FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

L’Enfer volontaire : ma vie de Française expatriée à Dubaï

Travail, luxe tape-à-l'œil, alcool prohibé et travail : un résumé de mes trois ans passés loin de Paris.
expat français dubai

Parmi la liste des choses que j'ai trouvées haïssables aux Émirats arabes unis, il y a le flicage. J'ai détesté être surveillée. Chacune des connaissances qui venait chez moi devait remplir au préalable un papier stipulant les motifs de sa visite. À peu près un site Internet sur deux était surveillé, ou interdit. Mais dans le même temps, j'ai apprécié le fait d'oublier mon ordinateur dans un taxi ou mon iPhone sur un banc, et me les voir restitués presque dans la demi-heure. J'ai n'ai jamais fermé ma porte à clé et n'ai jamais craint d'être cambriolée. Car j'ai vécu trois ans aux Émirats arabes unis.

Publicité

Ce que j'ai découvert là-bas n'est, à l'image de ces deux facettes tout aussi vraie l'une que l'autre, ni tout blanc comme les dishdash, ni tout noir comme les abayas. C'est un mélange extrême des deux, si l'on veut.

Tout commence en 2010 à Paris lorsque, boulevard Magenta, je dois faire rentrer 70 m2 et 132 kg de fringues dans une valise qui doit peser au maximum 23 kg afin d'avoir le poids requis pour entrer en soute. Je pars alors travailler à Dubaï, ville la plus peuplée des Émirats arabes unis. J'ai 25 ans, je suis tout juste diplômée, et on me propose un poste en CDI et bien payé, à 6 heures d'avion. Qui dirait non ? Pas moi. Je possède seulement un visa touriste, mais c'est suffisant. Ma sœur fait le tri pour moi, et me pique toutes mes minijupes, au prétexte à moitié fallacieux que, du fait des règles de décence islamique pour le moins scrupuleuses du pays, « là-bas, ça ne passera pas ». Dans la salle d'embarquement, je me sens petite, je suis la seule à ne pas voyager en chaussures Louboutin. Et quasiment la seule à voyager en classe éco.

Je ne comprendrai que plus tard qui sont les gens autour de moi. À mes côtés, ils font une queue qui me semble interminable. Mon arrivée est détendue, et un chauffeur m'attend. On roule sur la Cheick Zayed Road, un genre d'autoroute qui borde la ville. J'ai le sentiment d'arriver à Las Vegas. C'est un jeu vidéo dont je n'ai pas encore les commandes mais dont il va falloir que j'intègre les règles. Et assez vite.

Publicité
enfer-volontaire-ma-vie-de-francaise-expatriee-a-dubai-body-image-1458747942

Pour m'habituer à ce que les gens du pays appellent ma « période d'essai », l'entreprise qui m'accueille me loge dans un hôtel 5-étoiles. Celui-ci est luxueux, passablement nouveau riche. On y trouve par exemple une piscine à débordements ou un « skybar » au dernier étage, évidemment surclimatisé, nommé The Address (qui a par ailleurs récemment été victime des flammes). Il s'agit incontestablement d'un hôtel d'affaires, quoi qu'il fasse également hôtel-appartement, puisqu'ici vivent de nombreux résidants expatriés sur le long terme. Dans la discrétion absolue, l'hôtel sert également de lieu de passes, puisque j'ai été plusieurs fois témoin de scènes au cours desquelles de riches Moyen-Orientaux offraient des verres de champagne à de – trop – jeunes et belles filles d'Europe de l'Est.

J'ai l'impression de vivre dans un épisode de Melrose Place où il ferait encore plus chaud. La chaleur est suffocante quatre mois par an, quoique la météo n'indique jamais des températures supérieures à 49 degrés Celsius – même lorsque les voitures indiquent 54. Car, à partir de 50 degrés, les travailleurs auraient le droit de refuser de travailler. Sauf qu'à Dubaï, on se fout du droit des travailleurs.

Selon le dernier recensement datant de 2010, la population vivant aux Émirats était estimée à plus de 8 200 000 habitants, dont seulement un million d'Émiratis. 88,5 % de la population est en effet étrangère, dont plus de la moitié originaire du sous-continent indien.Dubaï est quant à elle une ville de plus d'un million d'habitants, située au nord des Émirats, et bordant le golfe persique. C'est le premier port du pays et la ville ambitionne de devenir dans un futur proche la destination numéro un au monde en termes de tourisme de luxe. Le problème, c'est que dans les faits, il n'y a pas grand-chose à y faire.

Publicité

Le week-end – les vendredis et samedis –, ne cherchez pas un musée ouvert. C'est un concept lointain. En revanche, faire la fête sur la plage du Barasti Bar le jeudi soir est un sport local. Ou à l'Irish Village. Puis, les gens s'empressent de terminer leur soirée à l'Armani, au Cavalli Club ou au Cirque, boîte de nuit sordide où des nains dansent dans des cages. De la même façon qu'il n'y a pas de culture, il n'y a pas, semble-t-il, de tradition culinaire. La nourriture vernaculaire est en réalité celle du Liban, à base de shawarmas et autres fattoush.

Le problème pour trouver un logement aux Émirats, ce ne sont pas les garants. C'est plutôt le fait de devoir payer une année de loyer à l'avance.

La journée, quand il fait trop chaud pour aller sur les plages, les gens font les boutiques dans des malls climatisés d'inspiration américaine. La semaine, tout le monde travaille et le soir, les gens vont parfaire leur musculature dans les salles de sport de leur immeuble. Sauf le mardi soir. Là, les filles – étrangères, cela s'entend – partent s'encanailler lors des Ladies Night où elles peuvent boire à volonté, et gratuitement, du champagne. Alors elles font des rencontres qui se limitent souvent au périmètre du bar où elles se trouvent, parce qu'à Dubaï, si on veut baiser il faut le faire discrètement. Il y a toujours un concierge pour dénoncer de trop fréquentes allées et venues masculines.

Publicité
enfer-volontaire-ma-vie-de-francaise-expatriee-a-dubai-body-image-1458747957

Les Français sont bien vus aux Émirats, et comme je suis Française je suis moi aussi généralement appréciée. Je réalise que les Philippins, souvent employés en tant que serveurs, nounous, femmes de ménage ou esthéticiennes, le sont moins. Mais à ce stade je n'ai encore jamais rencontré un immigré pakistanais ou originaire du Bangladesh. Aux Émirats, ce sont de loin les êtres humains les plus mal traités, dans un pays pas super regardant sur la justice sociale. Comme si le simple fait d'être originaires du « sous-continent indien » en faisait de fait des sous-hommes. Les conditions de vie de certains des ressortissants de ces pays pauvres venus ici pour se faire exploiter volontairement, peuvent rivaliser avec celles du commerce triangulaire.

De mon côté néanmoins, ma boss directe m'estime. Elle s'adresse à moi mieux qu'à mes collègues philippins. Vient donc le moment, au bout de deux mois sous ses ordres, où je pars à la recherche d'un appartement. Et là-bas, ce n'est pas vraiment compliqué ; il existe davantage d'offres que de demandes. En me documentant, je réalise que le quartier dans lequel je travaille – et dans lequel je souhaite vivre –, n'existait pas encore au moment où je passais mon master quelque deux années auparavant. Dubaï est une ville en perpétuelle construction.

Ce qui est compliqué pour trouver un logement là-bas, ce ne sont pas les garants. C'est plutôt le fait de devoir payer une année de loyer à l'avance. Le short time leasing n'existe pas. Il faut donc trouver l'équivalent de 10 000 euros, minimum, et solder une année de loyer avant d'emménager. Je visite ce qu'ils nomment un studio, qui fait tout de même 55 m2. Mon propriétaire a le même âge que moi. Il porte le dishdash le plus blanc qui soit. La grande différence entre lui et moi, c'est que je m'apprête à lui louer un dixième de la totalité de ses propriétés.

Publicité

Dans mon immeuble – comme dans presque la totalité des immeubles de Dubaï – sont intégrés des services tels qu'une piscine, un court de squash, ou encore une salle de gym. On y croise également un restaurant Subway, un supermarché, un pressing et une pharmacie. Si la vie de quartier n'existe pas dans une ville telle que Dubaï, la vie de compound – ces quartiers pour étrangers vivant entre eux, dans un univers aseptisé –, oui. Il y a tout pour vivre en autarcie. Et surtout, aucune raison de marcher.

enfer-volontaire-ma-vie-de-francaise-expatriee-a-dubai-body-image-1458747972

On pourrait presque dire qu'à Dubaï, tout est fait pour travailler. Contractuellement, je n'étais redevable que 49 heures par semaine ; cependant, j'en faisais en moyenne aux alentours des 68. Rétrospectivement, j'ai passé neuf mois de ma vie sans me rendre compte réellement d'où j'étais ni de comment je vivais. J'ai n'ai fait qu'exécuter les ordres que l'on me donnait.

Aussi, je travaille souvent le soir. Mon statut de Française – et donc mes connaissances niveau droit du travail – aidant, j'ai le culot de prétendre à une valorisation de mes heures de nuit. Hicham, le technicien de surface du bureau avec lequel je m'entends bien, n'est lui pas du tout au courant que c'est possible – et parfaitement légal. Il est Bangladais et travaille tous les jours lorsque la nuit tombe.

Parmi les cleaners, Hicham était le seul à posséder un anglais décent. Il était en réalité extrêmement cultivé. Il avait longtemps été professeur de mathématiques à la faculté de Dhaka, la capitale du Bangladesh, où il gagnait si peu sa vie qu'il fut obligé de succomber aux sirènes d'un vendeur de rêve. D'après ses dires, ce dernier était venu lui annoncer que pour « dix mille dollars, [il l]'enverrait aux Émirats arabes unis », où en « à peine un mois, Hicham rembourserait [son] investissement ».

Publicité

La réalité, c'est qu'Hicham gagnait à Dubaï à peine 380 euros par mois. Une fois arrivé sur place, son passeport lui avait été confisqué. Il était donc coincé ici pour plusieurs années à devoir rembourser son passeur, sans être en mesure d'envoyer le moindre argent à sa famille. Il était devenu un esclave à plusieurs milliers de kilomètres de chez lui.

Il était prisonnier, aussi. Parce qu'aux Émirats, il existe seulement des visas de travail, validés par les employeurs qui embauchent le ressortissant étranger. Dans les faits, cela implique que si vous contractez une dette et que vous partez, l'employeur implanté aux Émirats deviendra automatiquement redevable de celle-ci. C'est pourquoi la plupart du temps, les employeurs confisquent votre passeport pour vous empêcher de le faire. Sauf lorsque vous êtes Français, Anglais, Italien, Égyptien, voire Libanais. Là, ils ont confiance en vous. Les Émirats arabes unis sont les maîtres incontestés de l'injustice d'État.

Les Émirats, comme tous les pays du Moyen-Orient, sont également paranoïaques. Tous les ressortissants, étrangers compris, possèdent une carte d'identité sur laquelle figure leur empreinte digitale, leur empreinte rétinienne, et leur ADN. Le principe de sécurité est poussé à son paroxysme ; tout le monde est fiché, donc tout le monde est susceptible d'être appréhendé.

enfer-volontaire-ma-vie-de-francaise-expatriee-a-dubai-body-image-1458747989

Aussi, les prisons émiraties n'ont rien à envier à nos maisons d'arrêt françaises. L'un de mes amis – haut placé, ce qui peut expliquer la commutation de sa peine de prison en amende – a été emprisonné dix jours pour avoir bu une bière avant de prendre sa voiture. Là-bas, c'est tolérance zéro concernant l'alcool au volant. Et donc, ce qu'il m'a décrit de son court séjour en taule ressemblait au récit d'un homme sortant de l'enfer : cigarettes vendues à l'unité au prix de la cartouche, nourriture immangeable, pas de ventilation, pas de sanitaires. Et à peu près 6 détenus pour 7 m2.

Publicité

Comme je le disais plus haut, l'alcool est, aux Émirats, un vrai sujet. Je rappelle que le pays, au nom de l'Islam le plus strict, en interdit la consommation. Cette prohibition totale implique des choses telles que : l'impossibilité d'acheter de la véritable moutarde dans les supermarchés ou l'interdiction à la vente de certains parfums. Néanmoins, tous les hôtels du pays possèdent l'autorisation d'en débiter et d'en consommer. C'est pourquoi les restaurants et bar-hôtels sont les place-to-be. Cette prohibition entraîne également des réflexes étranges ; chaque fois que je me retrouvais dans un endroit où il y avait de l'alcool, je me sentais forcée d'en consommer. Et pour cause : je n'étais jamais sûre de pouvoir recommencer.

Puis plusieurs mois ont passé. Une année, puis deux. Je suis restée trois ans à Dubaï. Et fatalement, c'est arrivé. Un jour, je me suis entendue parler à un chauffeur de taxi pakistanais de la même façon qu'autrefois, j'abhorrais entendre les autres expatriés s'adresser à ces mêmes chauffeurs. Là, je me suis dit : « OK : fous le camp ou tu vas finir comme eux. Tu vas finir par devenir une personne que tu détestes. »

Il était urgent de me sauver pour sauver ma propre humanité et mon regard sur l'humain en général. Il ne m'a pas fallu longtemps pour mûrir ma décision ; j'ai donné ma démission 48 heures plus tard. J'ai néanmoins accepté de prolonger mon préavis de trois mois afin de laisser mes employeurs se retourner. En revanche, je n'ai pas succombé à l'augmentation de salaire proposée pour rester.

Avec le recul, il m'est impossible de dire que cette expérience fut « mauvaise ». La preuve, j'ai même rapporté toutes mes affaires en container. Et il est très enrichissant d'avoir pour meilleurs amis un Bassam syrien, un Hani libanais ou une Laura italienne. J'ai aussi appris à faire des feuilles de vignes. À dire « ta gueule » en arabe.

Mais surtout, j'ai réalisé que la sécurité sociale, les gens qui s'engueulent dans la rue tandis que d'autres s'embrassent, eh bien, tout ceci n'arrivait pas systématiquement partout dans le monde. Parfois, c'est un privilège. Souvent, c'est une vraie chance.