Ils s’étaient donné rendez-vous à un arrêt de bus quelques jours plus tôt, Amandine venant chercher Sylvain avec sa voiture. Comme pour un trajet en Blablacar. Mais eux n’ont pas fait de covoiturage. Adeline et Loïc, eux, ont partagé un café dans un bar avant de se rendre dans un appartement loué par elle. Comme pour un rendez-vous Tinder mais là encore, point de rencard amoureux. Céline, elle, a retrouvé Thomas au pied d’un immeuble avant de s’y engouffrer… pour faire un bébé. Comme Amandine et Sylvain, Adeline et Loïc. Et comme Marie, Emmanuelle, Cindy, Anna et d’autres femmes lesbiennes ou célibataires. Toutes rencontraient alors pour la première fois celui qui allait devenir le géniteur de leur bébé.
Quelques semaines auparavant, ils ont fait connaissance par l’entremise d’un groupe Facebook. Ils se nomment « Don de sperme et soutien » ou « Don de sperme non anonyme et sérieux » et mettent en relation – sans contrepartie financière – des donneurs de sperme et des femmes en quête de maternité. Derrière les murs d’un hôtel ou d’un appartement, ils effectuent ensemble une PMA artisanale – soit une auto-insémination. « J’ai laissé Sylvain monter seul dans la chambre, pendant que j’attendais sur le trottoir. Après avoir fait son affaire, il m’a envoyé un texto, détaille Amandine, 27 ans. Dans le couloir, il m’a donné quelques conseils sur la manière de procéder et une fois seule, j’ai utilisé une pipette pour m’inséminer son sperme ». Voilà à quoi en sont réduites un nombre croissant de femmes célibataires ou lesbiennes souhaitant porter un enfant, en France, en 2018.
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Des contacts internet, des rendez-vous avec un quasi inconnu, une insémination bricolée dans une chambre l’hôtel… « Cela n’a rien de romantique », concèdent toutes les femmes que nous avons rencontrées. Un côté trop glauque pour Laura, 36 ans, qui préfère s’en remettre à un sexfriend : « En regardant mon enfant, j’aurais repensé à la méthode que j’avais été obligée d’utiliser pour l’avoir… ». Après avoir étudié différentes options, Amandine, Céline, Adeline et les autres n’ont eu d’autre choix que de recourir à une PMA artisanale. Jenny, 33 ans, et Marie, 31 ans, ne pouvaient dépenser plus que les 3 000 euros déboursés auprès d’une clinique espagnole – sans succès. Une PMA « dans les clous » coûte cher et nombreuses sont celles qui y renoncent pour des raisons financières : « Cette discrimination-là, personne ne l’évoque » s’emporte Audrey, 35 ans.
« Je ne changerai de donneur pour rien au monde. Je pense lui demander d’être le parrain » – Amandine, 27 ans
Grâce au bouche-à-oreille ou à des recherches internet, elles s’inscrivent donc sur un groupe Facebook dont certains comptent plus de 2 000 membres. Et affrontent une première étape : la sélection du donneur. « Très vite, certains demandent à assister à l’insémination ou à un rapport sexuel, pour être excité. D’autres demandent carrément à ce que l’on couche ensemble. Ça permet de faire le tri », raconte Jenny. Toutes se montrent intransigeantes sur plusieurs points : le recours à une méthode artisanale (pas de relation sexuelle, donc), des tests médicaux à jour (MST, spermogramme…) et le refus d’une coparentalité.
Après, tout est affaire de feeling. Ainsi, Adeline, 30 ans, a porté « une attention particulière à l’écriture, révélateur de la personnalité ». Céline, elle, s’est attachée « à la situation familiale, au parcours professionnel et au nombre de leurs dons ». Pas question de leur faire à l’envers, surtout à Amandine : « Pour être sûre des intentions d’un type, je lui ai proposé de l’argent – ce qui est déconseillé – et il est tombé dans le panneau. Alors, j’ai coupé tout contact » se félicite-t-elle.
« Une mauvaise expérience ne signifie pas que tous les donneurs ont de mauvaises intentions », tempère Emmanuelle, 33 ans. C’est au fil de longues conversations sur internet que commence à se nouer une relation de confiance. Si Emmanuelle a refusé d’aborder sa vie privée, « pour garder une certaine distance », Céline, elle, a évoqué « pendant deux mois les aspects pratiques de cette auto-PMA ainsi que des sujets personnels ». Des confidences qu’Anna, 32 ans, a recueillies lors d’une longue rencontre dans un café, persuadée qu’ainsi « elle apprendrait vraiment à connaître » cet homme. D’une situation glauque au début, naît parfois une amitié comme pour Amandine. Elle qui « ne changerait de donneur pour rien au monde et pense lui demander d’être le parrain », oubliant ce premier rendez-vous où, méfiante, elle l’avait inspecté de loin.
Une fois la perle rare dénichée, la prudence reste de mise jusqu’au jour J. Bombe lacrymo dans le sac pour Cindy, ville de rendez-vous choisie au hasard pour Céline, présence discrète d’une amie pour Amandine, appel à une proche pour Adeline… Tout est bon pour éviter l’envie de faire demi-tour. Jenny s’est d’ailleurs posée la question, de peur « de rencontrer un pervers ». Et puis la méfiance s’amenuise. Cindy, 31 ans, n’en revient toujours pas que sa compagne, pourtant « peureuse », ait ouvert la porte de la chambre au donneur pour « prendre le pot de sperme pendant que je patientais dans le lit ».
« Ma femme a appuyé sur le piston de la pipette, et m’a refait un câlin » – Adeline, 30 ans
Ce bébé, les couples lesbiens le font à deux, souvent même lors de la procréation. Réceptionner le pot, introduire la pipette ou inséminer le sperme, sont autant d’actes qui permettent à la compagne de prendre part à cette fécondation. « Le vendredi, Loïc n’a pas réussi à faire son don. Trop de fatigue, de pression… Le lendemain, il était plus en forme et nous a téléphoné juste après que ma femme et moi avions fait un câlin, se remémore Adeline, aujourd’hui enceinte. Elle a appuyé sur le piston de la pipette et m’a refait un câlin ». Cindy a été jusqu’à l’orgasme. Céline, Anna, Perrine 38 ans, ont procédé de la même manière au point d’avoir l’impression « de faire un enfant naturellement ». Un sentiment que ne partage pas Cathy, dont le dégoût provoqué par le sperme reste vivace : « Ce n’est pas comparable à un acte d’amour ou à une conception naturelle. On fabrique un bébé, point ».
En dépit des risques, des difficultés d’organisation et de l’illégalité, beaucoup de femmes vantent le côté humain de cette PMA artisanale, qui permet à l’enfant de pouvoir connaître ses origines. « Le donneur ne sera jamais un père. Mais notre enfant, à qui on ne cachera pas la façon dont il a été conçu, pourra rencontrer son géniteur s’il le souhaite », explique Amandine. Tel est le deal décidé par la majorité de ces femmes. « Quand je sortais de la clinique en Espagne, je me demandais si les hommes que je croisais n’étaient pas le géniteur. C’était déjà perturbant pour moi alors, pour un enfant… », estime Jenny. Toutes attendront l’adoption par leur compagne, avant d’informer le donneur de la naissance.
« Sur 300 médecins ayant participé à notre étude, 50 % ont été consultés pour des conseils en vue d’une auto-insémination » – Pierre Jouannet de l’Académie nationale de médecine
Cette humanité, elles la ressentent aussi grâce aux soutiens qu’elles reçoivent. Marie apprécie que son groupe Facebook publie des conseils de femmes – notamment des alertes au sujet de problèmes rencontrés avec certains hommes, alors exclus par l’administrateur. Des médecins et des pharmaciens les aident aussi. D’ailleurs, un site propose une liste de praticiens de la santé (généralistes, gynécologues, sages-femmes…) ayant une approche féministe ou lesbian friendly. « On les informe sur les risques sanitaires, leur cycle d’ovulation, le matériel à utiliser… Tout ce qui est légal. Mais pour ma part, c’est tout », révèle un gynécologue parisien sous couvert d’anonymat. Et puis, il y a les autres. Ceux qui, comme le gynéco d’Adeline, prescrivent des traitements hormonaux et des analyses. Et ceux qui, comme le médecin de Marie, acceptent d’effectuer le transfert de sperme.
Impossible de quantifier cette pratique illégale et donc dissimulée. « Sur 300 médecins ayant participé à notre étude en 2014, près de 50 % ont été consultés par des femmes pour des conseils en vue d’une auto-insémination, détaille le professeur Pierre Jouannet de l’Académie nationale de médecine. En majorité, ils ont répondu favorablement. Mais cette étude ne peut être extrapolée ». Le gynécologue parisien confirme : « Arrêtons de nous voiler la face, la PMA des célibataires et des lesbiennes se pratique sur le territoire français. Elles vont à l’étranger ou utilisent l’auto-insémination, mais font suivre leur grossesse en France ».
Cet automne, la PMA légale pourrait concerner toutes les femmes. Que feront-elles alors ? La plupart poursuivront cette PMA artisanale, car c’est maintenant qu’elles vivent leur désir d’enfant. Et pour les autres, peu importe : quand nos législateurs débattront de cette loi, Adeline, Céline et Anna mettront leur enfant au monde.