Le mot est d’une rare violence : « indésirable ». Voilà comment les policiers français appellent les jeunes qui n’ont pas commis d’autres crimes que d’être dans la rue, entre potes. C’est ce qu’on a appris lors du procès qui s’est tenu les 21 et 22 février, mettant en cause quatre flics du XIIème arrondissement de Paris. Dix-huit jeunes du quartier dénonçaient des « violences volontaires » – fouilles musclées, palpations poussées, interpellations juridiquement bordeline et agressions verbales…
À la barre, l’un des policiers a expliqué qu’en l’absence de base juridique pour justifier un contrôle d’identité, ses collègues et lui avaient recours à cette curieuse expression d’« indésirables ». Et ce, en toute candeur : « Entre nous, sur la radio, on dit “on va sur des indésirables” ». Plus grave encore, le terme est visiblement entré dans le langage administratif, à en croire l’agent : « C’est même un onglet à cocher dans notre logiciel de main courante ».
Le terme a attiré l’attention d’Emmanuel Blanchard, sociologue de la police et de l’immigration : issue d’une veille tradition policière, la notion de population « indésirable » est en effet née dans les années 30 et s’est généralisée pendant la guerre d’Algérie. Son retour dans le jargon des flics interpelle le chercheur. Interview.
Vice : Quelle signification donnez-vous à ce terme d’ « indésirables » ?
Emmanuel Blanchard : C’est un mot qui réduit des personnes à un rôle de cible, de « gibier de police ». En s’exprimant ainsi, le policier verbalise le fait qu’il chasse une catégorie de la population. Et c’est encore plus fort quand on sait que ce terme est non seulement utilisé dans le langage courant des policiers, mais aussi dans leur logiciel de déposition des mains courantes, semble-t-il.
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Est-ce la première fois que ce terme apparaît dans le langage policier ?
Justement, non. Il a longtemps été utilisé par les policiers, mais aussi dans les textes officiels (administratifs ou juridiques), pour désigner les populations nomades, qu’elles soient françaises ou étrangères. Cette notion « d’étranger indésirable » a particulièrement été mise en avant dans les périodes xénophobes de notre histoire, comme les années 30. A l’époque, elle était même inscrite dans le droit français et masquait l’antisémitisme latent. Elle a ensuite désigné les Algériens pendant la guerre d’Algérie.
Ce procès peut-il marquer un tournant dans la relation jeune/police, dans la mesure où il met en lumière cette « indésirabilité » d’une partie de la jeunesse française ?
Effectivement, il se joue ici quelque chose d’important : le policier qui a utilisé ce mot n’a pas saisi la charge négative qu’il véhicule. Cela montre à quel point ces idées sont enracinées dans les esprits. C’est aussi révélateur de la volonté des forces de l’ordre d’imposer aux jeunes une « cérémonie d’humiliation » à des individus qui n’ont rien fait, si ce n’est être sur l’espace public. Cette cérémonie dont je parle, c’est le contrôle d’identité, devenu une véritable institution dans le travail policier. Ces contrôles sont considérés comme une sorte de service minimum par ceux qui l’accomplissent, alors qu’ils portent en eux un message fort.
Lequel ?
Demander leurs papiers à des jeunes Français, c’est leur demander de justifier en permanence leur appartenance à la Nation – et vouloir leur faire passer le message que cette appartenance est précaire.