Société

Intermittents, freelances et journalistes pigistes : les galères du confinement

travailleurs indépendants coronavirus

Ils sont régisseur, architecte, chargée de production événementielle, photographe ou encore journaliste pigiste et sont terriblement touchés par la crise sanitaire et économique que nous traversons. Depuis le début du confinement, leurs contrats se raréfient voire même s’annulent en raison de la mise à l’arrêt de l’activité du pays. Leur quotidien est ainsi bouleversé et leur statut ne leur permet pas beaucoup de marge de manœuvre. La plupart d’entre eux n’ont pas le droit au chômage partiel puisqu’ils ne sont pas salariés. Seuls les journalistes pigistes peuvent y prétendre mais c’est au bon vouloir des rédactions qui les embauchent.

Et les annonces du gouvernement sont loin de les rassurer : le 31 mars dernier, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a promis une aide financière de 1 500 euros versée aux travailleurs indépendants et auto-entrepreneurs touchés par une chute d’activité. Une aide, soumise à des contraintes et modalités strictes, dont ils ne pourront pas tous bénéficier. Des travailleurs souvent délaissés, parfois oubliés, pour lesquels les conséquences de la crise seront pourtant bien réelles. Comment ces travailleurs précaires vivent-ils cette période de no man’s land ? Témoignages de ceux pour qui le retour à la réalité sera synonyme de galères.

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Grégoire, 30 ans, régisseur, intermittent du spectacle

Grégoire est régisseur de production à Paris sur des tournages de films, des festivals ou bien des tournées. Il est souvent sollicité, surtout pendant la période estivale. Mais depuis quelques semaines, il n’est plus très serein. « Pour moi, la situation a changé avant le confinement. En février, j’ai des tournages qui ont été annulés parce qu’il y avait des produits qui venaient d’Asie. Des égéries ne voulaient plus venir parce qu’on ne pouvait plus avoir certains produits ou alors parce que c’était trop risqué ».

Son statut d’intermittent lui permet de bénéficier d’allocations-chômage s’il effectue bien les fameuses 507 heures travaillées sur une période de 12 mois. « Je devais bosser pour le festival Karnasouk en mars mais il a été reporté en juin. J’avais déjà des plans de prévu à cette période et je ne sais pas encore avec qui je vais bosser. C’est aussi ça le jeu de l’intermittence, explique-t-il. Si tu t’es engagé 3 ou 4 jours sur un truc en particulier et, en face, tu as un festival qui te fait travailler 2 semaines, tu vas choisir la sécurité. Surtout après une période d’un mois et demi sans bosser. Tu vas vouloir faire des heures. Et ça, c’est dans le meilleur des cas. En juin, on ne sait pas comment ça sera. On ne sait pas ce que les gens vont vouloir faire. Est-ce qu’on va vouloir ressortir faire la fête ou est-ce qu’on va vouloir attendre ? C’est beaucoup d’inconnus. »

Et la situation ne risque pas de s’améliorer : l’industrie musicale est particulièrement touchée par cette pause généralisée. « Ce qui m’inquiète, ce sont les décisions que les sociétés de production vont prendre, en termes d’annulation ou de report. Et les conséquences que ça va avoir. Je suis dans l’incertitude. Et puis, quand je vais retourner bosser, on aura tous pris deux mois de confinement dans la gueule. Les relations ne seront pas les mêmes, quelque chose aura changé. La psychose ne va pas retomber tout de suite. Ça va être de la préparation, du dialogue avec tes collègues, ton public, tes partenaires… Il va y avoir une autre relation, sans doute plus humaine : de l’entraide, de la débrouillardise. Et le matériel, il n’y en aura pas pour tout le monde. Il va falloir faire des choix, partager et être sympa avec son voisin qui lui aussi a besoin de matos pour faire son festival. »

Charlotte, 27 ans, chargée de projet événementiel, auto-entrepreneur

Charlotte est auto-entrepreneur depuis 2 ans dans l’événementiel. « Je travaillais pour une petite agence qui organisait un voyage de presse en Inde. C’est mon premier projet qui a été annulé à cause du Covid, fin février », confie-t-elle. « À ce moment-là, il n’y avait aucun cas en Europe. Le déclencheur, ça a été les premiers cas en Italie, notamment dans la maison de luxe pour laquelle je bossais. Cette maison a annulé tous ses événements. J’avais un autre projet pour le festival de Cannes et là, idem, la marque a décidé d’annuler sa présence là-bas, avant même que le festival annonce un report. »

« J’ai de l’argent de côté donc ça va aller. Mais c’est de l’argent que je mets justement de coté parce que je ne cotise pas pour la retraite »

Dédommagée à hauteur de 30%, elle s’estime chanceuse. « C’est un peu au bon vouloir des agences. C’est là où c’est compliqué : certaines jouent bien le jeu et quand elles arrivent à récupérer de l’argent de la part des annonceurs, elles te le redistribuent ou pas. On a un groupe de logisticiens sur Whatsapp, où on est plus de 250, on a fait un sondage : 40% des free interrogés n’ont pas été dédommagés. Et, pour la plupart d’entre eux, les projets sont annulés. »


« J’ai de l’argent de côté donc ça va aller. Mais c’est de l’argent que je mets justement de coté parce que je ne cotise pas pour la retraite. Je suis censée le garder pour plus tard. Et là, je suis obligée de taper dedans parce qu’il n’y aura rien avant septembre. Ça te fait te poser des questions : ce statut, quand tout va bien, c’est super, tu gagnes de l’argent et c’est hyper flexible. Sauf que dès qu’il y a un grain de sable dans le rouage, c’est hyper compliqué. Si t’es malade, enceinte ou s’il n’y a plus de taff, comme c’est le cas actuellement, tu as aucun filet de sécurité. »

La perspective des prochains mois ne la rassure pas non plus. « Pour le moment, j’ai rien. Tout a été gelé. Les appels d’offre devraient reprendre mais pas avant cet été. Les entreprises ont perdu tellement d’argent sur les événements annulés qu’elles restent hyper frileuses sur 2020. Soit c’est annulé, soit c’est reporté. C’est la merde. Il n’y a rien qui tombe. Et pour les 3 prochains mois, c’est sûr qu’il n’y aura rien, s’inquiète- t-elle. Sur l’après, je me demande vraiment si je vais pas me reconvertir. Du moins, je ne sais pas si je vais garder mon statut parce que t’as aucune aide. »

Isabelle, 55 ans, architecte, indépendante en EURL

Isabelle est architecte. Et mère de trois enfants. Elle a passé les trois premiers jours de confinement oscillant entre angoisse et sidération. « Le samedi soir (samedi 14 mars N.D.L.R), j’étais seule quand on a annoncé que les restaurants allaient fermer. Je me suis dit ‘ok, ça sent mauvais’. J’ai commencé à prendre conscience de ce qui allait se passer. Le lundi matin, je suis allée à mon bureau : il était déjà pratiquement vidé. Les gens prenaient leur ordinateur et partaient pour aller chez eux, avant même l’annonce de Macron. Lundi soir, quand il a annoncé qu’on allait être confiné, je me suis dit que j’allais rester travailler au bureau. J’ai un grand écran, pas d’ordinateur portable, faut que je prenne mes dossiers “papier”, j’ai pas de voiture… Et puis, dans la nuit de lundi à mardi, j’avais l’impression d’être comme ces gens qui conduisent la nuit, à toute vitesse, sur une petite route, en se disant “non, mais moi je peux le faire parce que je connais la route”, je me suis sentie un peu au dessus des lois », avoue-t-elle. « Ce sentiment où l’on se dit “non, mais moi je vais gérer mon truc comme je pense”. Et puis, je me suis finalement dit “non, tu ne sauves pas des vies, t’es pas au dessus des lois, tu fais comme tout le monde et tu rentres à la maison”. »

« Je passe aucun coup de téléphone parce que je n’arrive pas à parler aux gens, je ne sais pas quoi leur dire. Je fais des plans, j’ai la chance de pouvoir dessiner et quand je dessine, je ne pense qu’à mon dessin et je ne pense plus à la situation »

« Mardi, j’avais un rendez-vous pour commencer un nouveau projet. Ça a été annulé. Je travaille pour des particuliers et, dans ce genre de situation, ça ne vient plus du tout en priorité. Personne ne sait à quelle sauce on va être mangé. Le jeudi, je devais réceptionner un chantier et donc facturer derrière. Évidemment, ce chantier, je ne l’ai pas eu. Je n’ai pas été payée. Pour être claire, les premiers jours, j’ai pleuré toute la journée, sans m’arrêter. D’un coup, je me suis dit que j’allais me retrouver enfermée avec mes enfants et que je n’allais pas pouvoir leur payer à manger. Et cerise sur le gâteau, j’ai un nouveau chef d’agence bancaire qui a débarqué. Il m’a fait des mails me disant qu’il n’arrivait pas à me joindre, que j’étais à découvert… Il a rejeté certains de mes prélèvements, notamment pour mes impôts, et donc je vais avoir des pénalités. Je me suis sentie harcelée. »

Au quotidien, Isabelle fait déjà de gros sacrifices. « Je prends 2 semaines de vacances sur toute l’année, je travaille presque 6 jours sur 7. Je suis déjà sur le fil en permanence. Et ça… Je ne sais pas du tout si je vais me relever. Je suis typiquement dans la catégorie de ces personnes qui ne touchent jamais d’aide. En ce moment, il me faut 3 jours de préparation pour aller voir mon compte en banque, tellement je suis angoissée. La nuit, je ne dors pas. La journée, j’essaie de travailler mais j’ai du mal à faire des mails à mes clients. Je passe aucun coup de téléphone parce que je n’arrive pas à parler aux gens, je ne sais pas quoi leur dire. Je fais des plans, j’ai la chance de pouvoir dessiner et quand je dessine, je ne pense qu’à mon dessin et je ne pense plus à la situation. »

Claire, 24 ans, journaliste scientifique, pigiste

Claire habite à Rennes. Elle est pigiste en presse scientifique et jeunesse depuis 2 ans. Pour ces journalistes, payés à l’article ou à la journée, les commandes provenant des rédactions se font plus rares. « Au niveau des collaborations, j’en suis réduite à me dire que c’est un bon moment pour tenter d’approcher de nouveaux médias parce que, si ça se trouve, j’ai des collègues qui sont coincés chez eux avec des enfants et qui ne peuvent pas travailler. Ça se trouve les rédactions ont besoin de journalistes pour combler. J’avoue que ça me met mal à l’aise de penser comme ça », avoue-t-elle. « Au final, on se retrouve à se dire “bah j’espère que les collègues ont un empêchement”, c’est quand même pas top. J’ai toujours cette impression, un peu étrange, de prendre le travail de quelqu’un. Et pendant le confinement, c’est encore plus le cas. On en est réduit à espérer que les autres ne puissent pas faire leur travail pour que, nous, on en ait encore plus. C’est insensé quand même. »

Et quid du chômage partiel ? « Certaines rédactions ont dit d’office qu’il n’y en aurait pas pour les pigistes. Pour leurs journalistes en interne, oui, mais pas pour les pigistes. C’est bien gentil mais quand on a besoin de nous, on est là, alors pourquoi ils nous considèrent pas ? J’ai une collègue pigiste qui me racontait qu’elle avait eu un message de son directeur, lui disant “on a besoin de vous, vous êtes nos piliers pour faire paraître le journal”… Sauf que c’est hypocrite. Les pigistes ne sont pas considérés en temps normal et là, parce qu’ils ont besoin d’eux, ce sont les personnes les plus importantes… Exactement comme les soignants. »

Camille, 28 ans, photographe, micro-entrepreneur

Camille est photographe de mariages. Elle est à son compte depuis septembre 2019. Ses premiers pas en entrepreneuriat sont loin d’être évidents. « Ça commençait plutôt bien pour 2020. J’avais 4 mariages de signés, plus des séances photos à côté. Et, finalement, je me retrouve dans l’incertitude pour cette saison. J’ai déjà un premier mariage qui a été reporté et une séance EVJF qui a été annulée. Mon prochain mariage, au mois de mai, je ne sais pas encore si ça sera possible ou pas. J’en ai aussi un autre en juillet, à Londres, mais je ne sais pas, par rapport à l’ouverture des frontières, si je pourrais y aller. En gros, j’ai 3 potentiels mariages qui peuvent être annulés. Ce qui fait que mes revenus ne sont pas du tout assurés. »

« Le truc, c’est que je suis propriétaire de mon appart, j’ai pas le choix que de rembourser mon prêt. Et la banque t’aide pas du tout. J’ai demandé à suspendre mes mensualités pour les reporter plus tard et ils ont refusé »

Camille jongle entre emplois temporaires et shooting photos. « Je me retrouve à faire de l’intérim en ce moment parce que je ne sais pas comment je vais payer mon loyer le mois prochain, c’est un peu tendu », explique-t-elle. « Avant le début du confinement, j’avais une mission en administratif jusqu’au 3 avril. Ils ont arrêté mon contrat parce qu’il y avait trop de monde dans les bureaux et j’étais pas autorisée à faire du télétravail. Ils m’ont mis en chômage partiel, heureusement. Financièrement, c’est hyper compliqué. Ma mère m’a payé les courses, la semaine dernière, parce que je ne peux pas. Et la paie tombe qu’au milieu du mois en intérim. »

« Le truc, c’est que je suis propriétaire de mon appart, j’ai pas le choix que de rembourser mon prêt. Et la banque t’aide pas du tout. J’ai demandé à suspendre mes mensualités pour les reporter plus tard et ils ont refusé. Pareil, ils m’ont pris des intérêts sur mon découvert. Ils s’en fichent. Quand on m’a annoncé que je ne pouvais pas rester travailler, j’ai eu une crise d’angoisse, je me suis mise à pleurer. Je me suis dit que j’allais devoir vendre mon appart, que tout s’écroulait… Puis, je me suis reprise, je me suis dit “bon, on est tous dans la même situation, des mesures vont être prises”. »

« Cette semaine, j’ai repris une mission d’intérim, un poste de conditionnement horrible, que j’ai arrêté dans la foulée parce que je me suis bloquée le dos. J’ai une tendinite. C’était pas du tout adapté à mon physique. J’ai bossé parce que je me suis dit que je n’avais pas trop le choix, il faut que j’ai de l’argent qui rentre. Et là, je me retrouve de nouveau 14 jours confinée parce que j’ai côtoyé du monde. D’ailleurs, il y avait des cas de coronavirus dans l’entreprise. En fait, c’est hyper bizarre, tu sais pas si tu dois aller travailler parce que t’as peur de choper le virus. Et, en même temps, t’as pas trop le choix parce que tu sais pas si tu vas pouvoir payer ton loyer. Moi, j’ai choisi de rester en bonne santé, ne pas me blesser, pas choper le virus et galérer un peu puis reprendre un travail plus tard, quand ça sera possible. »

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