Culture

Voici la femme qui a conçu l’univers de « Black Panther »

hannah beachler

Dans son poème « Heritage », écrit en 1925, le poète du mouvement « Harlem Renaissance » Countee Cullen déplorait la blancheur du Christ, admettant que cela « façonne aussi des dieux à la peau noire », ces dieux « couronnés de cheveux rebelles sombres ». Depuis, presque un siècle a passé et les noirs américains se sont accoutumés au Black Santa et à toutes sortes de divinités noires issues de la culture populaire – le film Black Panther de Marvel en est l’exemple le plus récent. Mais le poème de Cullen est surtout célèbre pour son refrain : « Qu’est-ce que l’Afrique pour moi ? », c’est une question à laquelle les Noirs de la diaspora font face depuis 400 ans. Black Panther se déroule en grande partie au royaume de Wakanda, le pays africain fictif du héros, adapté à l’écran par la chef décoratrice Hannah Beachler. Pour faire de ces pages de bandes dessinées un film au cinéma, Beachler a dû se demander ce que l’Afrique représente pour elle et ce qu’elle pouvait représenter pour les téléspectateurs du monde entier.

« Je me considère comme une designer d’histoire », a déclaré Hannah Beachler au sujet de son travail. Les chefs décorateurs dirigent les départements artistiques des films et travaillent de concert avec les réalisateurs pour créer des univers visuels. Beachler s’est déjà fait la main sur les précédents films du réalisateur de Black Panther, Ryan Coogler : Fruitvale Station en 2013 et Creed : L’Héritage de Rocky Balboa en 2015 . Elle a également travaillé sur le clip Lemonade de Beyoncé et sur Moonlight , qui a remporté l’Oscar du meilleur film en 2017. Au cours de ces cinq dernières années, Hannah Beachler – la seule femme noire à être une sommité dans son domaine – a créé certains des visuels les plus importants de l’Amérique noire. Mais Wakanda, cet éden afrofuturiste d’un continent lointain, a été un vrai challenge.

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« La question était de savoir : Qu’est-ce que signifie être africain aujourd’hui ? Quelles sont relations des Afro-américains entre eux ? Comment pouvons-nous nous connecter ? » déclare Hannah Bleacher. L’Afrique concrétise l’un des grands rêves des Noirs américains : celui d’une existence sans racisme, et ce n’est pas un hasard si le premier grand film de super-héros noir d’Hollywood ne soit pas à propos d’un Américain, car même dans l’univers cinématographique Marvel, avec ses super-soldats congelés et ses sorciers mystiques, un film sur des Noirs américains qui n’auraient jamais été confrontés au racisme – ça n’aurait pas été crédible.

Photo extraite de Black Panther. © Marvel Studios 2018

Quand Ryan Coogler et Hannah Beachler ont visité le continent dans le cadre de leurs recherches, ils n’ont pas trouvé de « trou à rats » comme dans les publicités de l’organisation « Save the Children », mais des nations noires très diverses, où la tradition tribale et la modernité sont des forces complémentaires plutôt que des forces opposées. « J’ai eu le sentiment qu’on m’avait menti sur ce qu’est l’Afrique », a déclaré Beachler, décrivant des scènes d’idylle rurale et de modernité cosmopolite. Elle évoque surtout ces femmes du Turkana arborant des peintures faciales traditionnelles près des chantiers urbains dignes d’une ville occidentale.

De leurs voyages et de leurs recherches, ils ont construit une utopie africaine très éloignée du mashup architectural habituel Tokyo-New York qui sert trop souvent de réplique au futurisme urbain dans le cinéma. Leur séjour aux Trois Rondavels, un trio saisissant de sommets sud-africains rapellant les huttes africaines – les rondavels – leur a permis de concevoir Wakanda comme une ode à l’Afrique et de souligner les liens locaux entre la nature et le design. Les référence régionales et ethniques abondent dans Black Panther, de l’ otjize qui recouvre les cheveux d’une vieille femme à la mode des femmes himba de Namibie, aux couvertures Basotho dans lesquelles s’enveloppent les membres de la tribu des Frontières, en passant par le labret porté par un autre personnage, emprunté à des groupes éthiopiens comme les Mursis.

Pour Hannah Beachler, l’important était de traiter ses inspirations africaines avec respect : « C’est-à-dire que je ne voulais pas me contenter de copier tous les trucs que je trouvais cool. » Pourtant, la fonction symbolique de l’ otjize ou du labret semble pour l’instant échapper au public occidental.

Les points de vue afro-américains sur l’Afrique peuvent être « bidimensionnels » et « ne sont pas sans problème », explique Courtney Baker, professeure d’études afro-américaines à l’Occidental College. Les allégations de l’artiste britannique d’origine libérienne Lina Iris Viktor, selon lesquelles l’équipe de Black Panther aurait utilisé sans permission le travail qu’elle a réalisé pour le clip « All the Stars » de Kendrick Lamar et SZA (une chanson de la bande-son du film) en sont un exemple frappant. « Je pense qu’il faut plutôt envisager Black Panther comme un projet afrofuturiste qui concerne la possibilité noire, la diversité noire et l’émancipation noire », ajoute Baker.

Photo extraite de Black Panther. © Marvel Studios 2018

L’Afrique est un continent qui a souvent été dépeint de manière imprécise, indépendamment de toute spécificité, nuance ou contexte culturel. Beachler espère qu’après avoir vu le film, les enfants américains sauront que l’Afrique n’est pas seulement le « continent noir ».

Pour elle, créer Wakanda était un projet très personnel. « J’étais en Afrique du Sud…j’ai regardé la terre et j’ai pensé : “Tout cela a été volé de mon histoire” », déclare Beachler. « J’ai été très touchée, je ne pensais pas que ça me marquerait autant. » C’est justement ce lien émotionnel qui fait que Wakanda n’est pas un Apple Store drapé de tissus africains. Hollywood a fait de réels efforts afin de créer un peu de diversité à l’écran – le phénomène tarde à s’étendre dans les coulisses. C’est là que Black Panther excelle, car la diversité derrière la caméra est peut-être encore plus impressionnante que celle à l’écran. Même si n’importe quel réalisateur et chef décorateur pourrait voyager en Afrique et être impressionné par la beauté du continent, Hannah Beachler a apporté à l’esthétique de Black Panther une dimension émotionnelle et historique spécifiquement noire.

Photo extraite de Black Panther. © Marvel Studios 2018

« Je me souviens être arrivée sur le plateau pour la première fois et avoir regardé autour de moi – c’était tout simplement l’équipe la plus diverse que j’avais pu voir dans ma carrière », poursuit-elle. L’équipe de Black Panther comprend la directrice de photographie Rachel Morrison, dont le travail sur Mudbound lui a valu d’être la première femme à être nominée pour l’Oscar de la meilleure photographie. « A part Ryan, déclare Beachler, presque toutes ses cheffes de département étaient des femmes, toutes d’orientations sexuelles, de religions, de couleurs et de croyances différentes. » À ce stade de sa carrière, Beachler peut rassembler ses équipes grâce à son remarquable curriculum vitae – preuve que la diversité enrichit l’industrie du film. « J’ai dû passer par les petites portes, déclare-t-elle, mais maintenant, je peux les laisser grandes ouvertes pour les autres. »

Gabrielle Bruney est sur Twitter.