus large, qui touche la classe politique birmane, à quelques mois des élections générales de novembre, un véritable test pour ce pays qui a connu des années de dictature militaire.

Ces élections seront les premières du genre depuis 2011, date à laquelle les autorités birmanes ont entamé des réformes pour aller vers plus d’ouverture politique. En mars 2011, la junte militaire — dont sont tous deux issus Shwe Mann et Thein Sein — avait été dissoute, après avoir administré la Birmanie d’une main de fer pendant près de 50 ans.

« L’USDP a été le moyen pour les membres de l’ancienne junte de passer du statut de soldats à celui d’hommes politiques, » explique ce jeudi à VICE News David Camroux, chercheur spécialisé dans l’étude des systèmes politiques asiatiques au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris.

Dans un communiqué cité par le Myanmar Times, l’USDP a annoncé que l’ancien chef du parti, Shwe Mann, avait été « autorisé à démissionner » par le président Thein Sein. D’après l’USDP, Shwe Mann était « très occupé » par ses deux fonctions — chef du parti et représentant parlementaire — ce qui a motivé cette décision, explique le parti.

Si aucune mention du limogeage n’apparaissait dans l’édition de ce jeudi du Global New Light of Myanmar, ce journal d’État annonçait toutefois une importante redistribution des rôles au sein du gouvernement. Pas moins de neuf hauts responsables qui occupaient jusque-là des postes clé dans les ministères du pays ont eux aussi été « autorisés à démissionner de plein gré » ce mercredi.

De son côté, Shwe Mann serait reclus chez lui. Un fils du chef déchu a déclaré à un journaliste de l’AFP que la maison de son père était entourée par des « gardes » ce mercredi dans la soirée.

« Depuis quelques semaines, Shwe Mann s’est rapproché de l’opposante Aung San Suu Kyi, » nous explique David Camroux.

Aung San Suu Kyi est la secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) — une entente qui aurait « déplu » à l’actuel président birman Thein Sein, ancien général lui aussi, et très certainement candidat à sa propre succession.

Ces annonces surviennent un jour avant la date butoir de dépôt des candidatures pour les élections générales, qui auront lieu en Birmanie le 8 novembre prochain.

Au coeur de ce scrutin, les citoyens birmans devront élire les représentants des deux chambres du parlement national, ainsi que ceux qui siégeront au sein des parlements régionaux, provinciaux et ethniques.

L’USDP a annoncé ce jeudi que 1 147 candidats du parti sont officiellement en lice pour les différents postes, à travers toute la Birmanie. Actuellement majoritaire au sein du parlement national, ce parti pourrait perdre le pouvoir selon certains observateurs, qui donnent plutôt le NLD d’Aung San Suu Kyi gagnant pour ces élections de novembre.

Aung San Suu Kyi a reçu le prix Nobel de la Paix en 1991 pour son engagement politique. Libérée en 2010, après 22 ans d’enfermement presque ininterrompu, elle a par la suite mené plusieurs campagnes politiques avec le NLD, qui ont abouti à l’élection de 40 députés NLD — dont Aung San Suu Kyi — en avril 2012.

« Le problème pour Aung San Suu Kyi, c’est qu’elle n’a techniquement pas le droit de devenir présidente de la Birmanie, » nous rappelle David Camroux.

Dans la Constitution birmane de 2008 — toujours en vigueur — il est en effet stipulé que toute personne ayant un conjoint ou des enfants de nationalité étrangère ne peut assumer les responsabilités de président ou de vice-président du pays. Un texte presque taillé sur mesure pour bloquer l’opposante. Elle a eu deux enfants avec le Britannique Michael Aris.

D’après David Camroux, cette situation est une « aubaine » pour Shwe Mann qui aurait donc envisagé de s’appuyer sur le NLD pour accéder, suite à un vote des parlementaires en sa faveur, aux fonctions de président du pays. Reste à savoir ce que va devenir ce projet d’alliance suite au limogeage de Shwe Mann.

« Shwe Mann va sûrement continuer dans cette voie, » nous indique David Camroux, « mais Aung San Suu Kyi va-t-elle laisser cet ancien général faire campagne sous la bannière du NLD ? » se demande-t-il.

D’après Camroux, une telle entente pourrait heurter de nombreux cadres du NLD qui ont été persécutés sous la dictature militaire.

Malgré les réformes entreprises depuis 2011, la Birmanie est encore traversée par des conflits ethniques et religieux, et ce malgré les derniers accords de paix entre le gouvernement birman et les groupes rebelles armés — accords censés mettre un terme à un conflit qui fait rage depuis 1948.

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« La Birmanie a besoin d’une grande coalition pour fonder une société multiculturelle qui fonctionne, » nous explique David Camroux, « mais il semble que ce qui se joue ici, c’est plutôt l’après-élection, » estime le chercheur.

Selon Camroux, « beaucoup de responsables actuels » craignent par exemple l’ouverture d’enquêtes sur les exactions que la junte militaire a pu commettre par le passé, « et les procès qui en découleront, » nous précise-t-il.

La prochaine élection présidentielle est prévue pour 2015, à la suite des élections générales de novembre.

Suivez Pierre-Louis Caron sur Twitter : @pierrelouis_c

Shwe Mann en 2011. Image via Wikimedia Commons.