Société

Être le premier surfeur d’un pays qui n’est pas fait pour ça

Frank Vanleenhove Keith Haring

Dans notre série « La nouvelle vague », on part à la rencontre de gens qui font le surf en Belgique et on s’essaie à la pratique – soleil ou pas.

Pour les purs produits de la génération Y, dont je fais partie, on a tou·tes eu notre période fan de glisse – que ce soit skate, surf, rollers ou encore snowboard. Bien sûr, je dis bien fan et pas forcément expert·es en la matière. Personnellement, je collectionnais les t-shirts Element et Quicksilver, mes sneakers Billabong puaient l’adolescent rebelle (et bien plus encore) et j’ai dû regarder un bon nombre de fois Lords of Dogtown sans forcément savoir ni m’envoyer des tricks de dingue sur une planche de skate ni surfer de vagues colossales les cheveux au vent. Même sans talent, j’adorais cette communauté, cette vibe de gars et de meufs cools, sexy, plein·es d’insouciance et de liberté. Mais ça m’empêchait pas d’avoir toujours, dans un coin de ma tête, cette éternelle question : « Qui a lancé cette mode ? »

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Selon mon incroyable investigation, le ski proviendrait d’une pratique finlandaise-lapone dont on retrouve des traces jusqu’à -9000 av. J.-C. et qui s’est démocratisé dans les années 1960 du côté des pays baltes. Le skateboard s’est quant à lui popularisé dans les années 1960 du côté des États-Unis après s’être développé au début des années 1910 en revisitant le roller, une invention belge (et oui !) – dont le fondateur n’est ni plus ni moins que Jean-Joseph Merlin, également célèbre pour avoir créé les automates. En ce qui concerne le surf, il tire ses origines en Polynésie, d’avant l’ère moderne. Des historien·nes et anthropologues retrouvent des traces de cette discipline traditionnelle qui remontent à la fin du 18ème siècle. Si ça skate dans tous les quartiers de Belgique, le ski et le surf sont des choses qui nous restent bien étrangères.

Même s’il est possible de s’adonner à du ski en indoor en Belgique, ce qui m’a le plus surpris c’est l’existence d’une fédération de surf. Qui dit plat-pays et mer du Nord, ne s’attend pas forcément à voir débarquer une armada de surfeur·ses à Knokke ou à La Panne. Et bien si, et tout ça grâce au travail passionné d’un seul gars, Frank Vanleenhove (59 ans). Le mec est né à Knokke-Heist et, en peu de temps, est passé du statut de simple amateur de barbote dans une station balnéaire de 30 000 habitant·es à légende vivante des sports de glisse. À 13 ans, Frank domptait déjà les éléments sur son lac, derrière la maison de ses parents, à l’aide d’une planche et d’une voile. Par passion, il est devenu l’un des premiers wind surfers en Belgique et a participé au championnat de Belgique en 1980 puis aux championnats d’Europe en 1982 pour se frotter ensuite à la Coupe du monde. Mais ce n’était pas assez pour ce type, qui sentait qu’il y avait mieux à faire avec une planche et de l’eau salée.

Pour VICE, j’ai rencontré Frank Vanleenhove, le mec qui a fait venir le surf en Belgique.

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VICE : Salut Frank, c’est assez rare de rencontrer quelqu’un qui a lancé une discipline, qui plus est quelque chose d’aussi populaire que le surf, t’as découvert ça comment ?
Frank Vanleenhove :
J’ai commencé par faire de la planche à voile et un peu de windsurf sur la plage. J’étais vraiment passionné du coup je faisais des compétitions, j’allais explorer les meilleurs spots. J’ai commencé à voyager dans le monde entier avec mon matériel et lors d’un de mes voyages, j’ai fait escale à Porto Rico. Là-bas, ce qui est un peu délicat, c’est que le vent ne se lève que l’après-midi. Un jour, j’ai rencontré un Américain qui m’a demandé : « Mais du coup, que faites-vous le matin ? » J’ai répondu : « J’attends que le vent arrive je suppose. » Et là, naturellement, il m’a dit : « Demain matin, je vais aller faire du surf, tu peux venir avec moi si tu veux, je t’apprendrai à surfer, comme ça tu feras quelque chose pour tuer le temps. » C’était le début de ma carrière de surfeur, en 1982. Quand je suis rentré à la maison, j’ai commencé à étudier régulièrement les vagues en Belgique. On était loin d’imaginer que quiconque puisse surfer un jour ici. Pour m’entraîner, je suis allé à Biarritz et j’ai acheté une petite planche. On avait un bateau qui nous tractait pour pouvoir prendre les bonnes vagues. Au bout d’un certain temps, le courant nous conduisait vers des petites vagues le long de la plage, qu’on surfait sur quelques mètres.

Et du coup, tu t’es dit que c’était faisable ici aussi, sur des petites vagues ?
En rentrant en Belgique, dès qu’il y avait de la tempête je me jetais à l’eau pour surfer. Quand t’as un sale temps, c’est plus facile de tomber sur des grosses vagues. En 1982, j’ai lancé Surfers Paradise. De base, c’était un endroit pour les véliplanchistes (windsurf, NDLR), mais j’ai rapidement réalisé que le surf était beaucoup trop passionnant pour passer à côté de ça. Les surfeur·ses sont bien plus passionné·es que les gens qui pratiquent le windsurf. Alors j’ai commencé à créer des académies de surf et des surf camps l’été. Par la suite, j’ai organisé les premiers championnats de Belgique. On a parcouru un long chemin mais aujourd’hui, le surf est reconnu comme un sport à part entière en Belgique.

Dans les années 80, y’avait déjà des illuminé·es en Belgique ?
Honnêtement, je pense être le tout premier. Après moi, ça s’est démocratisé. Comme on avait monté un club de surf, j’ai acheté plusieurs planches, je les ai louées et j’ai commencé à donner des cours. Par cette action, on peut dire que ça a participé au lancement officiel du surf en Belgique. À cette époque, je travaillais pour O’Neill Belgique, j’étais vraiment dans le milieu. J’ai invité 10 surfeur·ses de Californie à donner des cours à Surfers Paradise. En face, j’invitais une quinzaine de gosses par semaine à venir prendre des leçons. C’était le début d’une toute nouvelle génération de surfeur·ses belges. Si tu fais le calcul, pendant 10 ans, 15 enfants par semaine, c’est beaucoup. Au cours de cette décennie-là, on a appris à 3 500 enfants à surfer et tout ça pour la promotion de ce sport. Du coup, en collaboration avec la fédération belge de surf, j’ai créé un guide sur la façon d’enseigner la discipline. ? N’importe qui pouvait devenir instructeur·ice en Belgique et à son tour développer tout ça.

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On en est où niveau surf en Belgique aujourd’hui ? Il y a des champion·nes, de nombreuses écoles à Ostende, Knokke, Blankenberg… Comment tu qualifierais le mouvement de nos jours ?
Les surfeur·ses belges sont les plus courageux·ses parce que je pense qu’on a peut-être le pire pays du monde pour le surf. Une côte plate et droite, 60° max d’inclinaison, pas d’îles, rien pour créer des vagues, l’Angleterre prend toute la houle de l’Atlantique, la houle du nord ne vient pas jusqu’ici, elle s’arrête plus haut, aux Pays-Bas. Les surfeur·ses, ici, méritent vraiment d’avoir une reconnaissance particulière. Comme tu le dis, y’a du surf partout sur la côte belge, à Knokke-Heist, à Ostende, à Blankenberg, à Zeebrugge, à Bredene. T’as des magasins où tu peux acheter tout ce dont t’as besoin, de l’équipement, des planches… Il y a 20 ans, t’avais pas toute cette offre. Maintenant il y a toute une communauté, des compétitions ; notre équipe de surf à Surfers Paradise s’appelle les Young Guys et, pour te faire une idée, on regroupe plus de 60 membres dans l’équipe. L’un de mes principaux objectifs, c’est de voyager dans le monde entier et de visiter tous les spots les plus célèbres. Ces dernières années, le sport a explosé. Rien qu’à Ostende, la plus grande ville de la côte, les jours où il y a des vagues, tu peux avoir 200 surfeur·ses dans l’eau qui attendent la vague, c’est incroyable.

À force de voyager pour voir ce qui se fait de mieux ailleurs, tu dirais que c’est quoi les meilleurs spots du monde ?
J’aime découvrir, j’essaye de ne jamais retourner au même endroit. Mais je dirais que depuis 30 ans que je surfe, il y a un endroit où je retourne toujours, c’est les îles Mentawai. C’est un groupe d’îles au sud de Sumatra, en Indonésie. La seule façon de s’y rendre, quand j’ai commencé, c’était de prendre l’avion, puis un bateau qui t’emmenait sur l’île. La seule chose à faire c’est dormir, manger et surfer. La qualité des vagues est fabuleuse, l’eau est à 30°, l’air à 35° et il n’y a personne. Chaque année, les deux premières semaines d’octobre, je prends une équipe de 10 personnes, on réserve un bateau et on surfe pendant 12 jours. Quand on revient, on est tellement fatigué·es qu’on peut plus bouger nos bras. Sinon, ce que j’apprécie, c’est la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Californie. Là-bas, on sent que ça vit pour le surf. Il y a une ambiance généralisée, les gens vivent au rythme de la mer. À 6 heures du matin, avant d’aller au boulot (qui commence généralement à 9 heures), les gens vont surfer et je peux te dire qu’il y a beaucoup de monde dans l’eau. Pareil après le travail, à 17 heures, ils vont tous surfer avant de rentrer chez eux. Et la vue avec le coucher du soleil est incroyable.

Et les meilleurs spots en Belgique ?
Le fait est qu’en Belgique, il n’y a que de la houle de vent, des vagues causées par le vent. Les jours de grosse tempête, si tu veux avoir les meilleures vagues, tu dois être là à temps. Quand le vent tombe et que la marée est basse, c’est difficile. Il y a des spots en Belgique comme Ostende ou Blankenberge, près d’un port, qui sont vraiment intéressants. Si tu surfes à côté d’un port, t’es un peu à l’abri du vent et les vagues peuvent être meilleures. La raison pour laquelle j’ai créé Surfers Paradise c’est qu’en face de notre local, y’a une petite jetée et un banc de sable au fond de l’eau. Quand j’étais jeune, je me souviens, c’était l’endroit où les vagues étaient vraiment grosses, elles venaient de très loin, plus loin qu’ailleurs, c’est pourquoi j’ai choisi ce spot pour commencer. Je pense qu’en général, s’il y a une tempête, Ostende et Blankenberge restent les meilleurs coins parce que t’auras de très bonnes vagues et tu seras protégé du vent.

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Frank et Keith Haring

Reste que ç’a l’air assez compliqué dit comme ça…
Tout d’abord, si ça peut te rassurer, la côte est identique où que l’on aille. Il n’y a pas de dangers, il n’y a pas de coraux au fond, c’est juste du sable ; c’est un endroit plutôt sûr avec des vagues homogènes plus ou moins partout. C’est donc facile de surfer et d’apprendre. Je dis souvent que si l’on apprend à surfer en Belgique, on peut surfer partout dans le monde. Ça semble un peu simpliste mais c’est vrai. Quand on s’aventure dans des endroits sans trop de vent ni de grosses vagues, c’est plus facile de pagayer et de nager, de s’asseoir sur sa planche et de décoller.

En Belgique, les vagues peuvent se casser à tout moment, il faut avoir de la chance pour être sur le bon spot. Si tu veux apprendre à surfer en Belgique, il faut aller dans un club de surf qui a un·e bon·ne instructeur·ice, une bonne combinaison de plongée – parce que t’as presque TOUJOURS besoin d’une combinaison de plongée – et une bonne planche. Le surf, ça s’apprend pas sur de petites planches mais sur celles qui sont adaptées à la taille. Si t’apprends à surfer sur une petite planche, ça sera beaucoup plus lent et fatiguant que sur un longboard qui est adapté à ton corps et aux vagues de Belgique.

Par mail, tu me disais que t’étais en train de construire la première piscine à vagues de Belgique. C’est quoi ce projet ?
Ça fait maintenant 12 ans que je suis l’évolution des piscines à vagues dans le monde. J’ai visité toutes les piscines à vagues qui existent déjà sur cette planète. J’ai visité les prototypes qui sont en train d’être construits. Il y a déjà 7-8 piscines à vagues qui sont exploitées commercialement. Il y en a 200 à 300 autres qui sont en cours de construction en ce moment.

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Je crois que j’ai eu la chance de voir quelque chose de similaire à Munich où les gens surfent une vague artificielle sans fin, c’est plus ou moins de ça que tu parles ?
Pas du tout. À Munich, c’est une standing wave. Ici, je te parle d’un immense lac avec une machine en dessous qui crée de vraies vagues. Tu peux ramener de vraies planches de surf et pagayer comme en mer. Si t’arrives à prendre la vague tu peux surfer plus ou moins sur 100-200 mètres. Actuellement, je travaille avec des ingénieur·es et des entreprises belges, ainsi qu’avec les universités de Gand et de Louvain pour développer ça. En avril, on va remplir notre prototype d’eau et en mai, on commencera à produire les premières vagues. Mais c’est une piscine d’essai. Cette piscine ne sera pas encore exploitée car c’est juste un équipement-test. Grâce à la ville de Knokke-Heist, on peut l’exploiter comme ça pendant 2 ans. L’idée finale, c’est de construire une piscine à vagues qui sera accessible à Knokke-Heist pour tou·tes les surfeur·ses.

Ça c’est du progrès technique… Et à part ça, t’as l’impression qu’il y a des évolutions dans le milieu du surf, que les choses changent avec le temps ?
Le changement le plus visible est le même que partout ailleurs : on est trop dans ce monde. Il y a trop de gens qui surfent, beaucoup sur les mêmes spots. Le surf est devenu de plus en plus populaire, tout le monde veut en faire. C’est un peu le contre-coup de sa démocratisation. J’ai voyagé dans des régions du monde où je devais prendre l’avion, faire un voyage de 30 heures au total, en Papouasie-Nouvelle-Guinée par exemple. Tu voyages jour et nuit pour arriver à destination, tu penses que tu seras seul au monde, et non. Il y a déjà quelqu’un qui surfe sur les vagues. D’un autre côté, en tant que parent, je pense que si t’arrives à apprendre le surf à tes enfants, iels seront heureux·ses et conscient·es.

Quand on se met au surf, on apprend tout un tas de codes : on apprend à respecter l’océan, à respecter la plage. Pour faire du surf, il faut être fort·e mentalement, il faut avoir du caractère, parce qu’au début, tu vas tomber 100 fois mais il ne faut pas abandonner. Si tu baisses les bras trop vite, le surf n’est pas fait pour toi. Le plus important c’est d’être en forme, de pouvoir pagayer dans les vagues et d’arriver sur le line-up. Si tu manges pas sainement et prends pas soin de ton corps, tu ne seras pas en mesure de supporter tout ça, crois-moi. Si t’apprends à tes enfants qu’il est important de faire des étirements, de garder un bon équilibre avec son corps et de respecter son environnement, iels seront de très bon·nes surfeur·ses et de bons humains.

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