Originaire de la cité de La Forestière à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, Frédéric Scanvic commet son premier vol de voiture à 14 ans. Deux ans plus tard, il découvre le système carcéral au Centre pour jeunes détenus de Fleury-Mérogis dans l’Essonne après un vol à main armé. Il débute alors une carrière de braqueur – banque, bijouteries et autres magasins – avec des séjours réguliers en prison dont le dernier a duré pas moins de 14 ans. Libéré en mai 2019, Frédéric est de retour au placard à peine quatre mois plus tard. Actuellement en détention préventive à la prison de la Santé à Paris, cet homme de 40 ans qui a déjà passé la moitié de sa vie en taule explique à VICE pourquoi il pense que c’est la prison qui est à l’origine de sa récidive.
VICE : En mai dernier, vous êtes sorti de prison après 14 années d’incarcération, avant d’y retourner. Que s’est-il passé ?
Frédéric Scanvic : Quand je suis sorti, j’ai tout de suite cherché à trouver du travail, mais je n’ai pas réussi à décrocher beaucoup d’entretiens et les deux que j’ai eus n’ont pas abouti. Au fond, je les comprends un peu les mecs. T’as vu les gilets jaunes dans la rue, les pères de famille sans emploi, et tu crois qu’ils vont me prendre moi ? À côté de ça, je ne pouvais pas ouvrir de compte en banque car il fallait refaire tous mes papiers d’identité et ça prenait un temps de malade. Et sans compte en banque, pas de Pôle emploi, pas de RSA… J’ai tenu quelques mois, mais comme j’étais tout seul et livré à moi-même avec une femme malade et enceinte, j’ai fini par récidiver et je me suis fait attraper.
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La prison n’avait pas préparé ta sortie ?
Rien du tout ! Quand j’ai rencontré le SPIP [Service pénitentiaire d’insertion et de probation, ndlr] après ma sortie, ils m’ont dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel, comment on a fait pour libérer un mec comme vous sans aucune association pour l’accompagner ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, nous ? On doit juste vous voir pendant dix minutes une fois par mois, c’est complètement aberrant. » Pourtant ma femme avait écrit à la garde des Sceaux plusieurs mois avant que je sorte en alertant : « Mais qu’est-ce que vous faites avec mon compagnon ? Il va bientôt finir 14 ans de détention et vous allez le lâcher dans la rue sans le moindre suivi ? »
« Si tu prends un chien et que tu le mets dans une cage en l’abrutissant et en le secouant pendant des années, il te mord direct en sortant »
Et de votre côté ? Vous vous étiez organisé ?
Les premières années, non. J’étais DPS, détenu particulièrement signalé, en raison d’une évasion en 2001 et de mon fichage à la grande délinquance parisienne. Être DPS c’est très dur à vivre pour une personne incarcérée. Elle est à l’isolement, fouillée systématiquement, observée toutes les heures en cellule, tout le temps transférée d’une prison à une autre – 37 fois en 14 ans pour ma part. Je ne l’ai pas mal vécu au début dans le sens où je ne me sentais pas victime, j’avais commis des actes lourds à l’extérieur. Mais on t’enlève des droits – le droit de rester un père pour tes enfants et un mari pour ta femme ou simplement le droit d’être traité comme un être humain – et on te retire aussi tout espoir puisque tu sais que ce sont les détenus particulièrement signalés qui ont ont le plus de chances de finir leur vie au placard. C’est pendant cette période que j’ai un comportement plus agressif, que j’ai tenté de m’évader. Après, je ne suis pas arrivé en prison avec cette idée en tête hein. C’est l’administration pénitentiaire qui a fait en sorte qu’elle se construise en me décourageant dès le départ, que je n’ai plus aucune perspective.
Ça a changé les autres années ?
Quand je suis rentré en prison, j’étais quasiment illettré, mais j’ai fini par apprendre à lire et à écrire. Tout ça dans un quartier d’isolement, avec des cours par correspondance et ma compagne qui m’aidait à faire les corrections pendant les parloirs. J’ai également lu beaucoup de bouquins, travaillé mon élocution, passé des diplômes. Avec tout ça, j’ai déposé plusieurs dossiers d’aménagements de peine avec des employeurs ou des associations et ils ont tous été rejetés. On a dit d’un ancien détenu avec qui je travaillais pour sortir de taule qu’il avait réalisé une fausse attestation alors que ce n’est même pas avec lui que le projet d’aménagement a été monté…
Pareil pour deux autres employeurs qui m’avaient promis un emploi si je sortais. Il y a en un qui a été questionné avec insistance parce qu’il me proposait un trop gros salaire pour ce que j’étais capable de faire. On a aussi menacé d’éplucher la comptabilité d’un autre qui souhaitait m’embaucher. Comprendre qu’on va devoir attendre la fin de sa peine complète avant de pouvoir sortir, c’est super dur. En 2014, un gardien m’a appris juste avant une permission à l’extérieur que la demande d’aménagement que j’étais en train de faire à l’époque allait être rejetée et que j’allais même être transféré dans une nouvelle prison ! J’étais tellement dégoûté que je ne suis pas rentré de ma perm’. Je me suis fait reprendre trois semaines plus tard.
Est-ce que c’est la même chose pour les détenus qui ont des profils similaires au vôtre ?
Je suis en contact avec beaucoup de détenus qui font des longues peines en maison centrale et le récit est toujours le même. On les traite comme des animaux, on ne les aide pas, on casse leurs liens familiaux, etc. L’administration pénitentiaire ne donne pas de sens à leur détention. C’est pourtant ce qu’il faut à un prisonnier pour qu’il ait envie de s’en sortir. Il y a peut-être des mecs qui ne voudront jamais être aidés, mais il faut offrir cette possibilité aux autres. Expliquer qu’ils risquent de passer le reste de leur vie entière derrière les barreaux s’ils la refusent. De nous-mêmes, on ne pourra pas le faire, on n’a déjà pas réussi dehors… Et il ne faut pas oublier que permettre aux détenus de se réinsérer, et donc de ne pas récidiver, c’est le second rôle de l’administration pénitentiaire avec l’exécution des peines. Elle a l’obligation de nous aider et la vérité c’est qu’elle ne le fait jamais pour des longues peines comme moi. On n’en a rien à foutre et pire, on justifie le fait qu’on ne les aide pas en disant qu’ils sont irrécupérables. Et je parle de la pénitentiaire, mais c’est aussi une volonté des magistrats. Les détenus qui sont médiatisés et ceux qui ont des gros profils ne sont pas libérés avant la fin de leur peine parce que les magistrats ne veulent pas avoir à l’assumer plus tard. Ils ne vont jamais accepter qu’on les accuse de ne pas avoir fait leur travail de réinsertion si la personne retombe malgré tout. C’est un manque de courage de leur part.
Pour quelles conséquences ?
La récidive selon moi. En même temps, c’est logique, si tu prends un chien et que tu le mets dans une cage en l’abrutissant et en le secouant pendant des années, il te mord direct en sortant. C’est pareil pour nous. Quand tu mets un mec dans une cellule pendant 20 ans et que tu l’humilies, que tu l’isoles, et que tu le transfères non-stop, le seul truc qu’il aura à sa sortie c’est de la haine envers la société. Quand on sort de prison, on se coupe totalement de ce pays. On se dit qu’il ne veut pas de nous et du coup on ne veut pas de lui non plus. Moi j’ai eu la chance de rencontrer des gens intelligents qui m’ont fait décompresser sur ce point, mais ce n’est pas le cas de tout le monde…
C’est la prison qui créé les gros profils ?
Un jour, un de mes avocats a dit à un directeur de prison que j’étais son gosse. « Comment ça ? », s’est étonné le directeur. L’avocat a répondu : « Bah c’est le fils de la pénitentiaire, il est resté toute sa vie d’homme en prison, c’est vous qui l’avez élevé comme ça. Si ses parents avaient été là aujourd’hui, eux, on les aurait blâmés ! ». Pour revenir à ta question, c’est le système qui crée les gros profils. La prison, c’est juste la poubelle de la République. Tous les problèmes sociétaux qu’on ne veut pas gérer, on les jette dedans. Le problème, c’est que ça fait un de ces bouillons de culture… Et personne ne s’intéresse aux conséquences ! Je connais des détenus tristement célèbres pour avoir tué beaucoup de gens que j’avais croisés plus jeunes et je peux te dire que c’est entre les murs qu’ils sont devenus dangereux, qu’on a retiré leur humanité. Je le sais car je suis dans cette poubelle.
Mais au fond, vous pensez que c’est un manque de volonté ou un manque de moyens ?
Ils n’ont pas réussi à aménager ma peine ou à m’aider à me réinsérer quand je suis sorti. Par contre ils ont réussi à trouver trois équipes de policiers pour me filer pendant plusieurs semaines quand j’ai récidivé. Ah pour ça, ils ont les moyens… Et on parle de la récidive là, mais il faudrait aussi s’interroger sur pourquoi on va en prison pour la première fois, non ? Parce que quand tu vis dans une banlieue pourrie, que ta famille crève la dalle, que tu es trimbalé de foyer en foyer et que tu n’as personne sur qui compter comme moi, la délinquance c’est la seule solution.
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