Culture

Fantasmes terrifiants et sexualité grotesque : bienvenue dans l’œuvre de Toshio Saeki

L’absence de limite morale dans l’œuvre de Toshio Saeki n’a d’égale que sa créativité. Des viols, de la coprophagie, de l’inceste, de la zoophilie, du sexe entre êtres terrifiants. L’artiste japonais septuagénaire est l’héritier de cette tradition japonaise qui célèbre l’union entre le monstrueux et le magnifique. Il est toujours difficile d’effacer de son esprit ses dessins, qui vous hantent pendant un bon bout de temps.

Toshio Saeki n’hésite pas à lever le voile sur les tabous les plus dissimulés du genre humain. Il les reproduit de manière scandaleuse et élégante à la fois – grâce à la finesse de son trait. Ses dessins nous interrogent frontalement. S’ils nous dérangent, c’est qu’il doit y avoir une raison. Oui, mais laquelle ? En quoi un bébé affublé d’un sourire carnassier nous met-il autant mal à l’aise ? Saeki connaît la réponse. En intégrant de l’étrange dans le familier, il fait surgir le sinistre.

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Alors que les Éditions Cornélius publient la première anthologie mondiale consacrée à l’œuvre de Toshio Saeki, intitulée Rêve écarlate, on a rencontré le septuagénaire afin d’en savoir un peu plus sur son œuvre tourmentée.

VICE : Paraphilies, violence… Vous n’avez pas vraiment de respect pour ce que l’on appelle les « conventions morales ». Avez-vous un tabou ultime ?
Toshio Saeki : La créativité ne doit pas avoir de limite. Malgré tout, je suis un être humain comme les autres. Les questions éthiques et morales me préoccupent, et influencent forcément mon travail.

Le public lie généralement une œuvre à son auteur. Cela a-t-il eu des conséquences pour vous ?
Pas vraiment, non. Bon, il y a un certain temps, des gens me demandaient de les attacher, ce genre de choses. Je ne savais pas quoi répondre, en fait.

Avez-vous dû affronter la censure ?
Quand j’étais jeune, les revues qui diffusaient mes dessins étaient réprimandées par la police. Après trois blâmes, les pouvoirs publics interdisaient la publication.

Vos dessins sont aussi dérangeants que majestueux. Comment arrivez-vous à conjuguer horreur, humour et beauté ?
Ce mélange entre beauté, laideur et atrocité est au cœur de mes œuvres. Je ne pense pas que quelque chose de laid puisse être simultanément magnifique uniquement grâce à la technique. J’imagine que la nature de l’artiste se reflète dans les dessins, leur conférant une nouvelle dimension. Quant à l’humour, je crois que cela s’explique par ma ville de naissance, Osaka, connue pour son sens de l’humour partagé. Les gens là-bas passent leur temps à blaguer.

Quand on regarde l’un de vos dessins, on a l’impression d’être projeté au beau milieu d’une scène de panique. D’où vient ce sentiment ?
Mon œuvre s’inspire des cauchemars de l’enfance et des fantasmes extrêmes de l’adolescence. Ces images, encore gravées dans mon esprit, ressurgissent de manière exagérée.

Vos dessins sont à double tranchant. D’un côté, le spectateur est invité à participer, à devenir complice. De l’autre, il est également la victime de ce qu’il voit.
C’est une approche intéressante. Si le spectateur devient complice ou victime, cela est dû à sa propre sensibilité.

Aujourd’hui, le sexe et la violence sont omniprésents. Par conséquent, il devient difficile de marquer les gens, qui ne sont plus choqués. Pourtant, vos dessins ne laissent pas indifférents. Pourquoi ?
À mes yeux, l’important est de révéler les sentiments qui sont enfouis au plus profond de nous-mêmes. La gêne des gens ne m’intéresse pas. J’ai envie de lever le voile sur le fait que quelque chose de malsain vit en chacun de nous.

Je crois savoir que vous vivez près des montagnes. Pourquoi avez-vous quitté la ville ?
Tout d’abord, les loyers à Tokyo sont horriblement élevés. Ensuite, je cherchais un moyen de me stimuler en modifiant mon environnement. Ça n’a aucune conséquence sur mes dessins, mais ça me permet d’observer les villes depuis l’extérieur, et de m’interroger sur notre époque, pleine d’incertitudes.

Je vois. Merci M. Saeki.

Rêve écarlate est disponible aux Éditions Cornélius.