On a demandé à une experte si les jeunes pouvaient dire adieu à leur retraite

Photo via l’utilisateur Flickr Pedro Ribeiro Simoes

Si la situation semble s’être légèrement « améliorée » ces derniers temps, le système de retraite français est toujours, ô surprise, en déficit. Un bon nombre de décideurs politiques nous invitent fortement à traîner dans des open-spaces anxiogènes de plus en plus vieux afin de pallier le problème de financement dudit système. Le progrès aidant, les anciens sont de plus en plus nombreux à couler des jours heureux après avoir dit adieu aux affres du monde professionnel. De plus, quiconque connaît un poil l’histoire du Vieux Continent sait que le baby-boom des années 1946 – 1965 est en train de nous revenir en pleine gueule sous la forme d’un papy-boom explosif.

Avec un système de retraite français fondé sur la répartition et la solidarité intergénérationnelle, nos jeunes os pourraient avoir du souci à se faire. Nous pourrions bien cotiser pour ne rien recevoir en échange, ou très peu, en passant à un modèle d’épargne privée ou en voyant le montant des retraites diminuer drastiquement au fil des décennies – avec une modification de la valeur des « points », par exemple.

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L’Insee prévoit près de huit millions de départs à la retraite entre 2010 et 2020 – conséquence directe des bébés post-45 devenus âgés. L’espérance de vie à 60 ans est aujourd’hui de 27,3 années pour les femmes contre 22,9 années pour les hommes. D’ici à 2060, on pourrait compter 200 000 centenaires en France.

Face à un tel constat, l’âge de départ à la retraite est un enjeu politique majeur – entre critiques envers des fonctionnaires « chouchoutés » et course à l’échalote de la part des candidats à la primaire de la droite. Aujourd’hui, l’âge légal minimum de départ à la retraite se situe selon les régimes entre 60 et 62 ans. Le nombre de trimestres à cotiser pour espérer toucher une pension pleine est quant à lui de 172 trimestres, soit 43 ans.

De leur côté, les jeunes ont de plus en plus de mal à intégrer le marché du travail, et le font de plus en plus tard. Le taux d’emploi au sein de la catégorie des 15-24 ans était de 28,4 % en 2014. La crise économique de 2008 a directement influencé l’âge d’entrée dans la vie active. Comme l’atteste un document de l’OCDE, la scolarisation des 20-24 ans a augmenté de 0,9 point entre 2008 et 2009 – et de 0,3 point pour les 25-29 ans. Les jeunes de notre génération étudient plus et plus longtemps, ce qui conduit logiquement à un retard dans l’accumulation des trimestres de cotisation.

Afin de mettre au clair quelques idées reçues et de savoir à quoi m’attendre pour l’avenir, j’ai interrogé Monika Queisser, directrice de la division des politiques sociales à l’OCDE, experte en matière d’analyse des systèmes de pension et de retraite et membre du Conseil d’orientation des retraites (COR).

VICE : Bonjour Madame Queisser. Pour commencer, pouvez-vous m’en dire davantage sur votre travail au sein de l’OCDE et du COR ?
Monika Queisser :
À l’OCDE, je suis en charge de la division des politiques sociales. Nous effectuons des analyses et des recommandations au sujet des politiques sociales venant en aide aux individus tout au long de la vie, de l’enfance jusqu’à la retraite. Nous analysons également les problèmes liés aux inégalités femmes/hommes et à la distribution des revenus. On publie tous les deux ans un grand « Panorama des retraites », dans lequel on compare les différents systèmes des pays de l’OCDE et du G20.

Le COR, quant à lui, est un conseil de consultation français. Il réunit des représentants syndicaux et du patronat, des sénateurs, des députés, des retraités, des représentants du gouvernement ainsi que des experts – dont je fais partie.

En travaillant au sein de l’OCDE, vous avez donc une vision internationale du problème des retraites. Vous pensez quoi de la situation française ?
Le système de retraite hexagonal a connu de nombreuses réformes depuis les années 1990, contrairement à ce que l’on pense souvent à l’étranger. Cependant, on constate une originalité française : si l’âge moyen de départ a récemment augmenté, il reste assez bas par rapport aux autres pays.

L’âge effectif de sortie du marché du travail est l’âge auquel quelqu’un arrête de travailler – pour des raisons différentes : incapacité, chômage, ou inactivité. Il est donc différent de l’âge auquel les personnes prennent leur retraite à proprement parler. En France, l’âge de sortie du marché du travail est inférieur à 60 ans pour les hommes alors que dans la plupart des autres pays il tourne autour de 65 ans. Les gens arrêtent donc plus tôt de travailler, et ce indépendamment de l’âge de retraite minimum, fixé à 62 ans.

Je pense que l’esprit de solidarité entre travailleurs et anciens travailleurs est très fort en France. Le système par répartition ne disparaîtra donc pas.

Les papy-boomers vont-ils mettre fin au système de répartition à la française ?
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la France a la chance d’avoir un taux de natalité très élevé en comparaison d’autres pays. Après, on assiste à un boom du nombre de retraités, c’est une évidence. La population vieillissante présente un réel défi – notamment parce que les gens vivent très longtemps après leur passage à la retraite, ce qui est une bonne chose en soi.

Avec un nombre croissant de retraités, on fait face à un problème de financement, problème qui peut peser sur les nouveaux entrants et les personnes déjà présentes sur le marché du travail. Du coup, on observe une augmentation des charges pour les salariés – plutôt qu’une véritable mise à mort du système par répartition, pas d’actualité.

OK. Le problème du financement des retraites est donc un leurre, en fait ?
Pas forcément. Le fonctionnement du système français dépend énormément de la croissance économique du pays. Si le chômage est très bas, on ne rencontre pas de souci pour financer les retraites. S’il est haut, cela se complique. C’est pareil en période de croissance molle. C’est pourquoi il est essentiel d’améliorer le taux d’emploi des seniors et l’âge effectif de sortie du marché du travail.

Le passage à un système d’épargne privée à l’anglo-saxonne est-il envisageable en France selon vous ?
Il y a quelques années, on constatait un fort enthousiasme pour les solutions d’épargne privée. Les gens pensaient qu’investir dans la bourse était le meilleur moyen de s’assurer des revenus suffisants pour financer leur retraite. On a même vu de jeunes Allemands demander qu’on leur rende l’argent de leurs cotisations. Avec la crise financière, le soufflé est retombé.

En France, à vrai dire, on a déjà un taux d’épargne très élevé. Les assurances vie connaissent un franc succès dans la préparation des retraites. Malgré cela, je pense que l’esprit de solidarité entre travailleurs et anciens travailleurs est très fort en France. Le système par répartition ne disparaîtra donc pas.

Je pense que le problème des retraites ne sera pas résolu par une politique spécifique aux retraites mais par des politiques d’insertion sur le marché du travail et d’éducation.

Avec un taux de chômage très élevé et une précarité forte, peut-on affirmer que les jeunes Français pauvres d’aujourd’hui seront les vieux Français pauvres de demain ?
La précarité et le chômage des jeunes sont des enjeux majeurs. L’entrée sur le marché du travail est difficile pour ces derniers. Si, par le passé, le risque de pauvreté touchait davantage les personnes âgées, il est aujourd’hui plus important chez les 18-35 ans résidant dans les pays de l’OCDE. Se pose alors la question de comment favoriser l’insertion des jeunes sans compromettre les progrès réalisés pour les vieux.

Je pense que le problème des retraites ne sera pas résolu par une politique spécifique aux retraites mais par des politiques d’insertion sur le marché du travail et d’éducation. La France est un pays où l’inégalité dans le système éducatif est très forte. Il a été démontré que les inégalités présentes dès l’enfance ne font que se renforcer par la suite, y compris durant la vie active.

Est-ce qu’on peut s’attendre à partir à la retraite à 85 ans pour mourir à 100 ?
Je ne crois pas du tout à un tel scénario. Contrairement à ce que l’on a tendance à penser, l’âge de la retraite a été abaissé depuis les années 1950. On a cru que cela permettrait aux jeunes de prendre plus facilement la place des retraités sur le marché du travail. Or, l’exemple français prouve bien le contraire – avec un chômage des jeunes élevé et un âge effectif de retraite relativement bas.

Après, la situation de la France est très particulière. On assiste à un rejet global du recul de l’âge de départ à la retraite. Lorsqu’il y a eu des réformes, on a vu des jeunes manifester. L’âge des retraites en France semble presque intouchable. Pourtant, cette variable pourrait faciliter l’accès à l’emploi des jeunes via une réduction des charges salariales.

Une telle position est culturelle. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, mais je pense que cela témoigne d’une vision très noire de l’avenir en France. Les jeunes se disent qu’ils ont déjà du mal à entrer sur le marché de l’emploi, ils ne veulent pas en plus perdre leur droit à une retraite assez précoce. C’est une réaction somme toute très compréhensible au regard de la situation des jeunes Français.

Je vois. Merci Mme Queisser.

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