Société

Faire face à la grossophobie quand on essaye d’avoir un enfant

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Un jour, alors que j’étais encore hyper jeune et que ce n’était pas le sujet, une gynécologue m’a dit que je ne pourrais jamais tomber enceinte dans l’état dans lequel j’étais. Elle a utilisé le mot « état ». Elle l’a dit super froidement. Elle parlait de ma grosseur.

Aujourd’hui, de la même façon et alors que c’est factuellement faux, de nombreux·ses médecins affirment sans scrupule – et bien souvent sans aucune bienveillance -, que les gros·ses sont stériles. Dans son livre C’est mon corps, le médecin Martin Wincler écrit : « La grossophobie n’épargne pas les femmes qui désirent devenir mères. Il semble que la fertilité baisse quand l’indice de masse corporelle dépasse 30. Mais même au-delà de 30, une grossesse est possible. N’en déplaise à ces médecins, une “baisse” de la fertilité n’est pas une “disparition” de la fertilité. Quand une grossesse se fait attendre, il y a bien d’autres causes à explorer que le poids. »

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Je pense que commencer en rappelant ceci est important pour toutes les personnes dont on piétine les espoirs avant même qu’elles aient envisagé une grossesse. C’est le cas de Céline qui me raconte : « Une gynécologue m’a interdit d’être enceinte vu mon poids car, je la cite : “ce serait inconscient”. » Ou de Gaëlle qui me confie qu’on lui a annoncé qu’elle était stérile lors d’un premier rendez-vous gynécologique, sans aucune forme d’examen : « Ça m’avait anéantie… Et c’était n’importe quoi. Je suis tombée enceinte dès mon premier cycle d’essai. »

Et si baisse de la fertilité et grosseur sont parfois corrélées, le lien de causalité est-il si direct ? Je parle très souvent de la différence entre corrélation et causalité mais ça me semble primordial tant on impute systématiquement tous les problèmes des gros·ses uniquement à la grosseur. Le lien de causalité c’est donc quand un événement en produit un autre alors qu’une corrélation c’est le constat que deux événements existent simultanément. Chercher si d’autres facteurs n’entrent pas en jeu permet de poser un regard moins simpliste sur nos corps et, de mon humble avis, plus juste. 

Par exemple, si on ajoute le SOPK (syndrome des ovaires polykystiques) dans l’équation, on peut se demander : les personnes grosses sont-elles moins fertiles ou les personnes avec un SOPK – altérant bien souvent la fertilité -, sont-elles nombreuses à grossir ? Questionner les choses en ce sens ouvre un nouvel angle.

Il en est de même si on ajoute l’anxiété dans la balance. En prenant en compte le fait que les chercheurs confirment à la fois un lien entre des niveaux de stress élevés et des probabilités de conception plus faibles et à la fois que les personnes grosses sont discriminées tout au long de leur vie et particulièrement victimes de violences dans leur parcours d’accès à la parentalité, le lien à faire est-il « grosseur et infertilité » ou « anxiété et infertilité » ?

Et puis, malgré les clichés qui circulent dans l’inconscient collectif à ce sujet, il y a de nombreuses personnes grosses actives, aux comportements alimentaires apaisés et sans aucun trouble métabolique. La science appelle ça « l’obésité métaboliquement saine » et estime que ça concerne 30 à 50% des personnes grosses. Alors si la masse graisseuse n’influe pas sur ces métabolismes, a-t-elle vraiment un impact sur la fertilité ?

Je ne dis pas que ces exemples sont la réponse à tout et je ne nie pas les constats mais j’affirme que les choses sont probablement moins binaires qu’on veut nous le faire croire. De plus, une très récente étude américaine a montré que la perte de poids n’améliorait en rien la fertilité. Elle a été réalisée sur 379 personnes dites « obèses » et qui présentent une infertilité inexpliquée. Un groupe a suivi un programme sportif accompagné d’un rééquilibrage alimentaire avec comme objectif une perte de poids (7% du poids initial) tandis que l’autre suivait un programme sportif sans objectif de perte de poids. La modification du mode de vie n’a pas amélioré la fertilité des deux groupes.

Pourtant, comme avec Gaëlle, quand une personne grosse peine à tomber enceinte beaucoup de médecins refusent d’orienter leurs patient·es vers des examens complémentaires, imposant une perte de poids comme condition pour poursuivre le parcours. Beaucoup se voient alors conseiller des régimes restrictifs ou des chirurgies bariatriques. Et nombreux·ses acceptent ces solutions, rongé·es par le sentiment d’être le problème et la détresse psychique qui en découle. C’est le cas de Melody, pour qui la PMA (procréation médicalement assistée) était la seule solution pour avoir un enfant, son compagnon souffrant de la mucoviscidose (98% des hommes atteints seraient stériles). « Très vite, je me suis heurtée à la violence d’un “on ne commencera pas la PMA tant que vous ne perdrez pas au moins 45 kilos” », se rappelle-t-elle. Si dans les textes, la PMA est ouverte à tou·tes en France comme en Belgique, en pratique, on refuse presque systématiquement l’entrée aux personnes grosses (et pas que). Bien que cela soit illégal. Prise par le temps, parce que la qualité du sperme de son partenaire se dégradait, Melody a finalement décidé de faire une sleeve gastrique, chirurgie qui consiste à retirer les deux tiers gauches de l’estomac : « Je ne regrette rien mais je suis évidemment triste d’avoir dû passer par là, c’est une décision lourde de conséquences. Mais je veux mon bébé plus que tout. » 

« Cette grossesse a été une expérience douloureuse, on m’a beaucoup plus parlé de mon poids, que de mon bébé. On m’a déshumanisée pour ne parler que d’un corps. » – Annaelle

Pourtant la documentation scientifique sur le sujet existe et plus que le non-impact positif des régimes et de la chirurgie bariatrique sur la fertilité, des recherches montrent au contraire qu’une opération, une perte de poids très rapide ou des régimes successifs tout au long de la vie peuvent faire diminuer la fertilité. En effet la malabsorption des nutriments qu’entraîne un bypass ou une sleeve favorise l’apparition de carences nutritionnelles et agit négativement sur la santé, la fertilité et le bon développement foetal. On est donc loin de la solution miracle promise. Et même les études qui encouragent une perte de poids – ce avec quoi cet article n’est déjà pas d’accord -, précisent que si celle-ci est rapide, elle est préjudiciable. En fait, des troubles de l’ovulation peuvent s’observer lors d’une diminution trop marquée des lipides alimentaires. Alors, même si elle conserve un poids normal, une personne qui réduit excessivement sa consommation peut voir ses règles s’arrêter. En faisant un régime hypocalorique on est donc plus susceptible de manquer de nutriments essentiels pour optimiser sa fertilité que d’améliorer celle-ci. Le Professeur Jacques Bringer, chef du service d’endocrinologie au CHU de Montpellier, précise dans ce papier que trois jours de régime strict suffisent déjà à désorganiser le cycle menstruel. Et surtout, à la lumière de tout ce qu’on sait depuis des décennies sur les conséquences néfastes à long terme des régimes (et pas que rapides), est-ce éthique de continuer à en prescrire ? 

Et dans tout ça, je ne parle que de l’avant grossesse, la suite n’est pas plus simple – et pourrait faire l’objet d’un article entier. Des remarques violentes aux réflexions infantilisantes, on n’épargne pas les gros·ses. C’est le cas de Céline dont la gynécologue s’étonne que son fiancé veuille l’épouser et qui se voit gratifiée d’un « N’oubliez pas qu’enceinte on n’a pas besoin de manger pour deux ! » – smiley clin d’oeil -, ou de ​​Sonia, dont l’obstétricien répond « Mais oui il faut bien » quand elle exprime qu’il lui fait mal, avant d’ajouter « Je ne vois rien avec tout ce gras ». En fait, la presque totalité des témoignages qui m’ont été confiés racontent des grossesses dures à vivre. C’est aussi la réalité d’Annaelle : « Cette grossesse a été une expérience douloureuse, on m’a beaucoup plus parlé de mon poids, que de mon bébé. On m’a déshumanisée pour ne parler que d’un corps. » Ou de Diane dont l’histoire est rude à lire : « Toute ma grossesse on m’a fait chier avec mon poids. On m’a dit que j’allais faire du diabète gestationnel, alors que non.. On m’a dit que mon enfant serait obèse, alors que non… On m’a dit que j’allais avoir des complications, alors que non… Finalement, ils m’ont forcé la main pour me déclencher en avance pour éviter que le bébé ne soit “trop gros” au terme. Et comme le bébé n’était pas près, ça s’est fini en césarienne d’urgence, avec hémorragie et détresse respiratoire du bébé. Leur grossophobie a failli nous tuer. »

La certitude des médecins quant au fait qu’une personne grosse fera forcément du diabète gestationnel se retrouve aussi dans beaucoup de témoignages. C’est notamment le cas d’Anna, actuellement enceinte : « Quand j’ai fait le test de depistage du diabète gestationnel, la sage femme m’a demandé les résultats. Je lui ai dit qu’ils étaient négatifs, elle a répondu : “vous êtes sûre ? Ça m’étonne ! Montrez-moi.” J’avais effectivement raison mais je n’ose toujours pas lui dire que je me sens humiliée par ses comportements à chaque fois que je vais la voir… »

Si toutes les personnes grosses ont l’habitude d’être moins considérées ou déshumanisées, je reste stupéfaite que le milieu médical nous soit encore aussi hostile. Il semble sans cesse oublier que, même si les gros·ses sont moins fertiles – et au fond peu importe pour quelles raisons -, iels ne méritent pas moins d’être traités avec respect. Mais parce que notre société juge moralement inacceptable la grosseur, beaucoup finissent par penser, inconsciemment ou non, que les gros·ses méritent le fait de ne pas arriver à concevoir. Là où, avec une personne mince, on serait dans l’empathie pour ce qu’elle traverse, on dit aux personnes grosses qu’au fond c’est bien fait pour elles, elles n’avaient qu’à pas être grosses.

Alors de la même façon que j’avais écrit sur l’efficacité moindre de la pilule du lendemain sur les corps gros, ce papier n’a pas vraiment de chute et s’inscrit uniquement dans une volonté de donner des clés aux personnes concernées pour mieux comprendre ce qui peut parfois se jouer. Mais j’espère au passage qu’il vous donnera de l’espoir, qu’il vous permettra d’ouvrir le dialogue avec vos médecins, qu’il vous fournira des arguments pour refuser le régime qu’on veut vous imposer et surtout qu’il vous insufflera la force d’exiger la dignité et la bienveillance que vous méritez. Aucun·e soignant·e n’a le droit de vous maltraiter. Jamais. Vous avez le droit de vouloir et d’avoir un enfant.

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