Entrevue avec Zoë Quinn sur la vie après le Gamergate et la montée de l’alt-right

Parmi les sources de la montée de l’alt-right, il y a une vaste campagne de harcèlement sur internet déguisée en mouvement pseudo-politique qu’on a appelé Gamergate. Elle s’est maintenue en vie en fournissant continuellement des cibles à harceler. Les canaux de Gamergate se sont remplis d’attaques, qui ont fini par déborder dans la réalité. Il y a eu des pertes d’emploi, de l’espionnage, des menaces de mort.

Au centre de cette campagne, il y avait une femme, développeuse de jeux vidéo : Zoë Quinn. Gamergate la visait personnellement. C’est son ex qui a créé le mouvement essentiellement pour se venger d’elle après qu’elle est sortie de cette relation abusive.

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Dans son récent livre intitulé Crash Override, elle raconte en détail ce qu’elle a vécu et parle des causes de la hausse du harcèlement sur internet. Nous lui avons parlé de son livre, de la montée de l’alt-right et de la vie après Gamergate.

VICE : Vous et d’autres avez dit avoir essayé de prévenir les gens de la montée de Gamergate avant que le mouvement avale d’autres groupes de haine et devienne l’alt-right. Comment ça s’est passé de votre point de vue?
Zoë Quinn : Ce qui était le plus difficile, ce n’était pas l’abus ou la haine, c’était de voir que des gens pouvaient faire quelque chose et choisissaient de ne rien faire, soit parce qu’ils ne l’ont pas pris au sérieux, soit parce qu’ils se sont dit : Ça va s’essouffler, n’encourageons pas les trolls, bla bla bla. Non, en fait, il faut répondre.

Oui, la plupart des groupes haineux ont l’air complètement ridicules quand ils parlent. Et on se dit : Eh non, les Blancs ne sont pas automatiquement supérieurs à tout le reste du monde, c’est complètement ridicule. Mais ce n’est pas parce que c’est ridicule que des gens ne seront pas blessés.

On dit que « la lumière du jour est le meilleur désinfectant », qu’on a qu’à braquer le projecteur sur les horreurs et le monde saura que c’est néfaste et n’en tiendra pas compte. Mais ça ne marche pas comme ça à notre époque. Ce n’est pas comme s’ils avaient honte de ce qu’ils font. Ils en sont fiers, alors on leur fait seulement de la publicité.

Qu’est-ce que les gens qui n’ont jamais vécu d’abus à grande échelle sur internet ne comprennent pas dans ce problème?
Une chose importante que beaucoup de gens ne comprennent pas, sauf s’ils en ont été la cible, c’est que ce ne se limite pas à internet. Tu reçois des appels, tu es suivi. Des individus ont essayé de camper devant chez moi et m’ont fait des menaces. Pour moi, ça a commencé dans la réalité, par une relation abusive. Une fois que j’en ai été enfin sortie, mon ex s’est tourné vers internet pour se venger. C’est extrêmement commun de nos jours chez les personnes qui ont eu des problèmes de violence conjugale.

La frontière entre le virtuel et la réalité est de moins en moins perceptible. Nous sommes de plus en plus connectés et de plus en plus de gens vivent sur internet. Je suis dans un cas à part parce que ce que je fais n’existe vraiment que sur internet, c’est en quelque sorte mon lieu de travail.

On dirait qu’on oublie la sagesse des années 90, quand on lisait des choses sur internet avec scepticisme, en se disant que ça pouvait être faux. Il y a beaucoup de gens malhonnêtes qui essaient de manipuler l’information pour ruiner des carrières. Beaucoup d’employeurs vous cherchent sur Google avant de vous recevoir en entrevue, pour un emploi sur internet ou non. Si vous n’êtes pas très présents en ligne, ce que des personnes qui veulent ruiner votre vie auront mis en ligne pourrait être tout ce que les employeurs vont trouver. Et d’habitude, ils n’en savent pas assez pour bien les évaluer. Même s’ils le font, il y a probablement beaucoup d’autres candidats à propos desquels ils ne trouveront pas d’informations négatives.

Beaucoup de ce qui se passe sur internet se change en violence dans la vie réelle, on n’a qu’à penser à Elliot Rodger et Dylann Roof, notamment, qui ont chacun tué plusieurs personnes et avaient une présence sur internet à l’avenant. Quand on est ciblé, on sait s’il s’agit de quelqu’un qui essaie de nous embêter – ce qui n’est déjà pas cool – ou de quelqu’un qui s’y met très sérieusement.

Après ce que vous avez traversé, vous devez être la personne la plus qualifiée sur la planète pour aider les personnes victimes d’abus sur internet. Qu’est-ce qui vous a motivée à fonder votre organisme sans but lucratif pour aider les victimes d’abus?
Quand ils ont commencé à me cibler, j’ai trouvé les canaux où ils planifiaient l’abus. J’enregistrais tout discrètement depuis très longtemps parce que d’autres personnes que moi étaient ciblées. Ils les ciblaient en se basant sur des liens réels ou imaginaires entre elles et moi. Si je voyais qu’ils commençaient à porter attention à une personne, j’essayais de les devancer en prévenant la personne et en l’aidant à tout sécuriser. Je faisais ça depuis un très long moment et, après avoir parlé avec d’autres victimes, j’ai décidé, pour essayer de réduire la quantité de choses avec lesquelles beaucoup de gens se font attaquer, de faire quelque chose de plus concret, mais aussi ouvert aux personnes qui ont été ciblées par autre chose que Gamergate.

Quand ce qui m’est arrivé est devenu public et a pris des proportions gigantesques, beaucoup de gens me contactaient pour me dire « J’ai l’impression que tu es la seule personne qui comprendrait ce qui m’est arrivé » et me raconter leur histoire. C’était hyper clair que ce qui m’était arrivé n’était ni nouveau ni spécial, mais, en parlant avec d’autres et en entendant leurs histoires, c’est devenu plus réel pour moi. J’ai décidé d’essayer de créer ce que j’aurais voulu trouver quand j’ai été ciblée plutôt que de simplement souhaiter que les choses soient différentes.

Quels sont les effets à long terme du harcèlement de Gamergate sur toi, personnellement?
Je ne serai jamais débarrassée de mon ex. Gamergate sera toujours quelque chose de différent pour moi, parce que ç’a été fait contre moi. Ce n’est pas comme quelqu’un qui participe à une bataille d’opinions ou un inconnu qui essaie de se faire un nom ou faire valoir un point, c’est une personne que tu as fréquentée qui a décidé de créer quelque chose comme ça pour se venger. C’est une affaire tellement invraisemblable. Quand c’était en train d’arriver, mes amis m’ont entre autres dit : « Pourquoi ça t’arrive à toi? T’es une sorte de nerd asociale, ça n’a pas de sens. » Tout ça a été centré sur moi, comme si j’étais une personnalité politique marginale, alors que le dernier jeu que j’ai sorti, c’était Waiting for Gadot, un écran de chargement amusant. C’est si absurde, tout ça est tellement absurde.

Cette entrevue a été légèrement abrégée par souci de clarté et de concision.