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La Russie menace de faire s'écraser l'ISS sur Terre - et bluffe

Missions reportées et futur incertain pour la Station spatiale internationale. L'invasion de l'Ukraine a aussi des conséquences dans l'espace
ISS Russie
L'ISS au-dessus du Nil en novembre 2021. Image : NASA Johnson

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été une onde choc pour pas mal de gens à travers le monde. Elle a été condamnée par la quasi-totalité de la scène internationale mais ses répercussions s’étendent même au-delà de la planète, jusque dans l’espace

Dans une série de tweets provocateurs publiée le 24 février dernier, Dmitri Rogozine, directeur général de l’agence en charge du programme spatial civil russe Roscosmos, menaçait de faire s’écraser la Station spatiale internationale sur les États-Unis, l’Europe, la Chine ou l’Inde.

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« La correction de l’orbite de la station, qui lui permet d’éviter les dangereux déchets spatiaux que vos talentueux businessmen ont laissés autour de la terre, est uniquement rendue possible par les moteurs du vaisseau cargo russe Progress », a tweeté Rogozine en réponse aux sanctions imposées par les États-Unis à la Russie.

« Si vous entravez cette coopération, qui vous sauvera d’un désorbitage ou d’une perte de contrôle de l’ISS qui pourrait alors tomber sur l’Europe ou les États-Unis ? », a-t-il poursuivi. « Autre option, qu’une structure de 500 tonnes s’écrase en Inde ou en Chine. Est-ce que vous voulez menacer ces deux nations avec ce genre d’épilogue ? »

Le chantage de Rogozine vient ajouter un zeste d’angoisse sur une ambiance déjà bien plombée par l’invasion russe et ses conséquences dramatiques. Au milieu de tout ça, une bonne nouvelle : les menaces brandies n’auraient pas les effets escomptés par le directeur de Roscosmos. S’il est vrai que la Russie contrôle le système de propulsion de l’ISS, abandonner sa responsabilité de maintenir la station en orbite ne représenterait pas immédiatement un danger pour l’équipage ou les Terriens. Comme le souligne The Verge, un désorbitage prendrait des années, laissant assez de temps aux gens compétents pour trouver une solution.

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De toute façon, il y a peu de chance que la Russie prenne une décision aussi drastique alors que l’ISS abrite deux de ses ressortissants, Anton Chkaplerov et Piotr Doubrov, ainsi que plusieurs décennies d’investissement scientifique russe. 

Rogozine est assez friand de ce genre de déclarations incendiaires, notamment quand il s’agit de réagir aux sanctions qui s’abattent sur la mère patrie. Une de ses saillies les plus spectaculaires avait eu lieu en 2014, peu après l’annexion de la Crimée lorsqu’il avait menacé d’arrêter les vols russes vers la station suggérant que les astronautes américains utilisent des trampolines à la place.

À cette époque, la Russie était la seule nation capable de transporter des équipages vers l’ISS, mais les menaces de Rogozine n’ont jamais été mises à exécution à l’époque, aucun astronaute n’ayant jamais été empêché de rejoindre l’ISS. Depuis, le Crew Dragon de SpaceX, un appareil basé aux États-Unis, a commencé à desservir la station en personnel vers la station dès le début de 2019, mettant fin au monopole russe des convois.

La NASA a répondu aux tweets de Rogozine en rappelant que tous les partenaires internationaux impliqués dans le bon fonctionnement de la station, dont Roscosmos, travaillaient pour maintenir « la sécurité des opérations à bord de l’ISS ».

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« Les nouvelles mesures de contrôle des exportations continueront de permettre les opérations spatiales civiles américano-russes », a déclaré l’agence dans un communiqué. « Aucun changement n'est prévu concernant le soutien aux opérations en cours, qu’elles soient en orbite ou au sol. »

Même s’il n’y a aucune raison de craindre la chute soudaine d’une station géante dans les jours qui viennent, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a des répercussions bien réelles sur le secteur spatial. La Russie a par exemple répondu aux sanctions de l’Europe en suspendant le lancement de ses véhicules Soyouz et en retirant du personnel du centre de Kourou en Guyane française, gérée par l’Agence spatiale européenne (ASE).

« En ce qui concerne la campagne de lancement de Soyouz depuis le port spatial européen de Kourou, nous prenons note de la décision de Roscosmos de retirer ses effectifs de la base », souligne l'ASE dans le même communiqué publié à l'issue d'une réunion de crise tenue lundi 28 février. « Nous évaluerons en conséquence le service de lancement approprié en fonction notamment de ceux actuellement en service et des futurs Vega C et Ariane 6. »

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« Nous déplorons les pertes humaines et les conséquences tragiques de la guerre en Ukraine », poursuit le communiqué. « Nous donnons la priorité absolue aux décisions prises, non seulement pour le bien de notre personnel impliqué dans les programmes, mais aussi dans le respect de nos valeurs européennes, qui ont toujours fondamentalement façonné notre approche de la coopération internationale. »

L’ASE s’interroge néanmoins sur la pérennité de sa mission ExoMars, projet conjoint avec la Russie, qui devait envoyer un rover sur la planète rouge à la recherche de signes de vie. Le lancement d’ExoMars, prévu en 2020, a déjà été décalé à cause du Covid et l’agence estime que le reprogrammer en 2022 est hautement « improbable » compte tenu de la géopolitique actuelle.

Les tensions entre la Russie et ses partenaires de la station internationale ne faisaient que bouillir depuis l'annexion de la Crimée en 2014. L'invasion à grande échelle de l'Ukraine risque de mettre à rude épreuve ces relations – au risque de les rompre de manière définitive. La communauté scientifique a toujours vanté la coopération internationale avec la Russie menée dans l'espace, la décrivant comme une source d'inspiration et de soft power. À partir d’aujourd’hui, on peut dire sans se tromper que cette époque est révolue.

Quant à l’ISS, si tout se déroule comme prévu, elle ira faire trempette début 2031 dans les eaux de l'océan Pacifique et rejoindra, après plusieurs décennies de bons et loyaux services, le cimetière des déchets spatiaux situé au point Nemo, à 2 700 kilomètres de toutes les côtes maritimes. 

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