Encore aujourd’hui, alors que nous sommes capables d’envoyer des robots sur Mars et de trouver de la poussière d’étoile aux confins de notre ADN, certaines questions de santé restent étrangement peu recherchées, voire ignorées. C’est le cas notamment d’une affliction qui touche exclusivement le deuxième sexe. Le trouble dysphorique prémenstruel (ou TDPM) se déclenche chez les personnes dotées d’ovaires et subissant la fluctuation des hormones féminines, tous les mois, et avec la ponctualité d’une horloge suisse. Chez les personnes touchées, le trouble se déclenche durant la deuxième phase du cycle, la phase dite « lutéale », et dure selon les cas tout le temps de la phase du cycle ou juste quelques jours avant les règles – ce qui signifie que l’on peut subir le TDPM jusqu’à environ une dizaine de jours par mois.
Je n’avais jamais entendu parler du TDPM avant de mener moi-même quelques recherches, cherchant à comprendre certaines fluctuations d’humeur récurrentes, ainsi que des hausses et baisses d’énergie à intervalle régulier. Au cours des derniers mois, quelques jours à la fin de chaque cycle menstruel, je me retrouvais dans un état de flottaison particulier, qui disparaissait dès l’arrivée de mes règles. Je remarquais aussi que les disputes avec mon copain, ainsi qu’une vision plutôt noire des choses, précédaient mes menstrues tous les mois, avant de disparaître comme par magie. Après quelques recherches, je suis tombée sur le terme « Premenstrual Dysphoric Disorder », bien plus répandu et documenté que sa version française.
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On estime qu’entre 3% et 8% de la population féminine serait touchée. Si le terme « trouble dysphorique prémenstruel » (TDPM) est encore peu répandu en France, et souvent caché sous le terme général « syndrome prémenstruel » (SPM), il est cependant de plus en plus abordé aux États-Unis, où il bénéficie d’une réelle différenciation et d’un effort de recherche. Le TDPM se différencie en effet du « simple » SPM de par l’intensité de ses symptômes psychologiques et les conséquences de ceux-ci sur la vie des femmes touchées.
Il existe en effet une différence entre le SPM et le TDPM. « Dans le TDPM, les symptômes psychologiques sont au premier plan : instabilité émotionnelle, irritabilité, humeur dépressive, difficultés de concentration, anxiété, conflits, fatigabilité, modifications marquées de l’appétit, sentiment de perte de contrôle, etc… Une personne atteinte de trouble dysphorique prémenstruel sentira un changement marqué et une intensité dans les symptômes. Il y a une différence entre être “un peu tendue” et avoir des modifications d’une grande intensité qui impactent les relations familiales, la performance professionnelle et le fonctionnement psychologique, tous les mois. Pour le diagnostic, on prend également en compte la fréquence des symptômes. Dans le cas d’un TDPM, ils vont être très réguliers, au moins un cycle sur deux au moment de la phase lutéale du cycle, » me dit Hélène Marais Thomas, psychologue clinicienne, qui travaille actuellement sur une thèse en psychologie clinique vouée à améliorer la prise en charge des patientes touchées par le TDPM à l’université Paris-Nanterre.
« Mes règles arrivaient presque sans prévenir, et repartaient de la même façon. Puis à un moment de ma vie, j’ai commencé à ressentir un profond désespoir, une anxiété intense à quelques jours de mes règles que je n’ai d’abord pas su expliquer » – Noémie
En effet, si le SPM regroupe des symptômes physiques et une certaine sensibilité émotionnelle, le TDPM est marqué quant à lui par des symptômes de nature psychiatrique. Ainsi, selon le DSM V, le manuel de référence international en matière de trouble psychiatrique, le TDPM s’impose comme la forme aggravée du SPM avec principalement les symptômes suivants : changements d’humeur marqués, dépression, anxiété, problèmes de concentration, léthargie, changements d’appétit, sentiment de perdre le contrôle, attitude conflictuelle, irritabilité, sentiments d’impuissance et de désespoir, hypersomnie ou insomnie. Le tout se répétant de façon cyclique, sur plusieurs mois, et interférant de façon significative avec la vie du sujet. Le problème avec le TDPM, donc, c’est qu’il est encore peu connu, et que le diagnostic reste difficile à poser, le trouble étant souvent confondu avec un trouble psychiatrique autre. Et il peut se déclarer plus ou moins n’importe quand au cours de la vie d’une femme, comme en témoigne
Noémie, 28 ans : « J’ai commencé à ressentir les symptômes du TDPM il y a environ deux ans. Mes règles arrivaient presque sans prévenir, et repartaient de la même façon. Puis à un moment de ma vie, j’ai commencé à ressentir un profond désespoir, une anxiété intense à quelques jours de mes règles que je n’ai d’abord pas su expliquer. Ça m’a pris plusieurs mois pour me rendre compte qu’il y avait un lien avec mon cycle menstruel. J’ai d’abord pensé que j’étais triste et à côté de mes pompes parce que j’étais loin de chez moi — à l’époque, je voyageais en Asie — et que j’essayais d’oublier mon ex. Puis les symptômes et leur nature cyclique sont devenus plus apparents : je me suis retrouvée dans des états de désespoir profond, tous les mois. Je me répétais alors que j’étais nulle, indigne d’être aimée, et que je ne ferais jamais rien de ma vie. Je devenais limite parano, j’avais des crises de larmes incontrôlées et la fatigue me clouait au lit au moins un ou deux jours par mois, augmentant mon sentiment de culpabilité. Aujourd’hui, une fois que je me mets à saigner, tout disparaît dans la seconde.»
Pour certaines femmes, le TDPM va jusqu’à les confronter à des pensées suicidaires. On estime d’ailleurs que 15% des personnes touchées commettront un jour une tentative. D’où l’urgence d’un diagnostic et d’un traitement adaptés. Car aujourd’hui encore, de nombreuses femmes sont étiquetées « bipolaires », à tort. Les médecins, également, sont peu ou pas du tout sensibilisés au trouble : « Deux ans après avoir arrêté la pilule pour la première fois depuis l’adolescence, j’ai commencé à remarquer que je développais parfois des pensées suicidaires, et ça ne me ressemblait pas. Après plusieurs mois dans le flou, à ne pas comprendre ce qui m’arrivait, j’ai remarqué que j’étais déprimée le plus souvent une semaine avant mes règles. J’ai pris rendez-vous avec ma généraliste pour savoir si je pourrais avoir un bilan hormonal, je lui ai juste dit que je me sentais très mal la semaine avant mes règles. Elle m’a répondu que c’était normal, et qu’on ne faisait ce genre d’examen qu’en cas d’hirsutisme ou de problème grave. J’avais envie de lui répondre “vous trouvez ça normal d’avoir envie de mourir tous les mois, vous ?” », m’écrit Marion, 26 ans, qui traite ses symptômes tant bien que mal tous les mois. « Je n’ai pas envie de reprendre la pilule ou de prendre des anti-dépresseurs lourds. Donc j’essaye de prendre soin de moi, de limiter le stress, et de manger équilibré », ajoute-t-elle.
La méconnaissance du grand public et des professionnels de santé semble manifeste : « La première fois que le trouble fut validé comme trouble psychiatrique existant, c’était en 2013, dans le DSM IV, le trouble était à l’étude – avant on parlait SPM. Et l’information joue beaucoup dans l’amélioration de l’état des patientes, certaines ne se rendent pas compte qu’elles sont touchées par des modifications de l’humeur qui impact leur fonctionnement, elles culpabiliseront des comportements qu’elles auront… D’autres ne font pas le lien entre les symptômes et le cycle prémenstruel. Les recherches vont encore bon train mais la dernière hypothèse va dans le sens d’ un déficit en sérotonine associé à une sensibilité au rétrocontrôle hormonal, c’est ce qu’établit en tout cas la recherche actuelle », m’informe Hélène Marais Thomas.
À l’heure actuelle, les seuls traitements médicaux proposés aux femmes diagnostiquées, reposent aujourd’hui sur l’usage de la pilule contraceptive, censée limiter voire supprimer les fluctuations hormonales, ou la prescription d’un antidépresseur, censé compenser la baisse en sérotonine observée auprès des neurotransmetteurs.
Dans la recherche de traitement, on comprend donc mieux pourquoi chacune y va de ses pistes personnelles, ou cherche de l’aide auprès de spécialistes différents. « C’est d’autant plus dur d’établir un programme d’accompagnement des patientes dans le sens où chacune, ne sachant pas ce qui lui arrive, va se tourner vers un spécialiste différent. Certaines vont aller voir leur gynécologue, d’autres leur généraliste, leur psychologue ou encore un psychiatre. Il semble important que les praticiens de santé travaillent ensemble sur cette problématique à mi-chemin entre plusieurs disciplines (gynécologie, psychiatrie, psychologie, endocrinologie). D’autres vont identifier le trouble et se tourner vers des médecines naturelles, comme la phytothérapie, l’homéopathie, ou chercher de l’aide auprès de magnétiseurs. Chacune ayant des symptômes différents et aucun traitement spécifique au trouble n’étant proposé, on remarque un manque d’homogénéité des solutions et des prises en charges proposées, c’est pourquoi je travaille aujourd’hui à l’élaboration d’un accompagnement en psychothérapie cognitive et comportementale », continue Hélène Marais Thomas.
En 2019, il reste donc encore énormément de chemin à parcourir en ce qui concerne nos connaissances de la santé mentale et reproductive des femmes. On ne peut qu’espérer que de plus en plus de chercheurs s’empareront de la question du trouble dysphorique prémenstruel.
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