En Israël, le service militaire obligatoire à l’âge de 18 ans est un rite de passage, un moyen de prouver son patriotisme et son amour envers sa nation. Tous les Israéliens, à l’exception des Arabes israéliens, doivent servir : la durée est de deux ans pour les femmes et de trois pour les hommes. Tous ne se battent pas sur la ligne de front – si beaucoup exercent des rôles de combattants, d’autres occupent une variété de postes de soutien, de la cuisine jusqu’aux soins. L’armée compte même des DJ officiels, des photographes et un groupe de pop.
Pourtant, les Israéliens ne sont pas tous disposés à passer les plus belles années de leur jeunesse en uniforme, au sein d’un conflit armé dangereux, afin de prendre part à une politique militaire agressive que nombre d’entre eux désapprouvent.
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Chaque année, une assez forte minorité tente d’éviter la conscription. Il y a pour cela plusieurs options : tomber enceinte, rester indéfiniment dans le système éducatif , ou devenir un objecteur de conscience – bien que la plupart de ces options impliquent tout de même une période de service communautaire imposé. Par ailleurs, les personnes qui quittent le pays pour déroger à leur devoir sont susceptibles de se faire arrêter à leur retour.
Avant de rejoindre l’armée, il faut passer par la case « Tsav Rishon » – une journée qui comprend une visite médicale, des tests psychométriques, un entretien personnel, ainsi qu’une évaluation psychologique. Les scores de cette procédure permettent de classer le candidat dans une unité. Les personnes qui obtiennent les scores les plus élevés partent pour la ligne de front, tandis que ceux qui sont jugés médicalement ou psychologiquement inaptes se voient renvoyés chez eux.
À moins de se casser les deux jambes, prétexter un psychisme instable reste le meilleur moyen d’être exempté. Voici trois histoires de personnes qui ont tenté de ne pas accomplir leur service militaire en échouant intentionnellement à l’évaluation psychologique. Pour des raisons évidentes, les noms ont été changés.
ALISSA, 26 ANS
Pour celui ou celle qui souhaite vraiment être exempté, la meilleure solution est de foirer les tests initiaux afin d‘être jugé définitivement inadapté au service, exactement comme l‘a fait Alissa :
Née et élevée dans une Europe unifiée, l’idée même de rejoindre une armée entrait complètement en contradiction avec mes convictions. Quand j’ai emménagé en Israël pendant ma vingtaine, je ne m’attendais pas à être appelée. Je venais d’abandonner l’école d’art et je vivais dans une communauté de Tel Aviv. Je vivais dans le pays depuis deux ans et j’avais déménagé à plusieurs reprises. La communauté dans laquelle je vivais ne possédait pas de boîte aux lettres et la porte d’entrée se trouvait à l’arrière d’une boutique. La plupart de mes amis n’arrivaient à la trouver, donc j’étais loin de me douter que la bureaucratie étatique y parviendrait.
Pourtant, une enveloppe rouge avec la mention « ULTIME » a fini par arriver. La lettre disait qu’ils me cherchaient depuis deux ans et que j’avais manqué plusieurs appels initiaux. Si je ne me présentais pas à la prochaine journée de recrutement, je serai arrêtée et incarcérée dans la prison militaire. Il était temps de me creuser les méninges pour me sortir de cette situation.
Je connaissais beaucoup de gens qui avaient réussi à être exemptés de leur service, donc j’ai passé les jours suivants à cumuler les conseils et à mettre en pratique mes cours d’art dramatique. J’ai commencé à savourer le défi qui se présentait à moi. Ça allait être la performance de ma vie.
Deux jours avant l’appel, j’ai triplé ma consommation de caféine et j’ai enchaîné deux nuits blanches. J’ai mangé un gros paquet de Haribo sur le trajet jusqu’à la base pour avoir l’air nerveuse. J’en ai peut-être fait un peu trop, puisque j’ai réussi à me tromper de bus trois fois d’affilée.
Finalement, j’ai tourné autour du périmètre d’une immense base militaire. Mon hébreu étant assez médiocre, alors j’ai commencé à secouer la lettre devant le visage de quiconque croisait ma route, sérieusement effrayée à l’idée qu’ils me jettent en prison. Chaque passant m’a indiqué une direction différente, mais après plusieurs échecs, un homme qui emmenait son fils au même endroit que moi m’y a conduit. Il a eu pitié de moi.
Après avoir passé les contrôles de sécurité, je suis tombée sur une femme dont le boulot était d’indiquer le chemin aux recrues. Je lui ai dit que je n’allais pas aller à l’armée, et qu’il fallait que j’en parle à quelqu’un. Elle s’est moquée de moi et m’a lancé : « Tu vas aller à l’armée, chérie ». Ce n’était qu’une enfant, à peine plus jeune que moi, sans doute une nouvelle conscrite elle aussi, mais j’ai eu envie de frapper son visage de faux jeton.
Le bâtiment ressemblait à une école, et dans chaque classe avait lieu un test différent. J’ai été traînée de salle en salle, faisant de mon mieux pour échouer à chaque examen. L’examen de logique était celui que j’aurai adoré en temps normal, mais je me suis contentée d’appuyer sur le même bouton pour répondre à toutes les questions.
Quelques semaines après, j’y suis retournée pour passer l’examen psychologique. J’étais à nouveau en manque de sommeil et bourrée de caféine. J’avais un exemplaire de La Ferme des animaux , que je lisais à voix haute en me marrant toute seule. Cela m’a valu des regards perplexes de toutes les personnes qui passaient devant moi. Parfait.
Des jeunes femmes soldats de l ‘Armée de défense d’Israël. Photo via
Un soldat a passé sa tête à travers la porte et a appelé mon nom. Je me suis assise en face de lui. Il m’a posé tout un tas de questions et j’ai exagéré toutes les réponses. Je lui ai dit que je ne parlais plus à ma famille, que je n’avais pas d’amis, que j’avais essayé de me tuer, que j’étais fauchée et que je ne parlais pas hébreu. Je faisais des pauses irrégulières, je parlais très vite et regardais fixement par la fenêtre. Finalement, le mec m’a demandé d’attendre dehors et j’ai été escortée dans un bureau différent, cette fois-ci face à plusieurs personnes. C’était la même situation, les mêmes questions. Je recevrai les résultats par courrier. Quelques semaines après, on m’a annoncé que j’étais mentalement inapte à servir dans l’Armée de défense d’Israël. Fin de l’histoire.
MICHAEL, 34 ANS
Beaucoup de personnes réalisent qu’elles ne veulent pas faire l’armée qu’une fois après l’avoir intégrée. Après sa formation de base, Michael est devenu tellement reclus et déprimé qu’il a tout fait pour être exempté.
Il y a une conception publique en Israël qui veut que les gens « jouent la comédie » pour quitter le service. Cela crée un cycle où tous les deux ans, l’armée israélienne libère les soldats qui souffrent de problèmes mentaux et sociaux graves – ce qui, à son tour, provoque une hausse rapide des suicides chez les soldats. Souvent, le suicide est la première cause de décès dans l’armée israélienne.
Je suis initialement rentré dans l’armée avec l’idée sioniste et de gauche qu’il est essentiel de rejoindre l’unité de combat afin de faire la différence dans la façon dont l’armée israélienne traite les Palestiniens.
Au bout de seulement 12 heures, j’ai su que je ne tiendrai pas. Le premier jour à l’armée a été assez traumatisant: nous avons été transférés d’une file d’attente à l’autre, de bureaucratie en contrôles médicaux. Ensuite, nous avons rencontré notre sergent. Après le « bienvenue à l’armée » d’usage, il a demandé aux nouveaux arrivants s’ils avaient baisé leur copine la nuit dernière – pour reprendre ses propres termes – « s’ils avaient démonté une fille la nuit dernière » ( מי פירק בחורה אתמול). À partir de là, ma relation avec l’armée israélienne a connu un déclin brutal.
J’étais solitaire et socialement maladroit. Les exercices quotidiens m’ont lassé intellectuellement. Les livres me manquaient et j’ai commencé à utiliser tout mon temps libre – les heures de repas, les pauses salle de bains et la nuit – à lire. Je lisais entre deux tirs, sur les stands. Finalement, mon officier m’a interdit de lire pendant la journée. C’est là que j’ai essayé de quitter l’unité de combat. Après une très brève discussion avec un agent d’affectation, on m’a envoyé travailler comme technicien informatique dans l’une des unités stationnées sur le territoire occupé de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie. C’est là que j’ai dé cidé de partir à tout prix.
J’avais arrêté de fumer avant de rejoindre l’armée, mais lors de mon premier jour sur les territoires occupés, j’ai fumé deux paquets de cigarettes. J’ai perdu pas mal de poids et j’ai fait semblant d’être malade – notamment en me faisant vomir – pour avoir des jours de repos. J’ai essayé de m’éloigner le plus possible de la base. Finalement, on m’a accordé un rendez-vous avec un psychologue.
Certes, j’avais utilisé des excuses médicales pour manquer le service, mais quand j’ai rencontré le psychologue, j’étais vraiment déprimé. C’était un connard fini ; il était grossier et odieux. Je suis sûr que c’était une technique pour filtrer les « imposteurs » parmi les gens vraiment malades. À force d’être malheureux depuis si longtemps, j’étais devenu assez passif, donc cela me passait au-dessus de la tête. Pendant environ 15 minutes, il m’a ignoré, a parlé au téléphone et a mâché un chewing-gum. Après ça, il m’a posé une série de questions. Je lui ai dit comment je me sentais. Ensuite, il m’a demandé pourquoi j’avais rejoint l’armée. Je ne savais vraiment pas quoi répondre. L’armée telle que je la voyais était hiérarchique, tyrannique, masochiste et violente. Elle me faisait horreur. Mais je ne lui ai pas dit tout cela – je lui ai simplement expliqué que je ne voulais pas me sentir encore plus misérable. Il m’a redirigé vers le psychiatre de l’armée, le seul habilité à demander mon exemption.
J’ai été convoqué une semaine plus tard. Mais avant que le psychiatre ait le temps de me poser la moindre question, ce connard de psychologue est venu lui parler. Ils ont discuté entre eux et m’ont dit que je pourrais remplir un formulaire d’exemption dès le lendemain. Une semaine plus tard, j’étais sorti de la base de recrutement principale et je n’étais plus soldat.
La Brigade Givati de l’armée de défense d‘Israël. Photo via
ARIEL, 24 ANS
Après que son profil ait été sous-classé suite à une évaluation psychologique, Ariel a été affecté au théâtre. Il est parti quelques mois avant la fin de son service, après avoir été sanctionné pour ses cheveux longs et sa pièce trop critique envers la direction de l‘armée.
Je suis arrivé à la base à 7h du matin. Il y avait une longue file d’attente d’adolescents venant de tout Israël. J’ai donné des échantillons de mon urine et j’ai passé un test de vision. Il y a plusieurs stations : un premier examen où l’on teste votre intelligence ; un examen ou le médecin vous demande d’enlever vos sous-vêtements et touche vos testicules ; des analyses d’urines, des analyses de ci, de ça – ils vérifient juste si vous faites l’affaire. Enfin, vous voyez un psychologue. À la fin de l’examen, votre profil médical détermine ce que vous pouvez faire dans l’armée.
Si vous obtenez un score élevé, vous allez au combat, si vous obtenez le plus mauvais score, vous êtes exempté. J’ai obtenu des scores élevés à tous mes examens physiques, mais je ne voulais pas aller au combat. J’ai donc prétendu avoir de graves problèmes psychologiques. Sauf que ce n’était pas aussi simple que je ne le pensais.
Lors du premier rendez-vous, le psychologue vous demande si un membre de votre famille est récemment décédé, si vos finances se portent bien, et si vous avez déjà vu un psychologue auparavant. S’il y a un problè me, il vous envoie voir le « kaban », le psychologue militaire. Seul le kaban peut vous réformer. Je voulais un score compris entre 45 ou 64 pour ne pas avoir à servir comme soldat au combat. Ce n’est pas mon truc de tirer sur les gens.
Il y a environ un an et demi, je suis allé voir un premier psychologue militaire. Je lui ai dit que j’étais anxieux, que je ne dormais plus la nuit et que j’étais dépressif. Cela n’a pas aidé, mon profil est resté le même. J’ai été dispensé de certaines formes de combat, mais j’étais toujours combattant.
J’ai réessayé quelques mois plus tard. Il m’a posé d’autres questions : « Combien d’amis avez-vous ? Êtes-vous croyant ? » Il m’a demandé si j’avais déjà essayé de me suicider, j’ai répondu que non, mais que j’y avais pensé. Cette fois, ça a marché, j’ai été assigné à un poste autre que le combat.
J’aurais pu faire semblant d’être fou et me faire licencier, mais le truc, c’est que je veux vraiment servir dans l’armée. Je ne veux pas être considéré comme un « déserteur »pour le reste de ma vie. Il serait également injuste d’obtenir un laissez-passer alors que tous mes amis sont astreints à leur service.
Malheureusement, l’armée ne me permet pas de contribuer avec ce que je sais faire le mieux. Elle veut que je sois un soldat de combat ou un technicien d’aéronefs, or, je ne suis pas ce genre de personne. L’armée ne vous écoute pas. C’est pour cela que j’ai menti afin d’être sous-classé. J’espère vraiment que je vais arriver à faire une chose dans laquelle je suis bon.
Aux États-Unis, vous allez à la fac, vous étudiez, vous faites la fête, vous buvez et vomissez les uns sur les autres. Ici, vous terminez le lycée et on vous met un flingue entre les mains. Les adolescents ne sont pas de parfaits petits soldats, et si cette institution n’était pas si têtue, elle s’en rendrait compte.