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espionnage

Un espion russe a été empoisonné dans une petite ville britannique

Lorsque Sergei Skripal et sa fille ont été empoisonnés à Salisbury plus tôt cette année, la ville en a subi les conséquences pendant des mois.
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Sergei Skripal en 2006. Photo : ITAR-TASS News Agency/Alamy Stock Photo

Avant, les gens venaient à Salisbury pour se tordre le cou en regardant la flèche d’église la plus haute du Royaume-Uni. Il y avait aussi ceux qui venaient se promener autour d'Arundels, l'ancienne maison de Ted Heath, l'homme qui a négocié l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté européenne. La maison de Heath est actuellement fermée pour travaux de rénovation, mais une poignée de touristes prennent toujours des photos à distance, apparemment insensibles aux allégations d'abus sataniques qui minent l'héritage de l'ancien Premier ministre britannique depuis sa mort en 2005.

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Aujourd’hui, le tourisme à Salisbury souffre des empoisonnements ciblés de Sergei Skripal, 66 ans, ancien officier de l'armée russe et agent double pour les services de renseignement britanniques, et de sa fille Yulia, 33 ans, dans un restaurant italien le 4 mars de cette année. Plus tôt ce mois-ci, le conseil du comté de Wiltshire a annoncé que le tourisme de la ville a chuté de 12 % par rapport aux autres années. De nouvelles campagnes de publicité sont prévues pour début 2019 afin de redorer l’image de la ville. Elles seront financées par le gouvernement britannique à hauteur de 3,7 millions de dollars.

Trois mois après la tentative d’assassinat des Skripal, le 30 juin, deux ressortissants britanniques ont également été empoisonnés par inadvertance. Charlie Rowley, 45 ans, a survécu, tandis que Dawn Sturgess, 44 ans, est décédé une semaine plus tard. Rowley avait trouvé un flacon de parfum dans un conteneur de collecte de dons, qui aurait été jeté là après l'attaque des Skripal. Il l'a donné à sa compagne, qui en a pulvérisé sur son poignet. Le flacon contenait l'agent neurotoxique de Novichok appelé A-234.

L’agent Novichok, développé en URSS entre 1971 et 1993, agit comme inhibiteur de l’enzyme acétylcholinestérase, qui catalyse le neurotransmetteur acétylcholine. Les personnes infectées voient leurs muscles squelettiques se contracter avant de subir un arrêt respiratoire et cardiaque. La plupart des victimes meurent par asphyxie.

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Plus tôt ce mois-ci, Rowley – que les médias ont décrit à tort comme un sans-abri à la suite de cet incident – a confié au Sunday Mirror : « J'ai du mal à voir et à marcher correctement. Je me sens coupable de la mort de Dawn et j’ai l’impression que tout le monde m’en veut. J’ai des pensées suicidaires. J'aurais dû mourir à la place de Dawn. On ne m’a fourni aucun soutien. Le système est défectueux. J'ai besoin d’appui et de conseil. »

La petite ville du Wiltshire était une hôte improbable pour cet événement qui a pris une ampleur nationale. Somnolente, pittoresque, avec une population d’un peu plus de 40 000 habitants, elle est depuis longtemps une étape pour ceux qui se rendent à Stonehenge, à seulement 15 km du centre-ville. Ces jours-ci, les touristes s’y arrêtent surtout pour explorer les sites où les empoisonnements ont eu lieu. Il faut dire que la conjoncture est bonne pour le « tourisme noir » et Salisbury serait le matériau idéal pour la deuxième saison de la série Netflix « Dark Toursit » du journaliste David Farrier. Dans l'enceinte de la cathédrale, les guides touristiques ont appris de nouvelles lignes pour nourrir les visiteurs : une mauvaise blague sur le fait de ne pas ramasser les déchets par terre ; une pique au président russe Vladimir Poutine. La cathédrale est apparemment bien connue en Russie. En septembre, deux hommes, Alexander Petrov et Ruslan Boshirov, sont passés sur la chaîne de télévision publique RT, financée par l'État russe (la police britannique pense que ces noms sont des pseudonymes et que ces deux hommes sont en fait des agents des services de renseignement russes), afin d’expliquer pourquoi leurs portraits avaient été capturés sous vidéosurveillance dans la ville et pourquoi ils avaient été vus près de la maison de Sergei Skripal. C'était une interview étrange. À un moment donné, Margarita Simonyan, rédactrice en chef de RT, a commencé à faire pression pour que le duo confirme sa sexualité.

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« Nous sommes venus voir la cathédrale, ont-ils déclaré. Elle n’est pas seulement célèbre en Europe, mais dans le monde entier ». Le lendemain, la cathédrale de Salisbury a tweeté : « La flèche de la cathédrale de Salisbury est la plus haute de Grande-Bretagne ! Il n'est pas étonnant qu'elle puisse être aperçue à des kilomètres à la ronde. Elle joue un rôle très important dans le paysage environnant. » Londres s’est montrée moins subtile dans sa réponse : le gouvernement britannique a expulsé 23 diplomates russes et gelé les contacts bilatéraux à la suite de l’incident, jugeant Moscou coupable des empoisonnements.

Sergei et Yulia ont tous deux quitté l'hôpital de Salisbury, après avoir été dans un état critique pendant plusieurs semaines et après deux mois de traitement. Leur emplacement actuel est inconnu. Les experts estiment qu’ils ont probablement été transférés dans l’un des pays alliés des « Five Eyes » : les États-Unis, le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. En Russie, la nièce de Sergei, Viktoria, 44 ans, a exprimé sa conviction selon laquelle le père et la fille étaient retenus contre leur gré. Le mois dernier, le général colonel Igor Korobov, l'homme qui aurait orchestré l'attaque de Salisbury, est décédé des suites d'une maladie non précisée à l'âge de 63 ans.

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Alexander Petrov et Ruslan Boshirov, soupçonnés d'être à l'origine de la tentative d'assassinat de Sergei Skripal.

Salisbury fait de son mieux pour revenir à la normale. Les équipes de télévision sont parties. De même que les journalistes qui se sont emparés de la ville à la suite des incidents. « C'est pour le mieux, dit un employé du secteur, mais le commerce supplémentaire me manque. » Un client intervient : « Nous avons tous besoin de retrouver une certaine normalité à présent. Ça a été une période des plus étranges. » En novembre, Zizzi, le restaurant italien qui avait fermé à la suite de l'attaque des Skripal, a rouvert ses portes.

Les seuls vrais rappels des faits sont les colombes. En mai, l'installation « Les Colombes » de l'artiste Michael Pendry a été inaugurée dans la cathédrale. Celle-ci comportait 3 000 colombes de papier attachées le long de la nef du bâtiment, afin de marquer la paix après l'attaque. Un hashtag a été créé, #salisburycityofdoves. Les enfants ont été invités à les assembler à l'école. Les groupes communautaires les ont rejoints. Certaines peuvent encore être trouvées sur les rebords de fenêtre. Dans les arbres. Dans les vitrines. Bien que la ville de Salisbury ait brièvement servi d’échiquier pour un jeu d’espionnage international, il est fort peu probable qu’elle redevienne le théâtre d’un tel drame.

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