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Sexe

La première fois que j’ai couché pour de l’argent

« Je ne pouvais plus ignorer cette curiosité tapie au fond de moi. »
Photo de l'auteure par Mindy Tuckerde 

Avant de m’initier au sexe tarifé, j’ai fait la même chose que toute bonne élève : des recherches. Putes historiques ou fictionnelles, victimes tragiques, femmes fatales, voilà les héroïnes que je connaissais. Par contre, pour savoir ce que cela impliquerait de franchir la ligne jaune pour de vrai, rien de mieux que Google. J'ai commencé par taper des trucs comme « Escort girl, Raleigh, Caroline du nord ». Au bout de quelques sites, de pubs sordides et de chats glauques, j’ai eu le soulagement de tomber sur une FAQ plutôt bien faite, qui m'a permis de me roder un peu.

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Il y avait au fond de moi une curiosité impossible à ignorer. Et puis il y a l’Interdit bien sûr, obsession de tout ado/être humain qui se respecte. À 17 ans, rien ne pressait. J’ai donc passé plusieurs semaines à me documenter sur Internet. Une précision importante : j’ai choisi de coucher pour de l’argent, comme je choisis aujourd'hui d'en parler. En cela, je suis une privilégiée. Toutes mes collègues n’ont pas eu cette chance.

Après avoir écumé les forums de discussion, je suis parvenue à quelques conclusions : le cursus et les références ont leur importance quand il s’agit de devenir une escort « respectable ». Pièce d’identité et capotes obligatoires. Serviette chaude post-coïtale très appréciée. Ce maigre savoir m’a très vite donné un sentiment de pouvoir inédit. Je n’hésitais pas à insister, à exiger. Je savais très bien qu’on faisait toutes ça. D’ailleurs, aucun client ne me l’a jamais reproché. Au contraire, un tel dogmatisme semblait les rassurer. Mon assurance et mon refus du compromis étaient synonymes de sérieux.

« Je profitais de chaque temps mort entre mes cours, mes devoirs, et les repas en famille, pour examiner les profils de mes clients potentiels »

Avant de cliquer pour publier enfin mon annonce, j’ai ajouté 50 dollars au tarif moyen. La quantité n’avait aucune importance, je n’avais pas de loyer à payer. À la moindre tentative de négociation, je bloquais le client en question et je passais au suivant. Aux 50 suivants. Je devais même trouver des moyens de limiter la demande.

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J’ai bien précisé ne pas pouvoir « recevoir ». Comme j’étais mineure, impossible de réserver moi-même une chambre d’hôtel. Même si j’allais sur mes 18 ans, j’ai affirmé en avoir 20 et étudier à la fac. Je pouvais donc dire aux clients que j'étais trop jeune pour boire de l'alcool. Sur le plan physique, je faisais « mes » 20 ans sans problème. J’ai renseigné tout ce qu’on me demandait : couleur des yeux et des cheveux, tour de poitrine, de taille et de hanches.

Une fois l’annonce publiée, j’étais embarquée dans cette nouvelle vie. Les dés étaient jetés et advienne que pourra. Poser un lapin, ou prétexter une urgence et me barrer, n’ont jamais été des options. Ma transformation en escort a eu lieu à la mise en ligne de l’annonce, pas au premier rendez-vous. Les demandes ont aussitôt déferlé. Je profitais de chaque temps mort entre mes cours, mes devoirs, et les repas en famille, pour examiner les profils de mes clients potentiels. Je demandais toujours au moins deux références. Souvent, c’étaient d’autres escorts qui confirmaient qu’ils n’étaient ni des voleurs, ni des goujats.

Premier client. Rien à signaler à son sujet. J’ai déjà oublié son adresse mail. Son nom, son métier et son visage, aussi. C’est juste le premier à avoir passé les phases de sélection. Un blanc d’« âge mûr » comme se décrivent les vieux. Gentil, beau parleur. Je ne le préviens pas que c’est ma première fois. Je ne le reverrai sans doute jamais. Ce dont je me souviendrai longtemps, c’est mon état : nervosité, fébrilité, les synonymes sont nombreux. Je veux faire bonne impression. Je veux être au top.

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Je suis arrivée à l'hôtel avec dix minutes d'avance. J'étais inscrite au club de théâtre du lycée, d’où le sérieux que j’ai mis à me trouver un « costume » et à « entrer dans la peau du personnage ». Mon premier client est arrivé. J'ai vérifié sa pièce d’identité, puis j'ai sorti mon portable et j'ai appelé ma meilleure amie : « Machin est là. Je te rappelle dans une heure. » Machin savait alors que quelqu’un d’autre savait. Quelqu’un savait où j'étais, avec qui, et à quel moment s’inquiéter si je ne donnais pas signe de vie. Passées les formalités d’usage, je suis allée me préparer dans la salle de bains.

J’en suis ressortie vêtue de ma robe de bal de fin d'année. Je me sentais élégante et sexy, mais pas vulgaire. J'étais sacrément naïve. À l'époque, je pensais que les « femmes distinguées » portaient tout le temps un truc qui ressemblait plus ou moins à une robe de bal de fin d'année.

Lui, il a gardé ses vêtements. Il regardait du porno à la télé. J’ai enlevé ma robe pour me glisser dans le lit. Je lui ai demandé de me rejoindre, ce qu’il a fait. Je l'ai laissé me toucher. Il était respectueux, presque cérémonieux. Je l’ignorais encore à ce moment-là, mais ce sera le cas de bien des clients. Je lui ai enfilé un préservatif avant de porter son sexe à ma bouche. Ce goût de latex était fort déplaisant, mais c’était la seule barrière physique et psychologique possible. Je voulais minimiser le risque et le contact.

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Quant au rapport en lui-même, il a été aussi court que désincarné. À la fin, il a éteint la télé et je suis allée lui chercher une serviette chaude. Je lui ai pose quelques questions sur sa vie. J’aurais dû y penser avant, mais j’étais trop concentrée sur mon personnage d’allumeuse. Cela n'est plus arrivé, je n'aurais jamais dû.

Soudain, mon client est apparu hésitant, mal à l’aise même. Je l'ai rassuré en lui disant qu'on avait tout notre temps. Les escorts tarifent leur temps, pas leurs prouesses sexuelles. Et ça ne faisait que 20 minutes qu’on était dans cette chambre. Il ma ’expliqué que je pouvais partir en avance si je voulais.

On s'est alors mis à danser. Malaise. J’ai essayé de deviner ce qu’il attendait de moi. Que je m’en aille ? Que j’insiste pour rester avec lui ? Aujourd'hui encore j’ai encore du mal à savoir comment occuper le client. J'ai alors décidé de me rhabiller et de partir. J'ai même failli oublier l’enveloppe dodue posée dans l’entrée.

Sur le retour, j'ai conduit comme une folle, la radio à fond. J'ai ramemé avec moi quatre billets tous froissés de 100 dollars. Je suis entrée en trombe dans un bar enfumé, me suis dirigée droit vers la serveuse et lui a commandé un Coca rondelle. Je lui ai demandé aussi si elle avait de la monnaie sur 100 dollars. Oui. Je suis restée assise une heure. Toute tremblante d’adrénaline, j'ai tout tenté pour me calmer un peu. Ce Coca rondelle était le premier d’une longue série. Ce n’était pas de l’alcool, mais je savais très bien que je n’ai pas le droit d’être ici. Pourtant, personne n'a songé à vérifier mon âge : mon « personnage » devait être convaincant. Et puis il y a eu tout cet argent. Plus excitant qu’aucun client ne le sera jamais. Je me sentais vivante. J’y avais déjà pris goût.

Kaytlin Bailey est sur Twitter.