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À Bali, les touristes n'arrêtent pas de se désaper sur des sites sacrés

Avec le retour post-Covid du tourisme, la presse locale regorge de gros titres parlant d'étrangers mal élevés qui se foutent à poil n'importe où.
Koh Ewe
SG
Bali Indonésie tourisme culture
Les Balinais en ont assez des touristes qui se foutent à poil sur les sites sacrés et manquent de respect à la culture locale. Photo à des fins d'illustration uniquement : Alesia Kozik, Pexels.

Appuyée contre les racines épaisses et tortueuses d’un banian vieux de 700 ans, une influenceuse tape la pose pour une vidéo. Son corps est bien en place devant l’objectif, mais sans le moindre centimètre de tissu pour le couvrir. Et si la publication de la meuf est devenue virale, ce n’est pas forcément pour les raisons espérées. Alors que la vidéo circulait parmi les communautés balinaises, la profanation de cet arbre a profondément choqué les habitants de l’île de Bali, en Indonésie.

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Pour eux, la nudité de l’influenceuse russe Alina Fazleeva était une atteinte au caractère sacré de l’arbre situé dans l’enceinte du temple, un végétal monumental qui symbolise la vie éternelle. Lorsque Alina a eu vent des critiques, elle a tenté de se faire honorablement pardonner en partageant une photo d’elle et de son mari agenouillés devant le même arbre. Mais il était déjà trop tard. Deux jours plus après, les autorités de Bali ont annoncé que le couple serait expulsé pour avoir porté atteinte à la culture locale.

« Bien qu’ils se soient excusés, nous ne leur pardonnerons pas », a déclaré le gouverneur de Bali, I Wayan Koster, en réponse au post offensant de Fazleeva. « Il est plus important pour nous de défendre notre culture et de respecter sa dignité plutôt que de tolérer toute action qui lui porterait atteinte et dénigrerait l’image du tourisme balinais aux yeux du monde. »

Mais Alina Fazleeva est loin d’être la seule étrangère mise sous le feu des projecteurs pour avoir complètement ignoré les règles de Bali. Une semaine avant qu’elle ne suscite la colère avec son post Instagram, les autorités enquêtaient déjà sur le Canadien Jeffrey Craigen. Ce dernier avait posté une vidéo dans laquelle on pouvait le voir exécuter une danse haka au sommet du mont Batur, un volcan endormi considéré comme l’une des montagnes les plus sacrées de Bali — encore une fois, entièrement à poil. Le mec a également été menacé d’expulsion, les autorités locales s’attaquant à réprimer tous les touristes mal élevés qui enfreindraient la culture locale.

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« La population locale ne peut rien faire, car les Balinais dépendent vraiment du tourisme. Ils sont formés pour accueillir les autres. »

En Asie du Sud-Est, ça fait des plombes que des étrangers sont sans cesse pris en flagrant délit de comportements offensants — qu’il s’agisse de touristes posant nus au mont Kinabalu en Malaisie ou à Angkor Wat au Cambodge. Mais ce phénomène semble particulièrement marqué à Bali, pôle d’attraction touristique de l’Indonésie, qui a été le théâtre des comportements les plus déplacés. Aujourd’hui, alors que le tourisme revient en force après le calme imposé par l’épidémie, les habitants craignent que le phénomène ne s’aggrave et échappe à leur contrôle.

« La population locale ne peut rien faire, car les Balinais dépendent vraiment du tourisme », a déclaré à VICE Megasari Noer Fatanti, chercheuse en communication à l’université d’État de Malang, en Indonésie. « Les Balinais sont formés pour accueillir les autres ».

Selon Megasari, qui a étudié la stratégie de marketing touristique de Bali, l’île s’est longtemps positionnée comme un paradis pour voyageurs avides de découvertes. Cependant, malgré l’accueil de larges groupes d’étrangers sur leurs rivages — plus de 6 millions de touristes étrangers en 2019, avant la pandémie — les Balinais se sont révélés exceptionnellement doués pour préserver leur culture unique.

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« On pourrait voir Bali comme une sorte de musée vivant. Les habitants évoluent encore dans une culture et des traditions anciennes, et ils ont à cœur de les entretenir au mieux » a déclaré à VICE Ravinjay Kuckreja, chercheur sur les religions indigènes à Bali.

« Quand certains touristes dépassent ces limites et pénètrent sans aucun respect dans le royaume des dieux [ou de la nature], nous considérons cela comme un acte impur qui génère le déséquilibre. »

« Même s’ils sont exposés à énormément de personnes différentes, ils ont cette capacité à dresser un quatrième mur, pourrait-on dire, et à maintenir ce qui leur est propre, à le garder dans leur monde, et à ne pas le voir impacté par le tourisme. Au contraire, ils utilisent le tourisme, l’argent et les intérêts que ces activités génèrent, pour développer et alimenter cette culture. »

La plupart des Balinais croient en différents mondes et niveaux d’existence, où les esprits sont logés dans les arbres et les volcans — c’est pourquoi les offrandes sont souvent placées près de grands arbres. Selon Kuckreja, les Balinais n’ont pas non plus tendance à interférer avec la nature et les dieux, sauf pour les cérémonies ou à des fins spécifiques. Et si la nudité est normalisée dans l’art traditionnel balinais, le fait d’apparaître nu — ou même habillé de manière inadéquate — à proximité d’objets sacrés reste gravement tabou.

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« Ils considèrent le monde comme un endroit à maintenir en équilibre, pas comme un environnement créé pour que les êtres humains l’exploitent », a déclaré Kuckreja. « Dans de nombreux cas, lorsque nous voyons des touristes manquer de respect à la culture locale, c’est parce qu’ils interfèrent de manière inappropriée avec ces autres mondes. Quand certains touristes dépassent ces limites et pénètrent sans aucun respect dans le royaume des dieux [ou de la nature], nous considérons cela comme un acte impur qui génère le déséquilibre. »

Après les gesticulations exhibitionnistes de Fazleeva et Craigen, les habitants se sont empressés d’organiser des rituels de purification sur l’arbre sacré et le mont Batur, présentant leurs excuses aux esprits de la région. Craignant que d’autres touristes ne se dénudent sur les sites sacrés, des dizaines de caméras de sécurité ont été rapidement installées autour du temple Ulun Danu Beratan, l’une des attractions touristiques les plus populaires de l’île.

« TOURISTES DE MERDE. RENTREZ CHEZ VOUS !!!! Vous êtes les bienvenus pour passer du bon temps et profiter de notre île. Mais si vous ne nous respectez pas, l’expulsion vous attend. »

Mais outre cette nudité maladroite (ou dans certains cas, volontairement ignorante de l’interdiction qui l’entoure), Bali est souvent le témoin d’autres comportements imprudents de la part d’étrangers. En 2020, un influenceur russe s’était filmé en train de s’élancer à moto directement dans la mer, suscitant rapidement l’indignation des locaux qui avaient considéré l’acte comme dangereux et irrespectueux. L’année dernière, alors que l’obligation du port du masque était encore bien présente à Bali suite au COVID-19, un couple de YouTubers n’a rien trouvé de mieux à faire que d’entrer dans une épicerie locale alors que la meuf s’était peint un faux masque sur le visage, se moquant des employés qui n’avaient pas capté le canular.

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D’après Kuckreja, ces actes sont teintés de colonialisme. « C’est plutôt une mentalité coloniale de se dire qu’on peut aller s’amuser en Asie, que la police est corrompue et qu’on peut donc y faire tout ce qu’on veut », a-t-il déclaré.

Suite à une série de gros titres mettant en lumière des touristes écervelés, certains locaux en ont franchement eu assez. L’entrepreneuse balinaise Niluh Djelantik, que les habitants ont affectueusement surnommée « Madame Déportation », n’hésite plus à dénoncer les comportements inacceptables des touristes.

Début mai, Niluh a posté sur son compte Insta une vidéo où elle ridiculisait Fazleeva et Craigen pour leurs actes obscènes, avec une légende assez explicite : « TOURISTES DE MERDE. RENTREZ CHEZ VOUS !!!! Vous êtes les bienvenus pour passer du bon temps et profiter de notre île. Mais si vous ne nous respectez pas, l’expulsion vous attend. »

Les séries de comportements irrespectueux en provenance des touristes l’ont beaucoup déçu, surtout sur une île qui met tout en œuvre pour offrir fièrement un aperçu de sa riche culture aux étrangers.

« Bali devrait mériter un tourisme de qualité, tout comme tous les touristes méritent de jouir d’un environnement plaisant pendant leur séjour à Bali », a déclaré Niluh à VICE. « Actuellement, nous ne voyons plus débarquer le genre de touristes que nous méritons. C’est pour ça que je suis si dure avec eux. Je veux juste leur faire comprendre que ce qu’ils ne peuvent pas faire dans leur propre pays, il n’y a aucune raison qu’ils puissent le faire ici. C’est aussi simple que ça. »

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Si le fait de garder ses fringues sur les sites religieux peut sembler relever du bon sens, Kuckreja éprouve tout de même un peu de compassion envers les hordes de touristes qui arrivent à Bali sans connaître parfaitement ses traditions et ses tabous.

« On ne peut pas vraiment s’attendre à ce que [les touristes] sachent tout de la culture balinaise, qu’ils comprennent comment les habitants pensent », a-t-elle admis. « Je pense que peu importe à quel point vous vous êtes informé sur la culture locale, il y aura toujours une limite à ce que vous savez et à ce que vous ignorez. Tout simplement parce que vous ne vivez pas sur place. »

« En tant que touriste, il est toujours préférable de vous renseigner auprès d’un local avant de faire un truc. Demander la permission est la meilleure façon de procéder. »

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