Culture

Les films de l’Étrange Festival 2017, du pire au meilleur

Longs, courts, interminables, prometteurs ou sanguinolents : l’Étrange Festival, sis au Forum des images de Paris du 6 au 17 septembre, nous a offert tout ce que le cinéma « de genre » – oui, c’est large, et ça va des amourettes pédo-nazies à la découverte de la sexualité féminine – peut proposer aujourd’hui, à l’heure des youtubeurs philosophes et du brand content généralisé. Comme VICE est l’heureux partenaire d’un événement où se mêlent geeks patentés et cinéphiles avertis – parfois tout en même temps –, on a eu l’occasion de passer nos 10 derniers jours à enchaîner trois séances quotidiennes, en évitant autant que possible les mouvements de foule caractéristiques du Forum des Halles et les dévots susceptibles de s’attaquer aux militaires de l’opération Sentinelle.

Au final, après avoir maté la plupart des films en compétition et les œuvres les plus attendues, on est en mesure de vous offrir notre classement tout à fait subjectif des longs-métrages vus au cours d’un festival qui aura décerné son Grand Prix à La Lune de Jupiter et son Prix du Jury aux Bonnes manières. On est parti du pire, pour aller jusqu’au meilleur.

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KUSO de Flying Lotus (États-Unis, 2017)

Du strict point de vue de ce que son auteur cherchait à accomplir, Kuso constitue l’une des réussites artistiques les plus éclatantes du cinéma indépendant américain de cette année. Le problème étant que Flying Lotus cherchait à réaliser un objet profondément répulsif, hideux dans sa forme et débile dans son fond, plus dur à suivre qu’un soiffard persuadé qu’il peut tenir debout tout seul alors qu’il trébuche dans son vomi depuis une heure. Si l’Enfer existe, ce film y passe en permanence et Bruno Dumont me force à le regarder en récitant ses scénarios à voix haute.
– François Cau

HOUSEWIFE de Can Evrenol (Turquie, 2017)

Ma mère le répétait à l’envi : « Dis-moi ce que tu achètes comme canapé de salon, et je te dirai qui tu es. » Eh bien, si l’on fait confiance à ma génitrice – ce qui est mon cas – force est de dire qu’Housewife est au cinéma méphistophélique ce que BoConcept est à l’aménagement intérieur : une arnaque faussement racée, une œuvre dont le détachement de façade ne masque jamais le véritable objectif, à savoir raconter l’histoire la plus abracadabrantesque possible, le tout à grand renfort d’acteurs fantomatiques et d’un montage en roue arrière sur l’autoroute du « est-ce le passé ? un rêve ? le présent ? le Purgatoire ? ». Et je vous épargne la scène finale, fusion monstrueuse entre l’épilogue de Rosemary’s Baby et celui de Take Shelter.
– Romain Gonzalez

GAME OF DEATH de Sébastien Landry et Laurence Morais-Lagace (Québec/France, 2017)

Vous avez tous des potes un peu trop geeko-nerds hard-core, fans de cinéma d’horreur de mauvais aloi, ne jurant que par le gore, la surenchère craspec, titillés, forcément titillés par le potentiel de la démocratisation des outils de production numérique. Giflez-les. Très fort. Qui sait, ça les dissuadera peut-être et quoi qu’il en soit, vous vengerez des générations de spectateurs d’œuvres DIY, captifs de fausses transgressions et de dialogues vraiment pourris.
– François Cau

REPLACE de Norbert Keil (Allemagne/Canada, 2017)

Mi film de vampire où les canines sont remplacées par des peaux mortes mi rip-off de la sous-intrigue de Sharon Stone dans Catwoman, doté du pire cliché de voisine française forcément lesbienne et de ma Barbara Crampton adorée en savante folle, Replace se paie en outre le luxe indécent d’une photographie filtres Instagram comme on ne devrait plus avoir le droit d’en faire depuis Bellflower. À moins de vouloir à tout prix rester bloqué en 2011, fuyez.
– François Cau

FIRSTBORN d’Aik Karapetian (Lettonie, 2017)

On ne peut rien apprendre sur les Lettons : on le sait de naissance ou ne le sait pas. Essayez par exemple de prendre le bus à Riga. C’est impossible. Il faut avoir grandi là-bas pour comprendre. C’est comme ça. Ne rien comprendre au premier film d’Aik Karapetian aurait été un sérieux atout, malheureusement tout est affreusement clair : Firstborn est une énième variation sur le thème : « Qu’est ma virilité devenue maintenant qu’à la paternité je me vois confronté ? » Au début, on espère secrètement se tromper et puis au bout de 20 minutes la symbolique débarque, debout, bras en croix, sur son char de feu. Pour finir seule, atrocement seule, au terme du dernier acte, après la démission progressive du scénariste, des acteurs, du monteur et du réalisateur (dans cet ordre-là, précisément). Pour ne rien arranger, la BO, faite de glissandos de violoncelle et de bruits de clous qui tombent, est atroce.
– Lelo Jimmy Batista

A DAY de Cho Sun-ho (Corée du Sud, 2017)

Le jour du moratoire sur les films de paradoxe temporel, A Day servira de pièce à conviction pour l’accusation. Plutôt marrant à regarder au-delà de l’usuelle bipolarité (ici bien chatoyante) du cinéma coréen mainstream, capable de passer du sentimentalisme le plus gênant à une effarante brutalité dans la même scène, A Day délivre ses retournements de situation avec une régularité métronomique pour ne pas laisser le temps au spectateur de réaliser que son intrigue passe son temps à sodomiser violemment sa propre logique. Clopin-clopant, il amène à un épilogue gentiment consternant où le doute quant à la finalité de ce qu’on vient de voir n’est plus vraiment permis.
– François Cau

UGLY NASTY PEOPLE de Cosimo Gomez (Italie, France, Belgique, 2017)

Longtemps (à savoir, 20 minutes), je me suis demandé si ma phobie des membres amputés n’avait pas à voir avec le dégoût ressenti pendant le visionnage d’Ugly Nasty People. Eh bien non, pas du tout : si la vue d’un cul-de-jatte me donne toujours la nausée, cela n’explique en rien pourquoi j’ai trouvé consternant ce qui constitue sans doute l’un des films de casse les plus gênants jamais diffusés dans nos contrées millénaires.
– Romain Gonzalez

THE VILLAINESS de Jung Byung-gil (Corée du Sud, 2017)

Une histoire pas terrible, excessivement mal racontée, gavée de flash-back de cinq minutes pour expliciter un pan d’intrigue déjà compris depuis un petit bail, un rythme d’une lenteur criminelle faisant languir les scènes d’action, des scènes d’action atrocement mal filmées, encore plus mal montées, faisant languir le retour à l’intrigue, The Villainess, c’est du travail de cochon, à côté duquel le Luc Besson scénariste de Nikita passe pour Dostoïevski et Hardcore Henry pour du Tarkovski.
– Par François Cau

30 YEARS OF ADONIS de Scud Cheng (Chine, 2017)

Quoi de mieux pour finir une journée de projection qu’un simili porno-sado-gay où, comme dans les plus belles heures de la collaboration Andy Warhol/Joe Dallesandro, un auteur dominant s’amuse d’un éphèbe muse aussi splendide qu’idiot, livré à la merci de tous les sévices au nom de la soumission à l’art avec un grand Q turgescent ? Peut-être que ledit Adonis adore se voir souillé à l’écran dans un rôle tout sauf valorisant pour sa jugeote, grand bien lui prenne si tel est le cas, toujours est-il qu’en termes de plaisir ou simplement d’intérêt de spectateur, ça reste du cinéma de toute petite niche.
– François Cau

MON MON MON MONSTERS! de Giddens Ko (Taïwan, 2017)

Votre lycée s’est bien passé, vous ? Personnellement, plutôt bien, sans que rien de notable ne s’y produise. Du coup, j’ai toujours détesté les films s’attachant à décrire avec moult circonlocutions les aléas des jeunes gens en proie au divorce de leurs parents et à leurs premiers émois à touche-pipi. Que dire du Péril Jeune, en bonne place dans mon Panthéon de la détestation artistique ? Entre ici, Giddens Ko, avec ton terrible cortège de poncifs éventés – et ce, malgré une évolution scénaristique totalement débile et appréciable, qui transforme un calvaire doloriste en une succession de sourires plutôt francs.
– Romain Gonzalez

THELMA de Joachim Trier (Norvège, 2017)

Comme tous les garçons et les filles de son âge, Thelma a envie de boire, de fumer et de coucher avec sa meilleure amie. Pas de bol, elle est catho jusqu’aux yeux et doit donc refréner ses ardeurs si elle ne veut pas périr dans les flammes bouillonnantes de l’Enfer. Ça la contrarie pas mal et quand elle est contrariée, Thelma fait des trucs pas possibles, du genre tomber en syncope, envoyer des textos par la seule force de sa pensée ou faire disparaître des gens. Parfois, ça vire carrément au trip malfaisant et là, attention, on frissonne. Histoire d’être bien sûr que vous frissonniez au bon moment, Joachim Trier (remarqué en 2011 avec le plutôt réussi Oslo, 31 août) s’est débrouillé pour faire apparaître des serpents et des corbeaux aux moments clés – c’est le petit plus « symbolique lourdingue » de la maison. À l’arrivée ça ressemble à un croisement entre La Malédiction et La Vie d’Adèle supervisé par Darren Aronofsky. C’est douloureux à lire. C’est encore pire à regarder.
– Lelo Jimmy Batista

THE MARKER de Justin Edgar (Grande-Bretagne, 2017)

Chemin de croix et rédemption dans le milieu du moyen-banditisme britannique. Avec les sosies de Tom Hardy, Lisbeth Salander, Drake, Shane Smith, Joey Jeremiah et Angus Scrimm. Avant la projection, au bar du Forum des Images, on a entendu quelqu’un dire : « C’est un polar sans surprise, les acteurs sont moches et c’est mal joué. » C’est vrai. Précisons toutefois que le personnage principal est sympathique, que les actions s’enchaînent assez vite et qu’on sent que tout ça est fait avec honnêteté. Pour le reste, c’est un peu comme regarder un enfant de 2 ans tenter de soulever une raquette de tennis : au début, on a envie d’y croire, à un moment on entrevoit une vague possibilité qu’il y arrive, et à la fin, la raquette part dans le décor, emportant avec elle le vase du salon, et le gamin, déséquilibré, se vautre de tout son poids sur un coin de table, dégueulassant de façon irrémédiable un tapis à plus de 500 balles.
– Lelo Jimmy Batista

PURGATORYO de Roderick Cabrido (Philippines, 2016)

Philippines, terres de contraste, d’un cinéma d’auteur aux durées et aux thématiques extrêmes, d’un cinéma d’exploitation taré aux comédiens suicidaires, prêts à tout pour briller au firmament d’une histoire parallèle du 7e art. Le nouveau film de Roderick Cabrido trottine au carrefour de toutes ces possibilités et, plutôt que de choisir une direction, s’enlise dans un surplace fatalement lent, répétitif, crapoteux dans le pire sens du terme. L’ultime plan est assez beau, dommage qu’il vienne après 3h47 de durée ressentie.
– François Cau

LOWLIFE de Ryan Prows (États-Unis, 2017)

Quand on tente de donner naissance à l’énième variation d’un thème que Tarantino a épuisé il y a 25 ans, il faut généralement s’armer d’une bonne paire de boucliers pour se défendre face aux agressions prévisibles du public. Ryan Prows, lui, aurait pu se vautrer péniblement dans la traditionnelle « galerie de personnages plus tordus les uns que les autres ». C’est d’ailleurs ce qu’il fait au premier abord. Mais Lowlife est de ces films qui se révèlent plus réussis – ou moins catastrophiques – une fois décantés. D’aucuns pourraient même voir poindre un soupçon de Quentin Dupieux parfois, dans certains silences absurdes, certains gags évidents.
– Romain Gonzalez

LA LUNE DE JUPITER de Kornél Mundruczó (Hongrie, Allemagne, 2017)

On l’avait vu venir, avec ses sabots de taille 54, son scénario cousu de fil plus que blanc et son réalisateur déjà acclamé pour White God, dont le didactisme n’aurait pas fait rougir Jean-Christophe Victor. Dans La Lune de Jupiter – vous saisissez ? Lune de Jupiter = Europe = question des migrants ! – il est question d’un jeune Syrien se faisant tirer dessus à la frontière de notre UE chérie. Ce jeune homme, au lieu de mourir, a le malheur de ressusciter afin de nous infliger plus de deux heures de métaphores christiques et d’humanisme lagasnerien. C’est chiant, plutôt mal filmé, et ça traverse les frontières de la mièvrerie avec bien plus de facilité que tous ces pauvres hères qui luttent pour leur survie aux quatre coins du globe. Si encore Mundruczó avait eu l’intelligence de faire voler son protagoniste jusqu’au toit-terrasse de la demeure familiale de Brice Hortefeux, on aurait pu rigoler un peu. Mais non. La Lune de Jupiter est le Dheepan de notre année calendaire 2017, un film au cours duquel affleure dans notre cerveau cette maxime désormais célèbre : « Quand il y a un peu de messages humanistes, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »
– Romain Gonzalez

BITCH de Marianna Palka (États-Unis, 2017)

Elle a tout ce dont une femme peut rêver : une belle maison dans la banlieue de Los Angeles, quatre enfants qui se foutent éperdument de son existence et un mari entièrement dévoué à son travail qui la trompe avec une petite pute qui a 15 ans de moins qu’elle. Elle a bien essayé de se pendre, mais pas de bol, le lustre du salon n’a pas tenu. Foutu pour foutu, elle décide donc de devenir un chien. Me regardez pas comme ça, j’y peux rien. Un chien, donc. Et là voilà qui se terre dans le sous-sol, se chie et se pisse dessus et aboie comme une dératée sur ses gosses et son mari, qui s’arrachent les cheveux et partent tous en brioche les uns après les autres. Le pitch est salé, le résultat nettement moins. Ni farce cruelle, ni brûlot féministe, le film de Marianna Palka (qui tient également le rôle principal) est une comédie tout ce qu’il y a de plus traditionnel et sans surprise, pleine de gags, de couleurs, de tendresse et de gens qui tombent, hurlent et passent leur tête par la porte. Bon, l’ensemble est plutôt bien mené et il y aura toujours Adam Sandler et les Français pour faire pire, mais entre la sortie de route du sujet et le dernier quart d’heure où Captain Obvious se pointe avec un message et un chausse-pied pour le faire passer, difficile d’en sortir sans avoir l’impression de s’être fait copieusement bananer.
– Lelo Jimmy Batista

MAYHEM de Joe Lynch (États-Unis, 2017)

Sur un sujet « étrangement » similaire au très récent The Belko Experiment, troussé avec une adorable énergie désespérée par un réalisateur dont le meilleur film reste à ce jour Détour Mortel 2, Mayhem tente de nous faire croire de toutes ses maigres forces à son potentiel rentre-dedans. De bonne grâce pour la séance d’ouverture, le spectateur ne demande qu’à se réjouir de ce massacre en open space, au sein d’un cabinet d’avocats en quarantaine, à la merci d’un virus réveillant les pires instincts. Les employés sous pression virent psychopathes et les huiles, déjà bien atteintes niveau cruauté, restent finalement calmes et égales à elles-mêmes. Une bien belle idée, ma foi, que cet élève turbulent de Joe Lynch ne manque pas d’auto-fucker de ses problèmes d’inattention et autres concessions absurdes à une mignonnerie débilitante.
– François Cau

LES BONNES MANIÈRES de Juliana Rojas et Marco Dutra (Brésil/France, 2017)

Gare aux rumeurs de hype disproportionnées : au-delà d’un script relativement étonnant et d’un duo de comédiennes attachant, cette nouvelle collaboration entre les deux réalisateurs brésiliens accumule les maladresses éliminatoires, qui d’effets spéciaux pas franchement convaincants filmés plein cadre, d’un rythme cabossé, de bonnes idées systématiquement annulées par des scènes ratées à défaut d’un point de vue affirmé. Tout n’est qu’esquisse, brouillon d’intention filmé à distance alors que le fond même du film réclamait une émotion à fleur de peau.
– François Cau

MISE A MORT DU CERF SACRE de Yorgos Lanthimos (Irlande/Grande-Bretagne, 2017)

Bonne nouvelle : le réalisateur de Canine, Alps et The Lobster sort enfin de sa routine des univers en vase clos avec rituels grotesques pour souligner la vacuité de nos civilisations gangrenées par plein de trucs (les cinéastes à thèse, notamment). Mauvaise nouvelle : Yorgos négocie sournoisement un virage hoquetant à droite, bien calé sur les acquis esthétiques de Kubrick et du Michael Haneke des années 1990, pour se vautrer dans du cinéma achtung achtung, du dolorisme bassement sadique, didactique jusqu’au crétinisme tonal. Dans la forme comme dans la direction d’acteurs, l’œuvre d’un cyborg qui voudrait se moquer de la mesquinerie humaine, une dizaine de millénaires après sa disparition de la surface du globe.
– François Cau

JAYNE MANSFIELD 66/67 de P. David Ebersole et Todd Hughes (États-Unis, 2016)

Jayne Mansfield. La femme, la légende. Sur laquelle il y a finalement peu à dire et à peu près rien de vraiment passionnant. Ce qui n’a pas empêché P. David Ebersole et Todd Hughes de relancer d’une heure et vingt-quatre minutes sur le sujet en se concentrant sur les deux dernières années de la vie de l’actrice et ses accointances supposées avec la Church Of Satan d’Anton Lavey. L’angle est gentiment sulfureux, suffisamment en tout cas pour avoir permis au film de se monter. Il sera en revanche insuffisant pour le faire exister : de ce fatras d’archives et d’interviews (John Waters, Kenneth Anger, Tippi Hedren) servi dans un emballage pop tape-à-l’œil (séquences animées, musique psychédélique), on ne retire à peu près rien. « Oui, peut-être, on ne sait pas » : voilà, en substance, ce que dit Jayne Mansfield 66/67. Vous reconnaîtrez que c’est peu.
– Lelo Jimmy Batista

AVANT QUE NOUS NE DISPARAISSIONS de Kiyoshi Kurosawa (Japon, 2017)

Il y a des chances que vous connaissiez le réalisateur Kiyoshi Kurosawa – que ce soit parce que vous lui prêtez à tort un lien de parenté avec Akira Kurosawa, ou parce que vous avez déjà eu l’occasion de voir quelques-uns de ses très bons films (comme Cure ou Tokyo Sonata) à un festival dédié au « cinéma du monde ». Si c’est le cas, oubliez à peu près tout ce que vous connaissez de lui. Et si ce n’est pas le cas, partez simplement du principe qu’un synopsis très prometteur peut tout à fait aboutir à un film un peu raté. Avant que nous ne disparaissions est une sorte de comédie romantique qui parle d’invasion extraterrestre et de difficultés maritales, mêlant les éléments d’intrigue de L’Invasion des profanateurs de sépultures et la niaiserie parfaitement assumée de Starman, sur fond de bande originale comique à la Benny Hill. Sur le papier, ça a l’air OK – sauf que le film occulte tous les éléments qui contribuaient à faire de L’Invasion des profanateurs de sépultures et de Starman des œuvres d’exception, au profit d’un rythme laborieux et de personnages peu convaincants.
– Julie Le Baron

COLD SKIN de Xavier Gens (France/Espagne, 2017)

De près, cette adaptation d’un roman culte finit par filer sa métaphore avec des souliers beaucoup gros pour son propre bien, par traiter ses thématiques avec la même élégance que Ray Winstone lorsqu’il se lève à poil de sa couche un lendemain de cuite à la vodka faite maison. De loin, Xavier Gens signe son meilleur film sans aucune espèce d’équivoque, au risque d’accréditer l’hypothèse selon laquelle les « petits » réalisateurs de genre n’attendent, au fond, que de se trouver un « grand » sujet. Il reste néanmoins suffisamment d’écarts aux bonnes mœurs cinéphiles pour que Cold Skin ne le fasse pas tout de suite sortir des rangs.
– François Cau

LIBERATION DAY de Ugis Olte et Morten Traavik (Lettonie/Norvège/Slovénie, 2016)

Encore plus pétée que l’organisation d’un concert en Corée du Nord, l’organisation d’un concert de Laibach en Corée du Nord. L’idée, aussi nébuleuse que les tentatives d’explication du projet artistique du groupe, vient de Morten Traavik, réalisateur au tempérament autoritariste ascendant relou, parfait pour s’improviser tour manager d’artistes franchement paumés dans l’une des dictatures les plus rigoristes du monde. À défaut d’expliquer le pourquoi, ce documentaire aussi bizarre que l’initiative à son origine offre à défaut un bon aperçu du comment. D’incessants dialogues de sourds entre des cultures pétrifiées l’une par l’autre, entrecoupés d’images inédites et donc fascinantes d’un pays rarement filmé. Contrairement à ce que la conclusion du docu essaie de nous faire croire, ce concert est à l’image des derniers Terry Gilliam : le making of est beaucoup plus intéressant que le produit fini.
– François Cau

I’M NOT A WITCH de Rungano Nyoni (Grande-Bretagne/France/Allemagne, 2017)

Dans un premier temps, la bienveillance face à la fragilité d’un cinéma à la précarité structurelle prête à péter à chaque couture, puis, rapidement, l’impérative nécessité de faire disparaître le sourire narquois. Derrière l’humour des personnages face aux situations, la tristesse sourd pour tout emporter. Avec ses codes diégétiques disséminés à droite à gauche, son utilisation décalée de la musique et sa direction d’acteurs à l’emporte-pièce, Rungano Nyoni semble constamment à deux doigts de tomber dans le cinéma de pur dispositif. Elle s’en tire à la grâce de l’empathie tangible pour son personnage principal et sa stupéfiante jeune interprète, roc de douleur rentrée et d’incompréhension à même de transcender le simple statut de curiosité pour festival.
– François Cau

LE DÉMON DE LAPLACE de Giordano Giulvi (Italie, 2016)

Exercice de style à la précision maniaque, le deuxième long-métrage de Giordano Giulvi (Apollo 54) est un hommage affiché au cinéma fantastique de la fin des années 1950 (de Jacques Tourneur à Robert Wise en passant par La Quatrième Dimension) et aux romans d’Adolfo Bioy Casares et Gustave Le Rouge (auquel il emprunte ici le nom d’un des plus célèbres personnages, le Docteur Cornélius). Six personnages pris au piège par un savant fou dans une demeure coupée du monde, des ombres démesurées, des cadrages serrés, des dialogues parfaitement articulés, et un postulat : que le déterminisme mène fatalement au prédéterminisme et que rien n’est, théoriquement, imprévisible. C’est beau, rigoureux, drôle, impressionnant de maîtrise et réalisé en totale indépendance avec une équipe très restreinte. Avec 20 minutes de moins, un budget plus conséquent et un peu plus de rythme, on tenait un des incontournables de cette édition 2017. En l’état, c’est une des plus belles curiosités présentées cette année par l’Étrange Festival – et c’est déjà beaucoup.
– Lelo Jimmy Batista

THE FAMILY de Rosie Jones (Australie, 2016)

Documentaire édifiant sur une secte dont la gourelle (le saviez-vous ? C’est le féminin de gourou) kidnappait des enfants à la naissance pour le simple plaisir de les voir grandir et gambader dans la campagne australienne sous son occulte dépendance. Ici, pas d’enquête, pas de révélation-choc, pas de whodunnit vertigineux : tout repose sur les personnages. Du flic qui a ruminé l’affaire toute sa vie aux gamins rescapés devenus des adultes au regard biaiseux, tous semblent absents, hagards, traumatisés au dernier degré, mais n’en perdent pas pour autant leur dignité et font même parfois preuve d’un sens de l’humour ravageur, envoyant ici et là une paire de vannes insensées. Bref, on s’amuse, on pleure, on rit, il y a des méchants et des gentils. Accessoirement, on évite aussi les écueils du docbuster Netflix et on se paye, grâce à quelques subtils dérapages, un beau cachet psychotronique.
– Lelo Jimmy Batista

9 DOIGTS de FJ Ossang (France/Portugal, 2017)

Lointain grand-cousin des Garçons Sauvages, cette autre traversée maritime shootée dans un noir et blanc somptuaire marque peut-être l’ultime retour derrière la caméra de FJ Ossang, poète maudit de l’apocalypse cinématographique à travers les décennies, punk situationniste qui aurait brisé le tabou de la forme pour délivrer de sidérants objets visuels, souvent aussi froids que conceptuels, aussi rares qu’entêtants, confortablement calés dans un coin du cortex en attendant la suite. Ce cinéma pas facile, exigeant plus que de raison pour qui n’est pas forcément prévenu, trouve dans ce nouvel essai à la fois une somme conséquente des travaux précédents de l’artiste et son œuvre la plus fluide, la moins entravée par la contemplation de ses propres expérimentations. La meilleure clé d’entrée dans un univers à la richesse esthétique inouïe.
– François Cau

EUTHANIZER de Teemu Nikki (Finlande, 2017)

Quelque part dans la campagne finlandaise, un euthanasieur free-lance abrège les souffrances d’animaux de compagnie malades, indomptables, ou tout bonnement laissés à l’abandon. Euthanizer est l’histoire d’un homme qui aime profondément les bêtes, et leur fait systématiquement écouter une petite musique relaxante avant de procéder à l’abattage. Il déteste ceux qui viennent lâchement lui confier leurs hamsters, chiens ou chats pour ne pas avoir à se confronter à les flinguer eux-mêmes. Dans ce thriller dont la PETA s’est probablement déjà désolidarisée, les antagonistes sont stupides, méchants et vulgaires ; le personnage principal est un justicier à béret qui parle comme un coach en développement personnel ; la bande originale repose sur un instrument du gouffre fait d’entrailles de baleine – en gros, tout participe à en faire l’une des meilleures surprises de ce festival.
– Julie Le Baron

SPIT’NSPLIT de Jérôme Vandewattyne (Belgique, 2017)

Ça commence comme le docu « rock » le plus tristement banal de tous les temps (la route, la dèche, l’ennui). Ça bascule très vite dans une synthèse extrêmement touchante et drôle de tout ce qui fait une tournée – une suite de moments absurdes et sordides traversée ici et là par de brefs éclairs de beauté pure. Et ça monte crescendo dans des tours de folie furieuse jusqu’à un dernier quart d’heure absolument inracontable. On ne vous en dira pas plus. Sachez juste que ça se situe grosso merdo entre The Dirt (la fabuleuse biographie de Mötley Crüe) et C’est Arrivé Près De Chez Vous, qu’il y a au moins deux des scènes les plus atroces de tout le festival (qui programmait pourtant l’excellent Prison de Cristal d’Augusti Villaronga, où l’on peut voir, entre autres, un garçon de 16 ans se masturber sur le visage d’un nazi pédophile handicapé) et que c’est d’ores et déjà un des films les plus excitants et enthousiasmants de 2017 – rien de moins.
– Lelo Jimmy Batista

LES GARCONS SAUVAGES de Bertrand Mandico (France, 2017)

Quel bonheur dans un océan de noirceur sadique frelatée, de moraline vaseuse et autres productions au panache de pure façade que de tomber subitement sur une œuvre aussi folle, aussi sublimement libre dans sa forme que dans son fond. Le passage au long du génial réalisateur de l’anthologie Hormona dépasse toutes les attentes par sa maîtrise jamais intimidante, toujours ludique, son statut d’objet hybride, tout à la fois rêve lubrique façon Cocteau, relecture d’Orange Mécanique chez les bourgeois érudits dépravés, Sa Majesté des mouches torrides, sa seigneurie des fruits poilus, des corps mutants, des dialogues somptueux sur leur lit îlotier. Si le cap d’un nouveau cinéma métatextuel authentiquement transgressif, organique et esthétiquement ambitieux se maintient à cette vertigineuse hauteur, 2018 promet d’être fabuleuse.
– Par François Cau